mardi 5 juillet 2022

1940 Exode 4

    On remonte. On ne savait pas trop où allait le train, on verrait bien. Sûr, çà nous rapprocherait  de Laval ( en Mayenne, j'insiste et ne veux plus de moqueries). Pas à mon aise dans ce train à vapeur allant je ne sais où. Je supporte cependant, il fallait bien arriver à Laval pour y recevoir quelque argent, même dussions-nous finir le trajet à pieds ? un "s" car on en a deux, sauf exceptions courantes suite aux blessures de guerre, unijambiste ou unibrassiste, c' était courant (si on peut dire avec une seule jambe) après la grande guerre. On s' y habitue on en reparlera plus loin à propos de mon père qui était revenu sans l' usage d' un bras et osait dire qu' il en était heureux (de s' en être sorti comme ça). On avait pris le bon quai, déjà çà. Le train roula, roula, parfois il s'arrêtait en durée indéterminée, pour cause indéterminée, endroit indéterminé, il repartait, long, long  (le temps, pas le train), quand même un bon train. Je comptais les chocs aux raccords des rails, ce bruit qui se répète, qui lasse, qui fait somnoler mais qui permet si on connaît la longueur des rails et si on dispose d'une montre d'en déduire la vitesse de l'engin, pas de machine à calculer en ce temps-là et ma belle montre à gousset était restée dans la maison ouverte, la reverrais-je ? Je l'avais reçue en cadeau de communion solennelle, oui  je l'avais faite ma communion, mon père ne croyait plus à grand chose après la guerre, (ni même avant d' ailleurs) mais pas sectaire, il m'avait laissé suivre ma curiosité, je voulais faire comme tous les autres et au catéchisme on s' amusait bien, on nous racontait des histoires, on nous projetait de belles images de gens qui, je me demandais pourquoi portaient toujours des poteaux en bois, c' était vraiment plus qu' un peu  répétitif. De plus je ne connaissais pas la longueur des rails, je raconte tout çà pour montrer que c'était long ce voyage de remontée. On peut aussi inventer une onomatopée,  exemple "on va bien-TÔT-a-rri-VER, on va bien -TÔT-a-rri-VER ...", vous pouvez même le chanter d'abord en Do majeur  et varier avec l' anatole préféré de Charles Trenet : Do, La mineur, Ré mineur, Sol 7ème  (tous les gratteurs de guitare connaissent), vous pouvez aussi  chanter en mineur si vous êtes triste. D'un seul coup, arrêt total, silence, black-out, plus de mouvement, adieu, anatole, do majeur, montre à gousset... on est face à l'ennemi (après armistice quand même, drapeau blanc, pas encore amis mais çà viendra pour certains, collabos... honte à cette France là). J'avais prévenu mon père que les ennuis allaient commencer, au lieu de rester près des bonnes dames à la bonne soupe, mais têtus tous ces vieux, il avait quand même 42 ans...Train immobilisé, finie la Mayenne, adieu la feuille de paye, je la voyais ouvrir des ailes blanches et s'envoler par la fenêtre du compartiment, même  deux feuilles car deux fonctionnaires des PTT dans la famille.(J'ose le mot "fonctionnaire" très péjoratif qui signifie nanti, privilégié, parfois payé à ne rien faire, oui mon  bon monsieur et même "c'est nous qu'on les paye", expression reçue en pleine face,un jour, des années après cette histoire par l'auteur de ces lignes devenu instituteur dans son village, vraiment pas  généreux mon Etat employeur, de plus j'étais un des très rares du pays soumis à l'impôt).    Alors, on est où ? Dans une gare "La Mothe Saint Heray", drôle de nom , drôle de saint, connais pas, fais voir le calendrier des PTT. On descend les valises en carton-pâte. Pardon, monsieur le chef de gare, est-on dans la Mayenne? - pas du tout - et c'est loin la Mayenne ?- Peux pas dire les kilomètres mais c'est pas tout près. Gens du pays très accueillants, on est emmenés dans une grande maison adossée à la voie ferrée, par une vieille dame et ses deux fils jumeaux (dont l'un ne reviendra pas des camps), des menuisiers. Grande salle à disposition, chambres, pas de bruit de train, finis les trains, figés les trains, calme et repos, un potager bien soigné dont on profitera. Bonne nuit. çà s'arrange.  Lendemain matin lever aux aurores, coup d'oeil curieux aux alentours et que voit-on ? Un camion de soldats allemands a manqué le pont du chemin de fer et est passé par-dessus  la rambarde, des soldats courent, l'ambulance est là. Je suis tout attristé, cet homme s'en sortira-t-il ? D'un seul coup ce n'est plus un soldat ennemi, c' est un homme sans uniforme avec femme et enfants. Comment en est-on arrivé là et je me remémore alors, une remarque que j'avais faite à mon instituteur et sa réponse, je vous expliquerai au prochain paragraphe de mon récit.

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