mercredi 6 juillet 2022
1940 Exode 3
J' en étais où ? Ah oui, la grand mère reperdue, on l'a retrouvée plus tard
dans son village, Pavant, où elle était rentrée toute seule ( sais pas
comment). Donc on entre en Lozère, et sans peur car si on avait connu
l' histoire de la féroce bête du Gévaudan on serait retourné en courant
vers la Mayenne, et l'histoire de l'auberge sanglante ou "auberge rouge"
de Peyrebeille, vous la connaissez, c'est plus à l'ouest dans
l'Ardèche. Belle journée, beau temps, la famille bien serrée et
conditionnée se présente au bureau des PTT de Saint Chély d'Apcher,
(faut apprendre à le prononcer ce nom) . Monsieur le Receveur, je suis
facteur des PTT (et j'en suis fier, plaisante pas, c'est pas le moment)
dans l' Aisne, je vais à Laval (mon premier palindrome connu) dans la
Mayenne et ... Entrez, je vous en prie..Accueil plus que chaleureux de
cette bonne famille émue par l'errance de ces pauvres gens de là - haut,
si loin. Invitation à une table bien garnie. Vous en prendrez bien
encore un peu - Ah oui et sans me faire prier - ensuite une vraie
chambre avec de vrais draps de lin, et même un lavabo nécessité plus
qu' absolue, à cette époque je n' avais encore jamais vu une baignoire
ou une douche, c' était toilette rapide à l' eau froide devant un lavabo
trop haut, pas d' autre chauffage dans la maison que la cuisinière
dans la cuisine, et cependant on survivait (en grelottant). On l' a
évoqué souvent, ensuite, cet hébergement à un tas d'étoiles et comme
c'étaient de braves gens etc, ça devenait une litanie à la maison (non,
j'ai pas dit l'Italie, mon épouse qui m' écoute sur mon épaule est aux
trois-quart sourde ). On serait restés volontiers mais il fallait
reprendre la route dans cette longue marche vers le Graal qui pour nous
était la feuille de paye. Merci infiniment, s'il vous plaît
indiquez-nous la route de Mende et comment y arriver. On a dû prendre
une ligne secondaire, qui sûr, n'existe plus maintenant que la notion
de service public est devenue désuète et ringarde et que seul le profit
compte. Arrivée à Mende, accueil à la gare par les bonnes dames, pas de
fanfare mais presque et on nous conduit à une longue table où ces dames
dévouées et charitables, je les trouve même jolies, nous versent un
grand bol de soupe, de la bonne aux légumes, et même une deuxième si on
veut (je partirais bien tous les ans en vacances-exode à Mende). Je
pensais bien devoir, en contre-partie, réceptionner un message du
genre "N' oublie surtout pas dans tes prières de remercier Notre
seigneur et sa bonne mère Marie pour cette soupe chaude et leur infinie
bonté envers toi" (Bonté, faut voir). En pur produit de la grande école
publique, laïque, républicaine et libératrice, j'avais des doutes déjà
bien ancrés. Mais je suis mauvaise langue et esprit mal tourné, rien de
ce genre, seulement pure compassion gratuite et désintéressée.Après la
soupe, le toit. On nous conduit à de beaux baraquements qui sentaient
bon la résine fraîche, des box à deux fois deux lits superposés, en
planches avec paillasses bien propre et toute neuves, on était les
premiers. Rien à dire si ce n'est que ce beau logement était édifié en
bordure de la rivière Lot, parfois capricieuse et plus ou moins
débordante, en clair on avait de l'eau jusqu'aux chevilles. On laissera
sécher et on grattera la boue, mais d' abord auparavant nécessité
absolue est d'aller se présenter à la Direction départementale des PTT.
Mon père se présente dès le lendemain au Centre, accueil très poli mais
bientôt " Mon pauvre ami, que faites-vous là, on vous a dit d'aller à
Laval dans la Mayenne, allez à Laval, ici on ne peut rien pour vous".
La cata. On revient aux baraquements "Demain, à la gare, on va à Laval "
(refrain connu). Timide objection de ma part "on n' est pas mal ici,
nourris et logés et si on remonte on va rencontrer les allemands ."Tais-toi et t'occupes pas de ça". On va à la gare dès le matin, on
voit deux quais et sachant que les trains roulent à gauche et qu'il ne
faut surtout pas aller (hélas, je ne verrai pas la mer) vers le Sud, on
montera dans le premier train bien orienté et sans billet, ça n' existe
plus. Il en vint après une longue attente, tout n' était donc pas perdu.
Où allait-il ? Bonne question, vers le haut de la carte, c'est déjà
pas mal. On introduisit le dernier vélo dans le fourgon de queue et
c'est ainsi que (personnellement pas très rassuré quand même), nous
allâmes à la rencontre de l'armée allemande.
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