dimanche 5 avril 2020

Mon baccalauréat


   

          
 
          
Le baccalauréat autrefois
 


II se passait en deux étapes en deux années consécutives. Première partie examen général , je le passai en 1944 à Château- Thierry dans la grande salle de la Mairie. J' étais venu la veille, sur un vieux vélo et je fus hébergé chez ma soeur, postière à cet endroit, mais...dans la soirée, on entendit des bruits, pas trop lointains, de bombardement et on fut invité à gagner les abris. Partout, on avait recensé les caves "abris" susceptibles       d' accueillir et protéger les habitants, de telle sorte qu' on risquait de finir sous des tas de décombres, à mon avis, il était mieux de s' allonger dehors sur le sol avec prières aux anges gardiens.

Après quelques heures dans   l' abri, on regagna la chambre, et le lendemain, avec un gros déficit de sommeil, je me rendis au lieu de la convocation espérant que l' examen serait reporté (un tunnel de chemin de fer proche avait subi un bombardement par les forces alliées).  Erreur d' appréciation, l' examen eut lieu, une dissertation en particulier sur la littérature du XVII ème siècle, je possédais mon sujet mais mes yeux se fermaient et j' en oubliai un,le principal, la gloire du pays, à la sortie tout le monde saluait l'opportunité qui nous avait été offerte de louer la Fontaine, le grand fabuliste local,j' avais parlé de tous les autres, "la racine de la bruyère boit l' eau etc.." Je l' avais oubliée la célébrité locale. Désespoir. Admis quand même.


 Deuxième partie, ce fut l' apothéose. Je ne  craignais pas l' examen étant bon élève, avec une scolarité cependant perturbée par les bombardements d' avril 44, des nuits passées dans les sous-sols du lycée faisant office d' abri, des lendemains marqués par l' absence de camarades externes victimes des bombes déversées sur la ville, la vision des maisons éventrées, désastre total. Revenons à l' examen, j' étais tellement sûr de moi  que je ne pris pas même la peine de lire entièrement le texte du problème de physique et que je fis se balancer un pendule dans un champ magnétique allant de haut en bas alors que l 'énoncé disait de bas en haut d' où inquiétude à la sortie mais j' avais fait la totalité des maths, donc admis quand même à l' oral et pas un oral pour rire, un vrai examen à but éliminatoire et non de repêchage.
  On nous autorisa donc à quitter le lycée de Laon seuls, (habituellement on sortait le jeudi dans l' après-midi, quelques heures, sauf "colles" et promenades surveillées ), et je pris le train pour Lille avec seulement de quoi payer mon billet aller-retour, rien d' autre. On verrait bien. Je   n' étais pas le seul dans cette situation, à Lille, on se posa la question où va-ton passer la nuit ? On pensa se faire héberger au lycée, refus net et sans appel, on projeta de faire le mur pour entrer dans le lycée et  rejoindre l' infirmerie sans se faire remarquer, on l' avait déjà fait une fois à Laon, mais pas de mur à escalader, tout fermé, tout clos, déception, alors on déambula comme avec   l' ami Bidasse à deux ou trois, les autres avaient des adresses pour leur hébergement, on resta à deux, et la nuit vint, l' un des deux (ou trois , je ne sais plus) trouva la solution, on se renseigna pour savoir s' il existait un asile de nuit pour clochards. On trouva l 'asile, on s' allongea parmi quelques miséreux, sans se déshabiller et avec beaucoup de craintes de toutes sortes, vous les imaginez. Au matin on nous servit un café et le ventre vide depuis la veille à midi, on rejoignit le centre d' examen.  Premier interrogateur, un professeur de philosophie, bien installé sur sa chaise
qui me demanda si l' analyse devait rendre raison à la synthèse dans les sciences expérimentales (ou quelque chose d' aussi passionnant). C' est alors que je sentis une tempête dans mon ventre, un cataclysme,  et demandai à courir aux toilettes où j' arrivai une demi-seconde avant le désastre total . Je revins, on changea le questionnaire, car je pouvais être soupçonné de tricherie, je répondis  n' importe quoi à je ne sais quoi car 
j' étais loin de la philosophie  pour laquelle habituellement pourtant 
j' avais un  faible et de bonnes appréciations , mais la tempête interne     n' était pas apaisée, j 'allai en chimie où on me demanda un exposé sur le méthane que je connaissais de A à Z ou plutôt de M à E, mais j' étais paralysé car le méthane accentuait dans mon ventre son tourbillon et je ne savais même plus la signification du mot, je craignais la Berezina, et je bafouillai pas grand chose de bien audible. 

Je ne savais rien, je ne voyais plus rien, je me demandais dans quel monde j' étais, non nourri, malade, défaillant, désespéré total , sans vêtement de rechange, sans argent, plus rien dans la tête et la suite des interrogations ou plutôt interrogatoires fut le même désastre et le même martyr. J' obtins quand même, je me demande comment, je n' y croyais plus,  mon titre de bachelier, mais je n' ai pas le parchemin ayant omis de le réclamer un an après, par esprit de vengeance contre l'institution, j' étais un peu hors norme dans ma jeunesse. J' ai dit gardez-le votre papier sans mention, je mérite mieux que ça, je possède un simple petit document rose, une attestation provisoire.  Je rêve souvent que je retourne à l' école et que je  parviens enfin  à décrocher un beau diplôme vantant mes capacités.
On a tous des moments de vie difficiles comme celui-là, où on se demande ce qu' on fait sur cette terre, mais  il fut un temps où  c' était  vraiment par trop répétitif.
                              JB
        
                                     

      
 
          

        
  
                                   

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