mardi 18 avril 2017

Adolescence -

 Le p' tit B est au deuxième rang du haut vers le bas sous l épaule gauche et la cravate du maître.

Quand on était par ses bons résultats, désigné pour devenir instituteur, on passait le concours d' entrée à l' Ecole Normale d' instituteurs en fin de classe de troisième ou après une année en plus dans une sorte de classe préparatoire.

j' avais été reconnu à me présenter dès la première année. Je m' y préparai allègrement     n' envisageant d' ailleurs d' être refusé au concours, on en prenant environ un sur quatre donc aucun risque, j' avais forte conscience de mes talents.

Mais voilà qu' apparut dans la classe un homme bizarre, à la barbe taillée en pointe style Napoléon III qui me parut extrêmement vieux et désagréable. Le maître me déclara que je devais suivre Monsieur l' Inspecteur qui voulait s' entretenir avec les candidats à l' Ecole Normale.

On partit donc tous les deux dans le jardin de l' école où une table et deux chaises avaient été installées à la disposition de M.. l' Inspecteur, homme barbu et imposant et moi encore petit gamin, je faisais très jeune et frêle.

Il me présenta un recueil de fables de La Fontaine. J' ai acheté depuis un recueil complet de ses oeuvres et j' ai adoré ses contes que je vous recommande autant que ses fables, des petits bijoux libertins.

Je fus invité à lire " La laitière et le pot au lait" et à donner mon avis. Je lus en essayant de prendre un ton intéressé et je commentai. J' essaie de me souvenir. Oui dis-je à peu près,    j' aime bien ce récit, Perrette  court-vêtue, cotillon simple et souliers plats, jolie description bien menée et percutante ( elle me plaît bien cette grande fille). Elle allait à grands pas, alors là je pense qu' elle aurait dû plutôt, avec un pot sur la tête marcher à petits pas pour la stabilité de l' ensemble, pot et porteuse et ça y est je m' en doutais, pas de suspense, elle    l' a mis par terre.


  

Bon elle est déçue dans ses rêves mais ça n' est pas bien grave, d' ailleurs pourquoi acheter un cent d' oeufs, je m' étonne car dans les fermes et même chez mes parents, on a un coq et des poules et on produit ses propres oeufs et je continuai sur ma lancée, si elle a du lait c' est qu' elle a déjà une vache, je croyais devoir faire une analyse très critique et non s' extasier d' admiration, et puis ça n' a rien à voir avec des châteaux en Espagne tout cela est bien disproportionné ... et j' en ajoutai encore (une louche comme on dit) et vraiment le mari qui avait droit de correction sur son épouse je  n' y  croyais pas trop, c' est pour mettre du sel dans le récit etc...et la Fontaine me semblait bien tolérant sur la soumission de la femme. Affreux Macho ! lui qui  dit-on aimait beaucoup non la femme mais plutôt les femmes.




Oui mais m' interrompit M. L' Inspecteur, combien y a-t-il de parties dans la fable et comment s' articulent t-elles  et par des exemples montrez-moi la justesse ou l' originalité de certains mots, l' habileté de la construction et de la progression du récit et parlez - moi du but moral de cette fable et pourquoi l' appelle-t-on fable  (à peu près ce qu' il dit). Réponse (à peu près) pas de parties, la qualité de l' ensemble est d' être bien enchaîné sans rupture de rythme et ce n' est qu' un écrit léger aimable et bien dit avec cependant cette histoire de château en Espagne qui me semble bien disproportionnée pour un petit fait-divers, un texte très plaisant certes mais pas essentiel.

Voilà  ce que fut mon analyse dont j' étais très satisfait, presque fier, et j' attendais des félicitations pour mon esprit critique et presque les congratulations de tous et ça méritait 9 sur 10 

Patatras, comme le pot mon rêve tomba. On m' appela : M. l' Inspecteur trouve que tu es encore très jeune et conseille une mâturation d' une année avant de rejoindre  l' E.N.

Le fils du Directeur de l' école qui par la taille parlait d' égal à égal avec l' Inspecteur fut jugé très suffisamment mûr ...puis manqua le concours et changea de voie.

Un peu vexé cependant je me réjouis vite à l idée d un sursis pour rester avec copains et surtout une copine du village (qui s' est reconnue depuis en lisant mes écrits) et je me résignai à une année sabbatique.

Je l' ai revu cet homme, il était devenu docteur "honoris causa" de je ne sais quelle université et pour arrondir sa retraite il visitait les jeunes instituteurs pour leur vendre des revues pédagogiques. Je me suis dis le revoilà celui-là,  il plaisantait même totalement transfiguré ce que je n' aurais jamais pu imaginer. N' ayant jamais su être méchant pour lui faire plaisir je lui achetai son inutilité que je ne lus qu' à moitié et lui accordai le pardon.

Lors de notre première rencontre mon esprit était plus mûr que le sien. J ' étais déjà certain que moi je n' aurais jamais comme lui de certitudes - à part celle de ne pas en avoir et      celle d' être assez mûr pour réussir à  ce concours où après une année de repos  je fus reçu facilement Major de la promotion. Manque de modestie ? Peut-être mais assurément une revanche.



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