lundi 1 janvier 2018

Après l' exode


Après l' exode
     La vie reprit donc, difficile, il fallait assurer la maintenance de         l' armée d' occupation et se contenter du reste, les files d' attente de parfois plusieurs heures s' étirèrent devant les étals des commerçants pour un résultat bien maigre, les tickets de rationnement apparurent, la ration de pain s' évanouissait dans le déjeuner du matin, le beurre ne s' étala plus sur les rares tartines, le café laissa sa place aux ersatz. L 'Etat prôna le "retour à la terre", une grande parcelle communale fut partagée en lots à disposition de qui voulait faire pousser ses  pommes de terre, on en demanda un et on se mit au travail de défrichement. Vêtements rares, chaussures introuvables, pénurie générale, avec apparition d' un marché parallèle dit " noir " pour qui pouvait payer. Les kilos superflus fondirent, le look général de la population se modifia.                                           On savait que des gens étaient  enlevés de leur domicile et qu' on ne les revoyait pas, mais les mesures antijuives étaient mal connues dans le village, parfois des enfants nouveaux apparaissaient, on ne pouvait imaginer l' inimaginable.Le soir, le couvre-feu nous tenait à la maison. On vit apparaître une bizarre police parallèle, les miliciens, reconnaissables à leur habit bleu et leur béret. Un soir la porte de la maison s' ouvrit brusquement et mon père apparut livide, il ferma la porte à clef et tarda à reprendre son souffle. Après s' être attardé avec des amis à raconter des fadaises dans un "bistrot" quelconque, comme tous les hommes, ou presque, à l' époque en buvant des "canons"  (verres de vin rouge), il avait dépassé l' heure du couvre-feu et un milicien l' interpella sur son trajet de retour à la maison.  Au lieu d' obtempérer, ne voulant pas partir en Allemagne, il se projeta avec sn vélo sur le milicien et sa bicyclette qui s' étalèrent sur le sol  et s' en était suivie une course poursuite dans la nuit autour des rues qui s' était terminée par cette irruption brutale dans la maison. Le lendemain le milicien questionnait partout, enragé, voulant retrouver le "salopard" qui avait osé...Mon père fut même consulté par le monstre en bleu,  mais il n' était au courant de rien, bien entendu et ne put fournir aucun renseignement. Anecdote musicale: un soldat allemand occupait la maison voisine, m' entendant jouer de     l' harmonica il m' interpella, me demanda mon nom, examina               l' instrument et  expliqua à "Jakob" que seuls les allemands et en particulier ceux de sa ville savaient faire des harmonicas de qualité, marque Hohner bien entendu, et qu' il m' en ramènerait un à sa très prochaine permission à Frankfurt (ou  Stuttgart, je ne sais plus) et il tint parole et me ramena l' instrument. Je le perdis vite, l' ayant prêté à un camarade stupide qui en joua pendant des heures de classe et se le fit confisquer. Comme l' histoire du couteau racontée précédemment, ne rien accepter de l' ennemi. En réalité, le souvenir vient de se préciser, il       m' avait  demandé 20 marks (ou équivalent francs) au moment de la remise. Le même m' appela bientôt pour proposer à "Yakop" un jeu stupide, qui consistait à poser la main ouverte sur la porte en bois de mon garage et à piquer le plus vite possible la pointe de son poignard dans les écartements successifs des doigts, sans piquer les doigts, Il était  d' une habileté incroyable. Pour l' honneur de la France, j' essayai avec mon couteau et   n' ayant pas sa vélocité, je me piquai les doigts et saignai un peu. Stupidité totale, après, j' ai continué à m' entraîner sans témoins et j' améliorai la performance avec quand même quelques ratés et  de  l' Urgo . Je rejoignis les bancs de mon cours complémentaire, jusqu' en classe de troisième, un bon enseignement général, sciences physiques et chimie incluses (au lycée, cette étude ne commençait qu' en classe de seconde).  Au Brevet Elémentaire, je fus interrogé en Histoire par une femme apparemment religieuse d' après son vêtement, à mon grand étonnement et qui me questionna sur la Révolution française, alors là, je savais tout, le jeu de paume, Mirabeau, les femmes à Versailles , la Bastille, les prêtres réfractaires, la Vendée, je soulignai que le clergé était un ordre privilégié qui percevait des impôts sur le pauvre peuple, elle  m' arrêta alors ne voulant pas en savoir plus, ma faconde  sur le sujet était telle qu' elle       n' avait pas trouvé un espace pour en placer "une" ou  modérer mes attaques contre le clergé (de l' époque révolutionnaire). A mon avis, c' était 10/10 ma note , sauf suspicion d' anticléricalisme primaire, je plaisante bien sûr, elle était très réservée  cette femme mais certainement avec  une optique autre que la mienne sur l' épopée de la grande Révolution française, telle que me l'avait apprise, ma chère école publique, laïque.Effectivement sous Pétain fut abrogée une loi de 1904 sur             l' enseignement par les congrégations et de fortes subventions furent versées à l' enseignement confessionnel, mais c' est après lui  que furent votées les lois qui font prendre maintenant à  l' Etat, la charge totale du traitement des maîtres de l' enseignement confessionnel et des  frais de fonctionnement de ces écoles . Je continue avec mon cours complémentaire où je fus informé que compte-tenu de mes résultats scolaires et du peu de fortune de mes parents de toute évidence je devais me présenter au concours de l' Ecole normale des instituteurs, seule possibilité pour moi de continur quelques études mes parents ne pouvant assumer la prise en charge d' un internat dans un lycée, par contre à l' E N les études et même la pension étaient gratuites à condition de prendre un engagement de 10 ans dans     l' enseignement public sinon remboursement des quatre années de frais de  scolarité - ce que je ne pouvais envisager - si instituteur tu es, instituteur tu resteras. L' idée ne me déplaisait pas et je me sentais apte à affronter ce  concours où pour le département une vingtaine de places étaient à conquérir  mais  voilà  qu' un inspecteur passa à l' école et demanda de lui présenter les candidats  au concours pour un entretien particulier avec chacun d' entre eux. Je me présentai et l' interrogatoire commença, tu connais la fable de la Fontaine " La laitière et le pot au lait", je              m' attendais à autre chose alors voilà, je devais en faire une lecture et des commentaires, je devais dire c e que j' en pensais forme et fonds.               J' expliquai que Perrette était une fille sans malice, certainement très jolie dans son cotillon simple et dans ses souliers plats, j' essayai de montrer       l' habileté du poète dans la progression de l' histoire, je fis la remarque que tout cela me semblait un peu disproportionné et que ce n' est pas en renversant un seau de lait qu' on perd une option sur un château en Espagne, mais enfin c' est un récit quoique un peu léger, très plaisant avec une portée morale  peu évidente car le rêve en soi-même est un bonheur sans demander plus. C' est à peu près le commentaire que je fis.  Retour en classe et le maître, celui qui avait tant insisté pour me faire insrire au concours   m' appelle et me dit :  Monsieur l' Inspecteur a  déclaré qu' il te trouve par tes commentaires encore  un peu jeune et que  tu dois attendre une année pour te présenter au concours. Et voila . Grosse déception , bien sûr je ne m' étais pas présenté comme un fan du brillant conteur   (gloire locale, 15 km de distance de mon village) mais de là à en prendre pour un an, j' en fus d' abord estomaqué  la peine infligée était un peu lourde Ainsi un vieux fossile de l' Instruction publique m' avait fourni l' opportunité de me complaire dans  une année confortable, zéro  souci scolaire, plongeons  dans la Marne avec  les amis et amies (dont une jolie petite blonde), cueillette des petits pois chez les gros exploitants pour un petit pécule nécessaire,  sorties tous terrains à bicyclette, pêche à la ligne,  rencontre de Benedictus de Spinoza,  et Montaigne, remplacement par ma mère de mes culottes courtes par des pantalons, achat d' un rasoir et abandon du journal de Mickey du jeudi en le remplaçant  (aucun manque depuis ) par le "Canard enchaîné" ( gros  dégâts prévisibles sur mon état  d' esprit), attente confortable  de grandir un peu pour l' affrontement d' un monde perçu comme hostile. Une année épanouie de mon existence, merci à        l' inspecteur que je revis à mes débuts d' instituteur, il faisait un démarchage à domicile pour vendre des livres, je le reçus gentiment, bien sûr sans rien lui acheter c' est évident mais je ne lui demandai pas ce qu' il pensait de Perrette.  Et finalement je suis près de penser   qu' il serait bon de créer des classes-pauses  pour les enfants trop en avance de scolarité,     j' en ai connus avec deux ans d' avance, souffrant  parfois du regard narcissique des parents, des classes-pauses pour les enfants stressés et peinants, pas un redoublement systématique comme autrefois qui n' apporte pas grand chose mais des classes où l' élève libéré des contraintes naviguerait pendant une année, selon ses désirs dans les méandres de ses besoins, sans note, sans classement, avec un langage libéré des peurs de       l' échec. Ce concept est assez peu réaliste, mais demande réflexion, pour un élève  dans l' attente de préciser ses désirs et aptitudes, le professeur étant  le recours, surtout pas le juge, avec bibliothèque,  salle d' activités diverses,  labo scientifique, ludothèque, on devrait pouvoir être de degré 3 en math et 8 en français par exemple, et suivre son échelon personnel avant d' être précipité du haut de l' escalier. Je n' ai jamais compris le sens d' un examen général comme si le latin  ou le foot-ball pouvaient contre-balancer les maths ou la chimie, on devrait sortir de l' école  avec des degrés attestant  les échelons atteints  dans les différentes échelles du savoir et de la sagesse, maintenant elle se subit. Le savoir est devenu une marchandise pour laquelle on met les établissements en concurrence selon les critères d' une course au parchemin, publiée dans les journaux, comme pour  l' hôpital aussi que l'on classe selon je ne sais quels critères.  Je me suis désabonné d'un hebdomadaire à cause de son obsession à produire de tels classements et aussi parce qu'il était affirmé dans un commentaire    qu' on pouvait attendre de meilleurs résultats dans  les écoles où les chefs d' établissement choisissent leurs enseignants ce qui m' a choqué.Ce que je dis n'est que  divagations d' un fossile d' un autre âge, autant fossile que mon vieil inspecteur,  ne m' en tenez pas rigueur. Il  faut bien "ramener son grain de sel " et mes propos n' engagent que moi.
               

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