dimanche 3 juillet 2022

1940 Exode 6

Nous sommes donc à La Villedieu de Comblé dans les Deux-Sèvres (j'ignore laquelle des deux) dans cette grande maison où l'on nous a si gentiment accueillis. Bien logés, un potager cultivé et productif, un atelier de menuiserie où je ferai bientôt mes premiers essais. Pas de bruit de train puisque le camion fou allemand a bloqué les voies, mais ça ne dure pas, les voilà qui repassent de l' autre côté du mur de la chambre, réveil en sursaut, inquiétude, des convois d'une longueur qui n' en finit pas, soldats ou matériel militaire. Les habitants de la maison disent que depuis longtemps ils n'entendent plus les trains. Peine à les croire. Entre temps, un vieil homme, général - maréchal, a mis fin aux hostilités en signant   l' armistice, pas vraiment la paix des braves. Il a déclaré d' une voix chevrotante retransmise par toutes les radios qu' il faisait "don de sa personne à la France". Belle formule. Mon père qui connaît ses généraux, pour les avoir pratiqués en 17, bougonne et reste dubitatif. Pour ma part, je constate que ma République française, (la troisième, Président Albert Lebrun) que je vénère, je suis un pur produit  de l' école publique et de ses maîtres qui m' ont appris sa naissance, ses errements, sa fragilité, tout ce qu' elle a pu subir après sa première proclamation ( mais pourquoi lui en voulait-on tant, qui dérangeait-elle cette République ?), je constate qu' elle a muté, elle est devenue " Etat français", ça me fait un choc, d'autant plus que la devise, il ne s'agit pas de cet argent dont la culte va se développer très vite, mais de trois mots "Liberté Egalité Fraternité" (comment peut-on dire tant de choses en trois mots), a muté elle aussi pour devenir "Travail, Famille Patrie", que signifient ces trois mots, ils seraient mieux que les premiers ? tout cela demande réflexion et je me demande où ça va nous mener, je n'ai pas confiance, le fiston est aussi dubitatif que le père. On est à la Villedieu, on se renseigne, Laval est loin mais Niort est à quelques dizaines de kilomètres et le porte-monnaie est très plat, alors on y va, tout au moins les deux postiers de la famille, père et fille, vélo, train, auto ...peu importe, ils reviennent avec une petite avance pécuniaire, ils ont eu bon accueil à la Direction départementale de Niort où on leur a conseillé fortement d'essayer de rentrer chez eux. Décision prise, on rentrera comme on pourra, mais on rentre à la maison, si toutefois on en a encore une, that is the question, d'abord les deux postiers et si tout va bien, mère et fils suivront, c'est très sage et bien raisonné .Ils prennent donc, père et soeur, un train, en embarquant le vélo qui reste, il en faut un pour la tournée du facteur et  l' Administration n'en fournit pas à cette époque, le dernier avait été livré par le camion de  livraison de la Samaritaine. Le vélo n' arrivera pas, plus tard on recevra un avis de la SNCF disant qu'un vélo semblant nous appartenir par une plaque trouvée sur le cadre avec nos noms et adresse, avait été trouvé dans les décombres d'une gare, je ne sais où, et qu' il était à notre disposition. ( Une vraie épave qui ressemblait vaguement à un vélo, une ruine totale). Il était alors obligatoire de fixer sur la bicyclette deux plaques, l'une d'identité, l'autre, la plaque à vélo,  justifiant du paiement d'une taxe de circulation en vélocipède, on l'achetait au Bureau de tabac. La gendarmerie contrôlait sévèrement les vélos, faute d'autos en nombre suffisant, et ils faisaient du chiffre. Et on les craignait les gendarmes, toujours quelque part à épier le délinquant, par deux, à pied ou à bicyclette. Pas de pitié, le PV,  je t' aligne. On en avait une frousse. Etant gamins, on surveillait de loin leur silhouette, je crois qu'on avait peur de la prison, et sur nos vélos ralentis par des roues toujours plus ou moins voilées vu le régime qu'on leur imposait, c'était du rétropédalage vite fait  Bonne nouvelle . "Nous sommes arrivés, maison en bon état, pouvez rentrer". On y va!                           

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