jeudi 7 juillet 2022
1940 Exode 2
C' est la nuit, le pont est passé, on monte la côte en poussant les
vélos pour aller vers le plateau comme on fait quand on quitte toute
vallée, et ça grimpe dur, on ne sait pas trop où on va et on sommeille
encore . Je me souviens m' être endormi et réveillé au sol sous la
valise et sous le vélo. On continue et on arrive au petit matin au
village d'origine de mes grands parents (côté mère), joli nom,
Hondevilliers, on a quitté l'Aisne, on est en Seine et Marne. Ma mère a
déjà émigré lors de la première guerre mondiale, deux fois même, avec
des charrettes et des boeufs, elle connaît, en habituée. On essaie d'
apercevoir, dans le jour qui naît, les murs de nos aïeux, on hésite,
mais pas de temps à perdre et puis on n'est pas seuls, la route se
garnit, comme le "Cid" de Pierre Corneille, nous partîmes cinq cents
etc... à peu près car quelques-uns avaient bien dû rester,
volontairement ou pas réveillés, mais par un prompt renfort, parodiant
Corneille nous nous vîmes trois mille avec les gens du Nord,
(excusez-moi, je n'ai pas pu m' en empêcher et j' aime la rime) puis ce
n'est plus très net, des camions, de la marche, des autobus, encore de
la marche, un petit train local aussi, et toujours ces deux vélos qui
nous encombrent au lieu de nous aider, on dort où on peut, dans des
granges, salles d'accueil, parfois un peu entassés, sol ou paille, fais
pas la fine bouche, toilette vite faite, c'est l' aventure faut la vivre
au maxi, on mange ou on mange pas, c'est selon, au hasard des
accueillants qui vont à leur tour être des accueillis. Aïe, l'un des
vélos, juché sur le faîte d'un car est entré en contact avec une branche
basse et ses roues décrivent maintenant des cercles imparfaits, je
peine à le tirer. Excellent souvenir, d'une nuit confortable à Clamecy
où spécialement pour nous, non coupables, on a ouvert les portes du
Palais de Justice nous procurant une nuit confortable allongés sur les
marches d'accès au prétoire. Le luxe total. A Sens, sur la grand place,
des soldats, autant que nous en errance, nous jettent des boules de
pain, un peu dures, on les ramasse par terre, on essuie la poussière,
hygiène douteuse, un régal. Pas de récriminations, ça change des miches
blanches. Les soucis deviennent visibles chez les parents malgré leur
expérience des situations d'exception, quand on aura dépensé les
derniers sous comment fera-t-on, surtout, autre souci, on dévie de la
ligne fixée par l'Administration des PTT (Postes, Télégraphes et
Téléphones) qui ayant tout prévu avait indiqué à ses agents de se
rendre à Laval, dans la Mayenne, et pas ailleurs, là seulement ils
toucheraient leur paye ou au moins un acompte permettant de subsister
jusqu'à la saison prochaine, suffisait d' y aller mais ces véhicules,
camions ou autobus, quand ils voulaient bien nous prendre c'était
direction vers le Sud, quelle idée car la Mayenne, c'est à l'Ouest sur
la carte, impossible de dévier leur parcours, volant fixe vers le Sud et
souci grandissant chez les parents. Le Sud, vous savez et l' avez
peut-être chanté, "C' est un endroit qui ressemble à la Louisiane, à
l'Italie etc..." vrai musicien Nino Ferrer. Mais la situation n'est pas
à chanter, elle est à marcher. On continue, tiens c'est
Clermont-Ferrand au grand dam de mon père et à son corps défendant, on
est loin de la Mayenne. Il est père, il doit subvenir à nos besoins, ce
n'est pas rien d'être père, mon père fallait y penser avant, pas ma
faute, moi je suis en dehors de tout souci ou responsabilité, pas encore
un homme et pas pressé de le devenir, vu comment çà se passe et l'
aventure c' est génial. Au hasard d'un transport, on trouve échouée là,
du côté de Clermont-Ferrand ma grand mère (côté père), comment est-elle
arrivée là, toute seule, on se demande. Ma soeur un peu plus âgée que
moi, lui tient compagnie pour la réconforter, on remonte dans un bus, on
fait quelques kilomètres et on regarde autour de soi, plus de soeur,
plus de grand 'mère, perdues, envolées...exagèrent ... le car est parti
sans elles . Stress total mais on les retrouvera un peu plus tard dans
une usine désaffectée, à "Le Monastier" je crois. Soeur retrouvée mais
grand mère reperdue et pas revue jusqu' au retour, résignation, on la
retrouvera bien un jour , elle a su venir, elle saura repartir.
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