Mon père, pourtant par ailleurs lucide et aux idées assez
avancées sur la politique, la religion, le conformisme et le bourrage de
crâne en général, était ferme sur certains points. On se marie si on
veut vivre ensemble et avoir des enfants. Celle (je dis bien celle et
non celui) qui vit en concubinage ou en union libre était vilipendée, on
employait un vilain mot " vivre à la colle". La mère célibataire, la
fille-mère, la honte, c' était ainsi à l' époque on ne parlait pas de
"garçon-père" même si à mon avis il devait bien y en avoir un quelque
part (sauf parthénogenèse), mon père convola en justes noces et Il fallait un
toit à proximité du lieu de travail, , ils louèrent un
appartement dans une vaste maison, et là vient l' épisode du chien qu
'ils avaient laissé chez les beaux-parents pour ne pas encombrer le
déménagement et le lendemain de celui-ci, le chien qui avait réussi à
s'échapper était dans la rue et jappait devant la porte, deux ou trois
kilomètres seulement mais il ne savait pas lire le nom des rues et on ne
lui avait pas donné l' adresse. Etonnant. les loueurs, étaient sans
enfants, mais ils avaient des idées bien arrêtées sur l'éducation et en
faisaient part à ma mère, ce qui la gênait un peu parfois. C' étaient
des gens " bien - pensants. " Lui était chauffeur de maître " pour un
industriel qui exploitait le gypse de la région (sulfate hydraté de
calcium qui chauffé donne le plâtre) ne pas confondre avec carbonate de
calcium, cette craie qui est aimée par la vigne, très présente dans la
sous-sol de mon village viticole, je connais, ayant réuni une collection
impressionnante de minéraux, en particulier le gypse sous toutes ses
formes, fibreux, fins cristaux délicatement ciselés et surtout le "Fer
de lance", un millefeuilles, vous le clivez, vous en avez deux et
encore. On montrait récemment à la
télé en Amérique centrale des cristaux de plus de 10 mètres de long.
Pas si transparent cependant que le quartz cristal de
roche) mais je suis hors sujet et je reviens. Je l' ai vu le propriétaire de la belle voiture, bien
plus tard, lors d' une illicite pêche à la grenouille dans des prés
clôturés, où des mares résultaient de l' effondrement de vieilles
galeries d' extraction de pierre à plâtre, il apparut soudain et seigneurial déclara :"Que faites-vous
dans MA propriété ?" On en laissa tomber le seau et les grenouilles
rentrèrent chez
elles. L' homme
très proche de la nature qui m' avait appris la pêche à la grenouille,
pour empêcher que ça saute trop dans ses seaux leur coupait
habituellement la tête et j' ai constaté que même sans tête une
grenouille continue à sauter...et même le canard maigre gagné à la Fête à
Charly... alors quand on pense au bon docteur Guillotin, on
frémit. Je me
souviens de pas grand'chose, un puits au fond du jardin, des loirs, c'
était impressionnant, qui couraient sur un toit. Finalement, mon père
décida qu ' une famille doit posséder sa propre maison et grâce à la
loi sociale dite "Loucheur", il en prit pour 20 ans et plus. Justement
une maison petite mais jolie en pierre meulière venait de surgir des
ruines d' une vieille ferme par l' art d' un maçon-promoteur qui
achetait des vieilles pierres et édifiait puis vendait ses
constructions. Un homme écolo avant l' heure, qui construisait tout, par
économie certainement plus que par écologie, en matériaux de
récupération. Par exemple le dessus des marches de l'escalier d'accès
aux chambres est fait d'une mosaïque d' éclats de marbre où l' on peut
lire des restes de l'inscription "Ci-gît", l' origine ne fait aucun
doute. Et le chêne de la charpente porte les stigmates bien nets d'une
utilisation antérieure?. Ce maçon, étonnez-vous était surnommé "La
Goupille". On n' en fait plus des comme-ça.
On déménagea, de la
même façon que tout le monde à cette époque, on emprunte une charrette à
un cultivateur complaisant, ils étaient nombreux, de petits
exploitants, qui n' avaient pas encore recueilli la manne du jus sacré
de la vigne, un peu de ceps, certes, mais aussi des pâtures avec de
petites mares où nous recueillions, nous gamins, des tritons minuscules
ou des salamandres, Un peu de vigne mais aussi des pâtures avec de
belles vaches qu' on rentrait le soir à l' étable pour les traire. Une
dizaine passait chaque soir devant les portes de la nouvelle maison "loi
Loucheur" et on pouvait juger de l' importance du troupeau de l'
agriculteur-éleveur du haut de la rue,( maintenant finies les vaches et
vive le champagne), en comptant les flac...flac..flac.....qui s'
écrasaient sur les pavés en grès de la chaussée. Quand c' était les
chevaux, c'était mieux, on se précipitait avec pelle et balayette pour
récupérer le précieux crottin salvateur aux rosiers, quant aux vaches,
on n' allait quand même pas faire sécher les bouses pour les utiliser
comme combustible ou en faire des revêtements de mur.On ouvre, on entre,
je revois tout, la voiture hippomobile, je revois l' entrée, la façade
est belle, on entre, la maison est toute noire dans les pièces,
déception, vite partie quand on ouvre une fenêtre sur une belle petite
courette et que la lumière fut. Et il faut chercher pour voir que c'est
fait de de matériaux de récupération. Une cave voûtée, un grenier sous
les tuiles, pas de garage mais on ne pensait pas pouvoir un jour
posséder une auto, pas faite pour nous, seulement pour les riches, il
en existait peut-être dix exemplaires pour deux mille habitants, je
parle des autos, les riches il y en avait plus que ça, et on n' avait à
ranger que la poussette à bébés devenue inutile, deux enfants c' est
bien et suffisant, et une brouette. On installa un poulailler, un
clapier, on était réveillé par les chants des coqs qui compétitionnaient
. On entendait les cot...cot...cot...co-dec et les oeufs étaient là.
Pour nourrir les poules et le coq, on faisait des réserves de grains en
allant glaner les épis oubliés après les moissons, les lapins c' était
plus difficile, on devait aller à l' herbe avec une faucille le long des
chemins et ces bêtes sont insatiables et bêtes, aucun effort pour se
restreindre aucune compréhension de la situation. Un problème, le
chauffage, l 'élément unique était la cuisinière qui fonctionnait au
bois ou au charbon, belle houille luisante, anthracite charbon presque
pur mais trop cher, et on opte pour un agglomérat de débris ou
poussièrere de charbon réunis en boulets ou briquettes, ou le bois,
mais... Au retour de l' école, j' appréhendais le "Jacques, tu me scies
un peu de bois ". Dur avec la scie qu 'il faut souvent affûter, ce
va-et-vient qui fait mal au bras, sci...i, sci...i,sc i...j' essaie l'
onomatopée, et les grosses pièces qu' il faut fendre avec hache ou
cognée. Chaque pièce de la maison était équipée d' une cheminée mais le
tirage n' a jamais été optimisé et chaque essai se soldait par des
nuages de fumée dans les pièces du bas. On se contenta de la bonne
vieille cuisinière. On essaya à l'étage un poêle unique avec
ramification de tuyaux dans les chambres, on faillit brûler la maison,
on se contenta donc de bouillotes dans les lits et de gros édredons en
plumes, on tremble dix minutes ensuite on se réchauffe. On avait l' eau
courante froide ...et pas chaude, pour la toilette du matin, seule
source d' eau plus ou moins chaude la réserve bain-marie de la
cuisinière, quelques litres. Mais bien évidemment pas de baignoire ou
douche, luxe pour les riches à cette époque et le lavabo était trop haut
pour ma petite taille. Parfois immersion décapage dans un baquet le
dimanche matin. Par contre on disposait de toilettes extérieures (à la
turque) nécessaires du fait qu' on ne disposait pas d' étable à vaches
pour en faire office.
Le mati, ( la virgule me
rappelle un vieux prof d' Histoire qui faisait son cours assis au
bureau, en dictait une partie avec la ponctuation et
quand l 'heure sonnait sur une virgule, on
attendait le cours suivant pour finir la phrase jusqu' au point final),
donc le matin on tirait sur les minutes pour les allonger, saut du lit,
passage rapide, très rapide, au lavabo, petit-déjeuner presto, béret
sur tête (sans son pompon arraché par les imbéciles, espérance de vie d
'un pompon, même pas quelques heures. Le dimanche par
contre, toilette plus élaborée, parfois même dans un baquet à lessive,
les beaux habits du dimanche, les souliers cirés et départ pour la messe
jamais manquée les jours de distribution de pain bénit, meilleur
évidemment que l' ordinaire et dont on pouvait espérer un deuxième
morceau par accointance possible avec l' enfant de choeur distributeur.
Mon père était d' accord pour que j' aille à la messe mais de la à m'
encourager à être enfant de choeur. Si tu veux y aller, tu y vas, très
laconique. Je l' ai été cependant, enfant de choeur, quand j 'avais 21
ans, au mariage religieux d' un ami de promotion quand on s' aperçut
avec inquiétude que l' enfant de choeur prévu n' était pas là. Le prêtre
jeta un oeil circulaire sur l' assistance et, je m' en doutais, à cause
de ma bonne mine, je me faisais tout petit, ça n' a pas manqué, son
regard s ' arrêta sur moi. Mais...réticences...je ne suis pas trop
adepte ou pratiquant de vos rites, je vous le dis honnêtement ...ça ne
fait rien, moi-même, il fut un temps...et je suis sûr que vous aussi,
un jour, vous aurez la révélation...( ?, j 'attends encore...mais j' ai à
peine dépassé les 80 ans, l' avenir m' appartient). Alors, je fis l'
enfant de choeur, pas difficile, pas la mer à boire ni même le vin de
messe. Ce ne fut pas trop difficile, il me tendit parfois des
instruments pour que je puisse à mon tour les lui tendre, il ne m'
invita cependant pas à partager le vin. Pas grave, le matin, le vin
blanc...et je me demandais si, quand je me marierais une pareille
mésaventure arriverait, peut-être pas, mais je prévoyais cependant
qu'il faudrait passer devant le représentant du Bon Dieu, ça n' a pas
manqué, je m' en doutais, j' ai un don de prémonition incroyable. Le
dimanche on avait la possiblité d' assister aux Vêpres, j' y suis allé
rarement car pas de pain bénit mais ça me fait une introduction pour la
suite du récit. Pause dans le récit. J' aime les Vêpres siciliennes de
Verdi, à l' époque je connaissais déjà quelques oeuvres musicales, j'
adorais à l' âge de 10 ans, le menuet de Boccherini par exemple, la
valse triste de Sibélius et l'invitation à la valse de Weber-Berlioz
pour les avoir entendues à la radio dans les rares pauses laissées par
Tino on Rina et j' eus le bonheur de gagner dans une tombola à l 'école,
un harmonica, tellement un ravissement que le soir j' avais les lèvres
tuméfiées mais que je soufflais déjà les dernières rengaines à la mode.
Beaucoup plus jeune j' avais reçu un petit accordéon et fasciné par les
sons qui en sortaient, je l'ai ouvert avec mon couteau pour voir
comment ça fonctionnait, pour voir ce qu 'il y avait dedans, désastre
total, les larmes, essais de recollage à la colle blanche, plein les
mains, échec total de la restauration. Tout ça pour vous dire comme j'
aimais la musique, celle qu' on fait plus que celle qu'on achète. Le
dimanche après-midi, plutôt que les vêpres, c 'était souvent, après
rangement des beaux habits le bêchage du jardin et le
transport des lourds arrosoirs d' eau. Dur. Et le corbeau, dans tout çà .
J' y arrive, lentement mais
sûrement
On
faisait la lessive dans une lessiveuse (évident), système ingénieux par
lequel la lessive remontait par un tuyau et redescendait en pluie sur le
linge. On entendait quand çà bouillait et que le cycle se faisait. On
ajoutait souvent des feuilles de lierre (qui contiennent des saponines
détergentes et moussantes). Le rinçage se faisait par un bac prévu à cet
usage dans la cour avec eau courante. Le lourd problème était le poids
de la lessiveuse à installer et descendre de la cuisinière. On n' avait
pas encore l' électricité mais on disposait d' une production locale de
gaz d' éclairage. (Années 30). On s' éclairait en bas par un manchon de
gaz, lumière assez pâle et bruyante, en haut par des lampes à pétrole.
Notre mère nous trouva, un jour, en revenant de course, ma soeur et moi
commençant un sommeil vers l 'au-delà, une casserole av ait débordé et
éteint la flamme, elle nous réveilla, on reprit vite nos esprits. L
électricité vint assez vite dans les années suivantes. Vous voyez, vous
qui imaginez le si bon vieux temps, comme on était heureux en ce
temps-là. Dites-le très vite.Un jour, mon père revint à la maison avec
un jeune corbeau peut-être tombé du nid, peut-être...toujours est-il qu'
on le nourrit et qu' il devint un beau corbeau vigoureux. On lui avait
installé une résidence mitoyenne avec le poulailler où on développa une
belle couvée de mignons petite poussins jaunes dont un jour on constata
en les recomptant qu' il en manquait plusieurs. Enquête, soupçons vers
le corbeau dont on comprit vite la tactique. Il appelait les poussins
près des mailles du grillage et en faisait son régal. Indignation. On ne
punit pas le corbeau, on ne va pas contre la nature, mais on décida de
s' en séparer, on le mit dans un sac, on descendit à la Marne, pas pour
le noyer mais pour le déposer délicatement dans les herbes ou roseaux et
on revint. A quelques dizaines de mères de la maison,on se retourne et
...le corbeau vrai membre de la famille était là, il marchait, il nous
avait suivi. On rentra avec lui et quelques jours après mon père prit
son vélo, cette fois, et l' emmena loin pour le rendre à une vie plus
normale, on était certain, il avait fait ses preuves, qu' il saurait s'
en sortir. Cette fois, il ne nous retrouva pas. J' espérais
pourtant. La dame dont on avait été locataire s' intéressait à nous. Elle
vint à passer à la maison porteuse de deux paquets, elle s' informa de
nos santés, de nos progrès à l 'école etc... J ' avais hâte pour les
cadeaux, d' abord celui destiné à ma soeur, une forme arrondie, j' avais
deviné " une raquette de tennis ! " Pas de oui de confirmation, pas de
sourire complice, bizarre, pourtant j' étais sûr. On déballe, c' était
un crucifix pour ma soeur qui avait atteint l' âge de la communion
solennelle. Un froid dans l' assistance, merci quand même. Deuxième
cadeau, le mien, je reste muet, je ne devine rien et même, je me méfie.
On ouvre, je sais que vous ne me croirez pas, c' était un martinet
destiné à l 'éducation d' un petit garçon forcément mauvais par
nature.
Plus que du froid, ça a jeté, du gel...