samedi 2 juillet 2022

1940 Exode 7


    On s'était arrêté à bonnes nouvelles, "Maison debout, rentrez." Montée dans le train, avec notre petite valise, très légère. Anecdote. Je sais que vous les aimez. Lors d'une course au village, chez l'épicier-bazar, un soldat allemand était présent dans la boutique, il achetait je ne sais quoi, leur deutch-mark ayant un taux de conversion en francs très élevé, pourquoi ne pas en profiter. Il m'interpelle, achète un petit couteau-canif et me le tend. Un beau petit couteau avec incrustée dans le manche en bois, une boussole. J'adore les couteaux, j'en ai des dizaines, ce qui résulte des jeux enfantins, chacun avait son couteau, on allait dans les bois, on faisait des arcs et des flèches, on confectionnait des sifflets, il était impensable d'imaginer un gamin sans son couteau, et un couteau qui coupe, un vrai. Etonnement, ne rien accepter de l'ennemi, mais je comprends que ce n'est pas à moi qu'il offre ce couteau, je ne suis qu'un symbole, il l'offre en réalité, à son fils là-bas, qu'il n'a pas vu depuis longtemps. Ce serait cruel de refuser, j'accepte et son sourire est grand et en dit long. Je crains qu'il ne l'ait pas revu son fils. Quelques années plus tard,  j'avais grandi, j'étais à Laon dans le tram-funiculaire qui relie la ville basse et la ville haute, un soldat, américain cette fois, m'a présenté ouvert son portefeuille et indiqué, avec son accent "mes enfants, ma femme", j'ai regardé avec un grand intérêt peut-être seulement apparent, il m'a fait un beau cadeau, je ne sais plus, cigarettes  ou autre . J' en deviendrais grossier "Saloperie de guerre" et comment des hommes qui se disent responsables ne sont-ils pas capables de trouver des solutions à leurs problèmes, par vanité, sot orgueil, inhumanisés totaux. Mais, ce couteau qui n'était pas à moi, il m'a quitté bien vite. On monte dans le train, je l'utilise pour enlever la peau du saucisson casse-croûte, et en même temps je descends la vitre du compartiment et je lâche maladroitement le canif qui descend au fond de la porte ou fenêtre, impossible de le récupérer, il est peut-être encore dans les débris d'un wagon désaffecté, il a peut-être cherché à rejoindre son véritable propriétaire. C'était un signe, bons sentiments certes mais on n'accepte pas de cadeau de l'ennemi, tiens le toi pour dit ( et contribue ainsi à la genèse de nouveaux conflits). J'y pense parfois à ce petit couteau, il est dans le dossier "Souvenirs larmes à l'oeil". Train, Paris, Métro, mon premier Paris, mon premier métro, émerveillement, mais alors la vie a repris, tout est normal, si ce n'est ces uniformes verts partout et ces pancartes indicatrices en bizarres lettres noires  sur fond jaune. Hâte de rentrer. Train, une nuit encore passée sur un banc dans la gare d' une desserte locale qui n'existe plus (Esternay).  Et c'est la maison, la porte est intacte comme prévu. Je cours dans la cour voir si la petite poule naine était encore là. Non, je m'en doutais. Tristesse. La maison a peu souffert, c'est la maison d'en face qui a pris un obus, gros trou béant, sur notre maisons seulement des griffures par éclats, c'est tout, c'est rien. Des gens ont séjourné là, des objets ont disparu, il faudra faire l'inventaire, mais on est là, on est saufs. Cependant où est le poste radio dont mes parents avaient fait l' acquisition dans l'année avant l' exode, plus de mille francs d'alors, pas loin de la paye du mois. Mon père avait déterminé à la minute près le temps d'écoute journalière compatible avec les devoirs et leçons d'une bonne scolarité, comme il avait précédemment limité le temps de lecture par peur de fatigue cérébrale des enfants. Plus de "famille Duraton", plus de "crochet radiophonique," plus de Tino Rossi,, les bases culturelles de l'époque. Et voilà qu'allant emprunter un livre chez un camarade, un peu plus loin, je vois "Est-ce que je rêve?" notre poste, aucun doute, je l'aurais reconnu entre mille. Il enchantait l'espace sonore du voisin avec la belle voix de Rina Ketty, allez voir sa photo sur le net, elle y est, et elle était belle, et elle chantait bien " Je revois les grands sombreros et les mantilles, j'entends les airs de fandangos et seguedille..." pas chanson porteuse de message, ça n'existait pas encore mais sublime quand même . Course vers la maison, tu es sûr? Absolument à mille pour cent. J'y vais. "Mais qu'est-ce qui me prouve, Clovis, que c'est le tien". Mon père en vaillant soldat de 14 n'a pas battu en retraite et a ramené la boîte à chansons et à bourrage de crâne. Quelques jours après, on a décidé de fêter ensemble retour, maison intacte, poste retrouvé et on s'est souvenu avoir quand l'exode était prévisible caché dans le jardin sous quelques centimètres de terre, une bouteille de Champagne, cachée car on connaissait l'attrait des caves de Reims, lors de "la grande", pour la soldatesque. Sauvée de l'ennemi, verres, petits beurre Lu, on attend ravis, le beau claquement du bouchon . Rien !  On verse, un liquide huileux, infect. On ne  méritait pas ça . Lendemain, course vers la Marne et le pont, ils l'ont vraiment détruit et pas qu'un peu, restent les deux piliers, couchés, parallèles, soumis, désespérés. C'est d'un triste à pleurer.
                                                   

                                                                                        

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