vendredi 1 juillet 2022

Exode 8

Après l' exode


     Après l' exode, la vie reprit donc, difficile, il fallait assurer la maintenance de l' armée  d' occupation et se contenter du reste, les files d' attente de souvent plusieurs heures s' étirèrent devant les étals des commerçants pour un résultat bien maigre, les tickets de rationnement apparurent, la ration de pain                s' évanouissait dans le déjeuner du matin, le beurre ne s' étala plus sur les rares tartines, le café laissa sa place aux ersatz.    L 'Etat prôna le "retour à la terre", une grande parcelle communale fut partagée en lots à disposition de qui voulait faire pousser ses pommes de terre, on en demanda une et on se mit au travail de défrichement. Vêtements rares, chaussures introuvables, pénurie générale, avec apparition d' un marché parallèle dit " noir " pour qui pouvait payer. Les kilos superflus fondirent, le look général de la population se modifia.  On savait que des gens étaient  enlevés de leur domicile et qu' on ne les revoyait pas, mais les mesures antijuives étaient mal connues dans le village, parfois des enfants nouveaux apparaissaient, on ne pouvait imaginer l' inimaginable.     Le soir, le couvre-feu nous tenait à la maison. On vit apparaître une bizarre police parallèle, les miliciens, reconnaissables à leur habit bleu et leur béret. Un soir la porte de la maison s' ouvrit brusquement et mon père apparut livide, il ferma la porte à clef et tarda à reprendre son souffle. Après s' être attardé avec des amis à raconter des fadaises dans un "bistrot" quelconque, comme tous les hommes, ou presque, à l' époque en buvant des "canons"  (verres de vin rouge), il avait dépassé l' heure du couvre-feu et un milicien  l' interpella. Au lieu d' obtempérer, ne voulant pas partir en Allemagne, il se projeta  avec  sa bicyclette sur le milicien et sa bicyclette qui s' étalèrent sur le sol  et s' en était suivie une course poursuite dans la nuit autour des rues, qui s' était terminée par cette irruption brutale dans la maison. Le lendemain le milicien questionnait partout, enragé, voulant retrouver le "salopard" qui avait osé...Mon père fut même consulté par le monstre en bleu,  mais il n' était au courant de rien, bien entendu et ne put fournir aucun renseignement. 


    Anecdote musicale. Un soldat occupait la maison voisine,       m' entendant jouer de  l' harmonica, il m' interpella, me demanda mon nom, examina l' instrument et  expliqua à "Jakob "que seuls les allemands et en particulier ceux de sa ville savaient faire des harmonicas de qualité, marque Hohner bien entendu, et qu' il m' en ramènerait un à sa  très prochaine permission à Frankfurt (ou  Stuttgart, je ne sais plus) et il tint parole et me ramena l' instrument. Je le perdis vite, l' ayant prêté à un camarade stupide qui en joua pendant des heures de classe et se le fit confisquer. Comme l' histoire du couteau racontée précédemment, ne rien accepter de l' ennemi. En réalité, le souvenir vient de se préciser, il m' a demandé 20 marks (ou équivalent francs) au moment de la remise.

    Le  même  m' appela bientôt pour proposer à "Yakop" un jeu stupide qui consistait à poser la main ouverte sur la porte en bois de mon garage et à piquer le plus vite possible la pointe de son poignard dans les écartements successifs des doigts, sans piquer les doigts, Il était d' une habileté incroyable. Pour l' honneur de la France, j' essayai avec mon couteau et  n' ayant pas sa vélocité, je me piquai les doigts et saignai un peu. Stupidité totale, après, j' ai continué à m' entraîner sans témoins et j' améliorai la performance avec quand même quelques ratés et  de l' Urgo dans l' air.


    Je rejoignis les bancs de mon cours complémentaire,   jusqu' en classe de troisième, un bon enseignement général, sciences physiques et chimie incluses (au lycée, cette étude ne commençait qu' en classe de seconde).

    Anecdote :  Au Brevet Elémentaire, je fus interrogé en Histoire par une femme apparemment religieuse d' après son vêtement, à mon grand étonnement, questionné sur la Révolution française, alors là, je savais tout, le jeu de paume, Mirabeau, les femmes à Versailles ,La Fayette, la Bastille, les prêtres réfractaires, la Vendée, je soulignai que le clergé était un ordre privilégié qui percevait des impôts sur le pauvre peuple, elle m' arrêta alors, ne voulant pas en savoir plus, ma faconde  sur le sujet était telle qu' elle n' avait pas trouvé un espace pour en placer "une" ou  modérer mes attaques contre le clergé de l' époque révolutionnaire. A mon avis, c' était 10/10 ma note - sauf suspicion  d' anticléricalisme primaire, je plaisante bien sûr, elle était très réservée et convenable cette femme - pas sa faute - avec peut-être une optique autre que la mienne,sur l ' épopée de la grande Révolution française telle que me l'avait apprise, ma chère école publique, laïque.Effectivement sous Pétain fut abrogée une loi de 1904 qui interdisait aux religieux   d' enseigner dans le public et de fortes subventions furent versées à l' enseignement confessionnel mais c' est après lui  que furent votées toutes ces lois suc cessives  qui font prendre maintenant à l' Etat,la charge totale du traitement des maîtres de l' enseignement confessionnel et des  frais de fonctionnement de ces écoles.

    Et la vie continua, tant bien que mal

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