Autrefois les maîtres portaient la blouse, habit de travail en protection contre la craie et l' encre, uniforme de l' enseignant, à mon époque elle était grise. En fin de carrière, j' ai vu apparaître chez les professeurs plus jeunes la blouse blanche et l' étape suivante a été, je crois, finie la blouse, vive le blouson, le cou à l' air et les baskets.
On portait sous la blouse costume deux pièces, chemise et cravate, les chemises étaient aussi mal faites que maintenant, elles étranglaient les cous, elles remontaient sous le menton. Autrefois, soumis, on supportait, maintenant on va col ouvert et on a bien raison. Mon père possédait aussi des faux cols en celluloïd, le pire inimaginable supplice, étouffement proche. Je ne suis pas sûr que les femmes avec leurs corset à baleines respiraient beaucoup mieux. Je suis certain que maintenant un fabricant qui lancerait la fabrication de chemises hommes avec col bas et vaste fermant très loin du menton ferait fortune chez nos édiles soumis aux protocoles vestimentaires, la mortalité masculine par apoplexie diminuerait (l' idée est lancée,) "la chemise qui n' étouffe pas" (appellation déposée).
La blouse protégeait les vêtements de cette craie insidieuse qui pénétrait aussi dans les bronches. J' apprenais aux élèves à effacer les tableaux par un mouvement vertical poussant la craie vers le bas, puis j' ai décidé de les effacer moi-même et en fin de carrière j' utilisais une méthode personnelle autre que le tableau noir ou vert et tout aussi aussi efficace.
Les écoliers dans mon enfance portaient un tablier noir bien enveloppant, fermé à l' arrière par une ganse, noir pour lutter contre l' ennemi, cette horrible encre, faite, selon internet, à partir de la gentiane, terrible, sournoise, agressive, incontrôlable, indélébile sur les doigts. Certains écoliers avaient l' art de la répandre sur leur page blanche, on les voyait frotter désespérément avec leur gomme à deux parties l' une molle pour le crayon, l' autre dure pour l' encre, qui disparaissait au profit d' un trou dans le papier.
Cette encre associée au porte - plume lanceur permettait des compétitions acharnées. On pousse le porte-plume lanceur bien rempli, en bas avec le pouce de la main droite, on retient plus haut avec la main gauche on lâche vers une cible désignée à surtout ne pas manquer, sinon gros dommages collatéraux. On s' amusait aussi à maculer une feuille qu' on repliait ensuite pour interpréter l' apparition de dessins symétriques, du genre papillon. Des nostalgiques de l' école, qu' on appelle psychologues, s' amusent encore à ce jeu avec lequel ils décèlent votre personnalité et ses frustrations en faisant dire n' importe quoi à la réponse et à votre façon de répondre. Ils appellent çà "test de Rorschah". D' autres s' en servent en décoration pour remplacer un manque de talent créatif.
Je pense tout à coup à un autre jeu avec les manuels scolaires. On dessinait un petit bonhomme stylisé avec des ronds et des traits en haut à droite de la page, un autre à la page suivante, à peu près au même endroit, très peu différent par exemple les jambes un peu resserrées et les bras plus élevés, on pouvait y adjoindre une corde à sauter, et ainsi de suite comme çà jusqu' à la dernière page du livre de lecture, ensuite en prenant délicatement le haut du livre entre le pouce et l' index on faisait défiler les hauts de pages à grande vitesse et par la persistance rétinienne le bonhomme s' agitait, sautait, courait, encornant un peu les pages qu' on essayait d' aplanir difficilement ensuite. Regard courroucé du maître sur cette réinvention du cinéma et ses conséquences désastreuses sur les manuels scolaires
Je vous livre aussi le jeu de la plume "fléchette" très dangereux, aussi je le décris seulement parce que les plumes d' écolier n' existent plus ailleurs que dans mon grenier. Vous écrasez avec un marteau la partie coulissante de la plume jusqu' à apparition d' une échancrure dans laquelle vous introduisez un semblant de pennes de flèches obtenu en pliant un carré de papier selon médianes et diagonales, le résultat est une fléchette qui se pique encore mieux sur le tableau en bois, au moindre relâchement de l' attention du maître, rare car un maître expérimenté donc avisé ne tourne jamais le dos, toujours faire face à l' ennemi. Attention, tous les jeux de fléchettes sont dangereux et mes fléchettes avaient une trajectoire très aléatoire.
Et le jeu de la loupe dans la cour de récré les jours de soleil, vous vous approchez sournoisement de la victime et vous concentrez sur sa main les rayons du soleil jusqu' à obtention du cri de brûlure. Vous pouvez aussi essayer d' enflammer un morceau de papier ( et de faire brûler l' école bon débarras, non, jamais, sacrée l' école), le mieux est le lacet de votre chaussure, il se met à rougir d' incandescence à émaner une bonne odeur de roussi, et à fumer jusqu' à sa dernière fibre, ensuite votre mère demande comment vous avez fait pour perdre un lacet - Je ne sais pas maman, pourtant je l' av ais ce matin en partant pour l' école.
Au mois de mai, tous les trois ans, tous ces jeux intelligents étaient abandonnés dès que quelqu' un avait crié " les hannetons sont là" on les collectionnait, on les faisait voler au bout d'un fil, ce qui était plus intéressant que de subir la leçon rituelle sur ses métamorphoses, immanquablement suivie de celles du papillon puis celles de la grenouille et du crapaud. On les connaissait les vers blancs qui dévoraient tout dans les jardins. Quand on retournait la terre avec nos bêches non motorisées, il fallait sans cesse se pencher pour extirper les vers blancs qui sinon se transformaient miraculeusement en une espèce de momie, laquelle après un long sommeil s' ouvrait en hanneton volant, bruissant. On avait bien raison ensuite de se venger sur eux. Et pour les métamorphoses de la grenouille, on élevait souvent des têtards dans un bocal en classe, à côté de l' assiette où on faisait germer dans du coton humide, des lentilles vertes, pour obtenir parfois d' adorables petits crapaud et une petit feuille au haut d' une longue tige.
Je reviens à l' encre, on luttait contre, avec les buvards qui souvent étaient publicitaires, de toutes sortes, on aurait pu faire des collections, j' ai encore dans mon grenier un gros paquet de buvards des vins du " Postillon " qui avait envoyé à l' école un énorme colis avec de beaux petits chapeaux en carton, que j' ai distribués au hasard d' une tombola crée à cet effet, plutôt que de les donner aux premiers j' avais pitié des cancres.
On n' a pas la nostalgie des taches d' encre mais celle des beaux petits encriers blancs en porcelaine qui s' encastraient dans les trous des tables à deux places à panneau incliné fixe ou relevable, celle aussi des beaux plumiers en bois parfois à coulisse et pivotant. A chercher tout ça dans les brocantes. En fin d' année, on faisait disparaître l' encre sur les tables à l' aide d' éclats de verre qui tiraient de fins copeaux, pour une rentrée impeccable toute neuve. On ne pouvait cependant pas reboucher les entailles faites par les couteaux de quelques-uns, réprouvés par la majorité. Beaucoup d' enfants, dont je faisais partie, mais on n' avouera jamais même sous la torture, étaient bien contents de retrouver à la rentrée non seulement les copains mais aussi le monde de l' école et sa finalité.
J' arrête, je jette l'ancre. Vint le Baron Bich et ses millions d' enfants "bic" envahirent la planète, une nouvelle ère commençait.