mardi 12 juillet 2022

Destin et ange gardien (1)

Destin et ange gardien 

C' était en 1944, inexorable, la machine de guerre volante anglaise et américaine pilonnait tout, détruisait tout, les bombes pleuvaient sur voies ferrées, gares, ponts. 




On entendait de loin un murmure qui enflait, enflait, occupait tout l' espace et soudain les fusées éclairaient la nuit, un sifflement énorme s' amplifiait et Léviathan faisait son oeuvre. Puis le lourd silence,      l' attente de la deuxième vague,et les ruines, et les camarades absents du lycée les jours suivants et qu' on retrouva alignés, étendus, figés, dans la cathédrale de l' adieu. 

  La veille, ou quelques jours auparavant, lors d' une baignade,  j'avais déjà traversé la Marne à allure record, sous la trajectoire soudaine d' un avion qui visait un train sur la voie ferrée parallèle à la rivière, les projectiles étaient passés au-dessus de ma tête, mes bras avaient fortement mouliné jusqu' à la terre ferme.

                                                                                 Ce jour-là, J' étais allé à la rencontre de mon père pour lui dire que des parents l' attendaient à la maison. Je le rejoignis au milieu d' un petit groupe qui regardait les énormes flammes    s'échappant d' un train de citernes à quelques centaines de mètres, les avions avaient finalisé la destruction de convois qu' ils avaient commencée les jours précédents. Je me joignis au groupe des cinq ou six spectateurs, sans applaudir cependant, c' était si navrant d' en arriver à de telles solutions où plus rien ne comptait, même les vies, amis ou ennemis confondus.


  On perçut le sifflement d' une balle qui se fit un chemin dans le groupe et s' en alla plus loin, pas de victime mais arrivèrent deux soldats allemands  sautant à terre de leurs bicyclettes,  d'où l' imprécision du tir, vociférant, gesticulant, de vrais pantins désarticulés, des jeunes, des grands gamins, ultime recours d' un pouvoir qui avait réussi à faire tuer tous ses adultes ou presque.  Ils se précipitent sur nous, nous poussent le long d' une haie proche, nous alignent, reculent, toujours hurlant, réarment leurs fusils...

                                                                                                         Mon père me souffle, "sauve - toi". Dans la haie derrière moi une échancrure pouvait au prix de quelques éraflures me permettre de plonger et m' enfuir à toutes jambes, je pouvais m' en sortir, mais je savais qu' ils allaient aussitôt tirer "dans le tas" et qu' aucun des autres, père compris, n' en réchapperait, et je ne pouvais laisser mon père, solidarité familiale. Je restai face à mon destin, on allait mourir ensemble.                                        

Les fusils étaient levés et armés et se pointaient sur nous, on attendait la conclusion, quand on entendit des cris, une autre bicyclette arrivait, en descendit très vite un officier allemand qui se précipita sur les soldats et leur intima l' ordre, à grand renfort de gestes, de baisser les fusils et de s' éloigner. Cet homme qui nous avait sauvé la vie, ne nous regarda pas, ne demanda pas un remerciement, il s' en alla, avec sans doute sur lui le poids et la tristesse infinie, de ce désastre que lui n' avait peut-être pas voulu. Il savait que c' était la fin et ne voulait pas ajouter d' autres vies à l' énorme bilan.                        

J' ai repensé ensuite à cet homme qui n' échappa peut-être pas à la traque aux derniers soldats perdus qui se faisait sans distinction des mauvais et des bons. 

                                                                                            Des semaines passèrent , mon destin me réservait un autre gros choc émotionnel.

et voilà que le lis dans une ancienne revue de la Lozère, à peu près la même histoire.
"...la façon miraculeuse dont, toujours près de Badaroux,à quelques centaines de mètres de la maison parentale,il a avec un camarade, échappé au peloton d' exécution :alors qu' ils étaient à  la pêche au bord du Lot, ils sont pris entre deux feux puis appréhendés lors d' une échauffourée entre F.F.I. et Allemands, lorsqu' au dernier moment, déjà collés au rocher, un vieux soius-officier allemand ordonne à sa section d' aller surveiller la route et leur dit : partez, partez"  ( J-P Nogaret- " Mémoires d' un réfractaire" )

lundi 11 juillet 2022

Destin et ange gardien (2)

                                                                                             J'ai raconté comment j'eus la vie sauve par l'intervention d'un officier allemand las des tueries, je me remis très vite de mes émotions, on déboucha le champagne au retour et on mit en réserve cette belle histoire dans la boîte aux souvenirs à raconter aux petits enfants.


 Cependant la guerre s'amplifiait, je connus les bombardements de Laon, une destruction impensable, l'apocalypse en marche, la descente aux souterrains du lycée, calme cependant je n'ai jamais couru, les lendemains à aider au sauvetage de ce qu' on pouvait retirer des maisons éventrées, les énormes bombes non explosées qu'on allait visiter, les rails dressés, les wagons renversés. Et bizarrement je dirai qu'on s'y habitue très vite. De retour au village, on sortait pour écouter le passage des escadrilles de bombardement qui se dirigeaient vers l'écrasement total de l'Allemagne. 

Les avions revenaient et se délestaient de leurs dernières bombes sur n' importe quelle cible, en l' occurrence, ce fut une péniche près du pont défunt. J' étais sorti pour voir passer les avions et regarder les petits nuages dessinés par l'éclatement des obus de DCA. Ce jour-là, ils passaient plus bas que d' habitude, juste au-dessus de nos têtes curieuses, certains habitants étaient dans les caves, j'avais choisi le spectacle direct et soudainement je vis se dessiner dans le ciel des traits noirs parallèles comme des flèches qui indiquaient le sol. Interrogation et stupéfaction, c'est pour nous.


Vite je m' accroupis le long d'une double porte en tôle et ce fut un fracas infernal, une horreur  acoustique et je sentis dans mon dos des impacts que je commençai à compter, un, deux, j'avais des chances, davantage impossible de survivre, 



dix, vingt, trente, tu vas mourir dans les instants qui viennent le corps criblé, percé, toute ma vie repassa en un instant sans résolutions pour si j'en réchappais, car je ne pouvais pas en réchapper et déçu de finir comme ça j'attendis la perte de conscience.

 J' attendis et je réalisai soudain que je n' étais pas mort, étonnement, je me relève dans un nuage de poussière qui cachait en partie, à 20 mètres de là, pas plus, un énorme trou où on aurait pu placer une maison. Je revins quelque temps après contempler l' excavation, et la porte en tôle percée par les éclats de bombe à  l' exception de l' endroit où je m' étais mis à genou, les trous dans la porte dessinaient presque ma forme, ils m' avaient entouré, ils m' avaient dessiné sur la porte, incroyable, un ange protecteur avait veillé sur moi. Les impacts sur mon dos, c' était de la terre et des pierres, pas du métal et je me dis que la vie était belle et que j' allais vivre pleinement ma résurrection.

 Depuis ce temps, je crois à l' ange protecteur.    JB

dimanche 10 juillet 2022

Destin et ange gardien (3)

Laon - 1945 - J' étais élève de l' Ecole normale d' instituteurs de Laon. On nous proposa une visite de la cathédrale avec accès à    l'intérieur des tours aux endroits habituellement hors visite. Nous étions un petit groupe, une quinzaine peut-être avec un guide qui nous emmena dans le haut des tours. Bonne visite, intéressante car dans des endroits habituellement fermés aux visiteurs et voilà que me vint une idée géniale : confectionner vite fait un petit avion en papier et suivre sa trajectoire
sur la ville depuis une altitude 70 mètres.Je suis resté à l' arrière du groupe et je me suis avancé dans une ouverture - créneau sous corniche - et très près du vide  j' ai lancé mon avion mais je n' avais pas prévu que à cause de    l' épaisse mousse verte qui tapissait le sol mes deux pieds allaient glisser et m' entraîner vers l' extérieur à la suite de l' avion. Je me suis senti partir aspiré par le vide et par un geste réflexe    j' ai lancé mes deux bras vers l' arrière où ils se sont refermés sur je ne sais quoi, une gargouille peut-être et j' ai pu ramener lentement avec précaution mes deux pieds en arrière. Une peur affreuse,une énorme sueur froide en imaginant ce qu' aurait été un plongeon de 70 mètres, les réflexions qui seraient venues pendant la descente et  l' affreux contact avec le sol. J' en frémis encore. Je rejoignis le groupe et je n' ai surtout rien dit à personne. Je sais maintenant ce qui a retenu mes bras,c'était mon ange gardien.

vendredi 8 juillet 2022

1940 Exode 1

   Il était si beau mon pont sur la Marne et vous verrez plus loin, ce qu'ils en ont fait. Une pierre lumineuse, trois arches bien cambrées très féminines, sur des piliers solides, confiant en l'avenir. Il me conduisait volontiers chez ma grand' mère, sur l'autre rive de la Marne, à Pavant (Aisne). Chez elle je me mesurais à la course avec un chien jaune plus grand que moi qui me rendait au décuple mon amitié débordante. On affolait les nombreuse poules et même leur beau coq alors qu'on aurait dû les remercier pour leur véritable aptitude à recycler tout, vraiment tout , et à le rendre en oeufs solides au jaune éblouissant. Dans la maison des lampes à pétrole, pas de robinets, l'eau provenait d'une source toute proche, toujours bien fraîche, toujours offerte. Ma grand' mère excellait à faire dorer au bout d'un long manche des gaufres inoubliables. Et ses crêpes, que localement on appelait des "tourtiaux" j'en rêve encore, on n'en fait plus. Le bonheur simple. Et la corbeille pleine de ces belles cartes postales             d' autrefois dont les dernières envoyées par le grand père qui avait laissé sa vie à la guerre et dont la plume habile traçait des pleins et des déliés de toute beauté. Bien sûr, pas de raccourcis, et pas de fautes d'orthographe, une autre époque. Je repasse le pont et regagne la maison, mais au milieu de cette nuit de 1940  on fut réveillé par un  "Avis à la population". A l'époque, un employé municipal  qu'on appelait  "l'appariteur" allait de croisement de rue en croisement de rue porter la parole de l' autorité dans un porte-voix pour diffuser ce que chacun ne devait pas ignorer des décisions municipales. Pour la première fois, il passait de nuit, pour annoncer que le pont arrivait au terme de sa vie et qu'il était urgent de passer de l'autre côté. On s'y attendait, pas d'effet-surprise. D'autres que nous étaient déjà partis depuis quelques jours, comme une famille de ma rue qui fut anéantie par un bombardement visant sur la route une cohorte de ces pauvres gens désemparés qui fuyaient la guerre.  Nous, fonctionnaires (mon père s' entend car facteur des PTT) ne pouvions partir que sur ordre de l'Administration ou à défaut, de la mairie. On mit vite quelques chemises et chaussettes dans deux ou peut-être trois valises qu'on sangla vite fait sur deux vélos.  J'abandonnai, le glaive au coeur, un être vivant, une petite poule naine au plumage mordoré qui m'avait été confiée par des voisins partis  quelques jours auparavant. Je pris toutefois le temps de répandre dans la cour de la maison un gros sac de grains de blé pour lui permettre  d' attendre mon retour.  A cette époque, comme tout adolescent, je n'étais pas très concerné par tout çà, on n'est pas responsable, on le sait et on en profite. De plus on se croit invincible et indestructible. Alors quand les canons de la DCA dessinaient de belles lumières dans le ciel, je sortais pour les voir et entendre le choc des éclats qui retombaient bruyamment sur les tôles du hangar. Une voisine (celle de la poule naine) s'en étant aperçue déclara à mon égard  "C'est le petit frisson guerrier". Littérairement c'est beau, mais je ressentis le choc. Totale aberration me concernant. J'en fus blessé "grave". D'autant qu' auparavant, cette dame qui me faisait chanter dans une fête scolaire (belle voix reconnue) "Malbrought s' en va-t-en guerre" m'avait vertement rabroué pour une mauvaise prononciation accentuée  du mot "guerre" qu' ensuite je n'osais plus articuler, essayant en y réussissant mal d'escamoter le "g" dans mon chant (on souffre quand on est un gamin, on est fragile).  Bon, c'était un aparté et je repars. Mon père déclara que si on voulait retrouver la porte entière au retour il fallait totalement oublier la serrure, on se contenta de pousser la porte et on laissa donc la maison à disposition de qui voudrait y entrer. Poussant les vélos supportant des valises en carton vite remplies de quelques linges de rechange, mes parents ma soeur un peu plus âgée et moi nous passâmes sur l'autre rive. Georges B, je suis désolé de te contredire mais il ne suffit pas "de passer le pont". Je vais te raconter...

jeudi 7 juillet 2022

1940 Exode 2

      C' est la nuit, le pont est passé, on monte la côte en poussant les vélos pour aller vers le plateau comme on fait quand on quitte toute vallée, et ça grimpe dur, on ne sait pas trop où on va et on sommeille encore . Je me souviens m' être endormi et réveillé au sol sous la valise et sous le vélo. On continue et on arrive au  petit matin au village d'origine de mes grands parents (côté mère), joli nom, Hondevilliers, on a quitté l'Aisne, on est en Seine et Marne.  Ma mère a déjà émigré lors de la première guerre mondiale, deux fois même, avec des charrettes et des boeufs,  elle connaît,  en habituée. On essaie d' apercevoir, dans le jour qui naît,  les murs de nos aïeux, on hésite, mais pas de temps à perdre et puis on n'est pas seuls, la route se garnit, comme le "Cid" de Pierre Corneille, nous partîmes cinq cents etc... à peu près car quelques-uns avaient bien dû rester, volontairement ou pas réveillés, mais par un prompt renfort, parodiant Corneille nous nous vîmes trois mille avec les gens du Nord, (excusez-moi, je n'ai pas pu m' en empêcher et j' aime la rime) puis ce n'est plus très net, des camions, de la marche, des autobus, encore de la marche, un petit train local aussi, et toujours ces deux vélos qui nous encombrent au lieu de nous aider, on dort où on peut, dans des  granges, salles d'accueil, parfois un peu entassés, sol ou paille, fais pas la fine bouche, toilette vite faite, c'est l' aventure faut la vivre au maxi, on mange ou on mange pas, c'est selon, au hasard des accueillants qui vont à leur tour être des accueillis.  Aïe, l'un des vélos, juché sur le faîte d'un car est entré en contact avec une branche basse et ses roues décrivent maintenant des cercles imparfaits, je peine à le tirer. Excellent souvenir, d'une nuit confortable à Clamecy où spécialement pour nous, non coupables, on a ouvert les portes du Palais de Justice  nous procurant une nuit confortable allongés sur les marches d'accès au prétoire. Le luxe total. A Sens, sur la grand place, des soldats, autant que nous en errance, nous jettent des boules de pain,  un peu dures, on les ramasse par terre, on essuie la poussière, hygiène douteuse, un régal. Pas de récriminations, ça change des miches blanches. Les soucis deviennent visibles chez les parents malgré leur expérience des situations d'exception, quand on aura dépensé les derniers sous comment fera-t-on, surtout, autre souci, on dévie de la ligne fixée par l'Administration des PTT (Postes, Télégraphes et Téléphones) qui ayant tout prévu avait  indiqué à ses agents de se rendre à Laval, dans la Mayenne, et pas ailleurs, là seulement ils toucheraient leur paye ou au moins un acompte permettant de subsister jusqu'à la saison prochaine, suffisait d' y aller mais  ces véhicules, camions ou autobus, quand ils voulaient bien nous prendre c'était direction vers le Sud, quelle idée car la Mayenne, c'est à l'Ouest sur la carte, impossible de dévier leur parcours, volant fixe vers le Sud et souci grandissant chez les parents.  Le  Sud, vous  savez et l' avez peut-être chanté, "C' est un endroit qui ressemble à la Louisiane, à l'Italie  etc..." vrai musicien Nino Ferrer. Mais la situation n'est pas à chanter, elle est à marcher. On continue, tiens c'est Clermont-Ferrand au grand dam de mon père et à son corps défendant, on est loin de la Mayenne. Il est père, il doit subvenir à nos besoins, ce n'est pas rien d'être père, mon père fallait y penser avant, pas ma faute, moi je suis en dehors de tout souci ou responsabilité, pas encore un homme et pas pressé de le  devenir, vu comment çà se passe  et  l' aventure c' est génial. Au hasard d'un transport, on trouve échouée là, du côté de Clermont-Ferrand ma grand mère (côté père), comment est-elle arrivée là, toute seule, on se demande. Ma soeur un peu plus âgée que moi, lui tient compagnie pour la réconforter, on remonte dans un bus, on fait quelques kilomètres et on regarde autour de soi, plus de soeur, plus de grand 'mère, perdues, envolées...exagèrent ... le car est parti sans elles . Stress total mais on les retrouvera un peu plus tard dans une usine désaffectée, à "Le Monastier" je crois. Soeur retrouvée mais grand mère reperdue et pas revue jusqu' au retour, résignation, on la retrouvera bien un jour , elle a su  venir, elle saura repartir.

mercredi 6 juillet 2022

1940 Exode 3

J' en étais où ? Ah oui, la grand mère reperdue, on l'a retrouvée plus tard dans son village, Pavant, où elle était rentrée toute seule ( sais pas comment). Donc on entre en Lozère, et sans peur car si on avait connu  l' histoire de la féroce bête du Gévaudan on serait retourné en courant vers la Mayenne, et l'histoire de l'auberge sanglante ou "auberge rouge" de Peyrebeille, vous la connaissez, c'est plus à l'ouest  dans  l'Ardèche. Belle journée, beau temps, la famille bien serrée et conditionnée se présente au bureau des PTT  de Saint Chély d'Apcher, (faut apprendre à le prononcer ce nom) .  Monsieur le Receveur, je suis facteur des PTT (et j'en suis fier, plaisante pas, c'est pas le moment) dans l' Aisne, je vais à Laval (mon premier palindrome connu) dans la Mayenne et ... Entrez, je vous en prie..Accueil plus que chaleureux de cette bonne famille émue par l'errance de ces pauvres gens de là - haut, si loin. Invitation à une table bien garnie. Vous en prendrez bien encore un peu - Ah oui et sans me faire prier - ensuite une vraie chambre avec de vrais draps de lin, et même un lavabo  nécessité plus qu' absolue, à cette époque je n' avais encore jamais vu une baignoire ou une douche, c' était toilette rapide à l' eau froide devant un lavabo trop haut, pas  d' autre chauffage dans la maison que la cuisinière dans la cuisine, et cependant on survivait (en grelottant). On    l' a évoqué souvent, ensuite, cet hébergement à un tas d'étoiles et comme c'étaient de braves gens etc, ça devenait une litanie à la maison (non, j'ai pas dit l'Italie, mon épouse qui m' écoute sur mon épaule est aux trois-quart sourde ). On serait restés volontiers mais il fallait reprendre la route dans cette longue marche vers le Graal qui pour nous était la feuille de paye. Merci infiniment, s'il vous plaît indiquez-nous la route de Mende et comment y arriver. On a dû prendre une ligne secondaire, qui sûr, n'existe plus maintenant que la notion de service public est devenue désuète et ringarde et que seul le profit compte. Arrivée à Mende, accueil à la gare par les bonnes dames, pas de fanfare mais presque et on nous conduit à une longue table où ces dames dévouées et charitables, je les trouve même jolies, nous versent un grand bol de soupe, de la bonne aux légumes, et même une deuxième si on veut (je partirais bien tous les ans en vacances-exode à Mende). Je pensais bien devoir, en contre-partie, réceptionner un message du genre   "N' oublie surtout pas dans tes prières de remercier Notre seigneur et sa bonne mère Marie pour cette soupe chaude et leur infinie bonté envers toi" (Bonté, faut voir). En pur produit de la grande école publique, laïque, républicaine et libératrice, j'avais des doutes déjà bien ancrés. Mais je suis mauvaise langue et esprit mal tourné, rien de ce genre, seulement pure compassion gratuite et désintéressée.Après la soupe, le toit. On nous conduit à de beaux baraquements qui sentaient bon la résine fraîche, des box à deux fois deux lits superposés, en planches avec paillasses bien propre et toute neuves, on était les premiers. Rien à dire si ce n'est que ce beau logement était édifié en bordure de la rivière Lot, parfois capricieuse et plus ou moins débordante, en clair on avait de l'eau jusqu'aux chevilles. On laissera sécher et on grattera la boue, mais d' abord auparavant nécessité absolue est d'aller se présenter à la Direction départementale des PTT. Mon père se présente dès le lendemain au Centre, accueil très poli mais bientôt " Mon pauvre ami, que faites-vous là, on vous a dit d'aller à Laval dans la Mayenne, allez à Laval, ici on  ne peut rien pour vous". La cata. On revient aux baraquements "Demain, à la gare, on va à Laval " (refrain connu). Timide objection de ma part "on n' est pas mal ici, nourris et logés et si on remonte on va rencontrer les allemands ."Tais-toi et t'occupes pas de ça". On va à la gare dès le matin, on voit deux quais et sachant que les trains roulent  à gauche et qu'il ne faut surtout pas aller (hélas, je ne verrai pas la mer) vers le Sud, on montera dans le premier train bien orienté et sans billet, ça n' existe plus. Il en vint après une longue attente, tout n' était donc pas perdu. Où  allait-il ? Bonne question, vers le haut de la carte, c'est déjà pas mal. On introduisit le dernier vélo dans le fourgon de queue et c'est ainsi que (personnellement pas très rassuré quand même), nous allâmes à la rencontre de l'armée allemande.

mardi 5 juillet 2022

1940 Exode 4

    On remonte. On ne savait pas trop où allait le train, on verrait bien. Sûr, çà nous rapprocherait  de Laval ( en Mayenne, j'insiste et ne veux plus de moqueries). Pas à mon aise dans ce train à vapeur allant je ne sais où. Je supporte cependant, il fallait bien arriver à Laval pour y recevoir quelque argent, même dussions-nous finir le trajet à pieds ? un "s" car on en a deux, sauf exceptions courantes suite aux blessures de guerre, unijambiste ou unibrassiste, c' était courant (si on peut dire avec une seule jambe) après la grande guerre. On s' y habitue on en reparlera plus loin à propos de mon père qui était revenu sans l' usage d' un bras et osait dire qu' il en était heureux (de s' en être sorti comme ça). On avait pris le bon quai, déjà çà. Le train roula, roula, parfois il s'arrêtait en durée indéterminée, pour cause indéterminée, endroit indéterminé, il repartait, long, long  (le temps, pas le train), quand même un bon train. Je comptais les chocs aux raccords des rails, ce bruit qui se répète, qui lasse, qui fait somnoler mais qui permet si on connaît la longueur des rails et si on dispose d'une montre d'en déduire la vitesse de l'engin, pas de machine à calculer en ce temps-là et ma belle montre à gousset était restée dans la maison ouverte, la reverrais-je ? Je l'avais reçue en cadeau de communion solennelle, oui  je l'avais faite ma communion, mon père ne croyait plus à grand chose après la guerre, (ni même avant d' ailleurs) mais pas sectaire, il m'avait laissé suivre ma curiosité, je voulais faire comme tous les autres et au catéchisme on s' amusait bien, on nous racontait des histoires, on nous projetait de belles images de gens qui, je me demandais pourquoi portaient toujours des poteaux en bois, c' était vraiment plus qu' un peu  répétitif. De plus je ne connaissais pas la longueur des rails, je raconte tout çà pour montrer que c'était long ce voyage de remontée. On peut aussi inventer une onomatopée,  exemple "on va bien-TÔT-a-rri-VER, on va bien -TÔT-a-rri-VER ...", vous pouvez même le chanter d'abord en Do majeur  et varier avec l' anatole préféré de Charles Trenet : Do, La mineur, Ré mineur, Sol 7ème  (tous les gratteurs de guitare connaissent), vous pouvez aussi  chanter en mineur si vous êtes triste. D'un seul coup, arrêt total, silence, black-out, plus de mouvement, adieu, anatole, do majeur, montre à gousset... on est face à l'ennemi (après armistice quand même, drapeau blanc, pas encore amis mais çà viendra pour certains, collabos... honte à cette France là). J'avais prévenu mon père que les ennuis allaient commencer, au lieu de rester près des bonnes dames à la bonne soupe, mais têtus tous ces vieux, il avait quand même 42 ans...Train immobilisé, finie la Mayenne, adieu la feuille de paye, je la voyais ouvrir des ailes blanches et s'envoler par la fenêtre du compartiment, même  deux feuilles car deux fonctionnaires des PTT dans la famille.(J'ose le mot "fonctionnaire" très péjoratif qui signifie nanti, privilégié, parfois payé à ne rien faire, oui mon  bon monsieur et même "c'est nous qu'on les paye", expression reçue en pleine face,un jour, des années après cette histoire par l'auteur de ces lignes devenu instituteur dans son village, vraiment pas  généreux mon Etat employeur, de plus j'étais un des très rares du pays soumis à l'impôt).    Alors, on est où ? Dans une gare "La Mothe Saint Heray", drôle de nom , drôle de saint, connais pas, fais voir le calendrier des PTT. On descend les valises en carton-pâte. Pardon, monsieur le chef de gare, est-on dans la Mayenne? - pas du tout - et c'est loin la Mayenne ?- Peux pas dire les kilomètres mais c'est pas tout près. Gens du pays très accueillants, on est emmenés dans une grande maison adossée à la voie ferrée, par une vieille dame et ses deux fils jumeaux (dont l'un ne reviendra pas des camps), des menuisiers. Grande salle à disposition, chambres, pas de bruit de train, finis les trains, figés les trains, calme et repos, un potager bien soigné dont on profitera. Bonne nuit. çà s'arrange.  Lendemain matin lever aux aurores, coup d'oeil curieux aux alentours et que voit-on ? Un camion de soldats allemands a manqué le pont du chemin de fer et est passé par-dessus  la rambarde, des soldats courent, l'ambulance est là. Je suis tout attristé, cet homme s'en sortira-t-il ? D'un seul coup ce n'est plus un soldat ennemi, c' est un homme sans uniforme avec femme et enfants. Comment en est-on arrivé là et je me remémore alors, une remarque que j'avais faite à mon instituteur et sa réponse, je vous expliquerai au prochain paragraphe de mon récit.

dimanche 3 juillet 2022

1940 Exode 5

J'ai terminé la page précédente  en parlant d'un instituteur que je vénérais, il nous apprenait la République. En classe un jour de 1938, on parlait de l' Allemagne et de ses habitants, de la solidarité nécessaire entre les peuples, mais moi, pensant à mon père mutilé de guerre, j'étais bien d'accord, certes, mais avec mention particulière quand même envers les allemands et j'eus un mot malheureux  "- Oui, M' sieur, mais ce sont nos ennemis "  - Oh, là là ! qu'est-ce que j'avais pas dit ! - "Mais mon petit, en parlant comme ça on aura toujours des morts sur des champs de bataille, nous sommes des hommes comme tous les hommes de toutes les nationalités et de tous les pays, nous nous devons concorde, solidarité et refuser toutes les destructrices idées de revanche dont on a pu nous imprégner, il faut se serrer les mains,  réfléchis-y-bien etc..." Il n'a pas dit exactement ça, mais c'est ce que j'aurais proclamé à sa place. Honte sur moi, je résolus de revoir mes points de vue et à l'avenir surtout de mieux tenir ma langue, mais pourtant qu'en advint-il?  Deux ans plus tard, mobilisé, prisonnier de guerre, il revint en pas très bon état alors je ne jugeai pas bienvenu de confronter de nouveau nos points de vue. (il avait vu si c'était des amis !). J'enchaîne avec mon père, même si ça nous écarte un peu de notre périple vers où, je ne le redirai pas puisque vous savez qu' on allait vers la ville de Laval, dans la Mayenne, via la Lozère Donc mon père travaillait avec son père, petite entreprise familiale de maçonnerie, famille besogneuse, 4 frères plus un  décédé accidentellement, 3 soeurs. Né en 1897, il avait un peu moins de 20 ans en mai 1917 quand on le mit dans une tranchée au "Chemin des Dames" dont il reçut le 5 mai au matin (il paraît que les sorties étaient parfois précédées d'une bonne rasade de rhum, allez savoir pourquoi) l'ordre de sortir pour aller prendre la tranchée d'en face, à quelques dizaines de mètres où se terraient les ennemis (pour ce mot voir paragraphe précédent). Simple, se désemmêler des barbelés partout emmêlés, passer entre les balles des tirs des mitrailleuses et les mille éclats des obus, descendre dans la tranchée d'en face, faire des prisonniers (on est humains quand même) et hisser le drapeau de la victoire, attention pas le droit de reculer, regard vers l'avant. Les chances de réussir c'était zéro, celles d'en revenir intact tout près de zéro.  Les généraux qui devaient surveiller dans des lorgnettes, d'assez loin cependant rassurez - vous, avaient jugé cette attaque-suicide nécessaire à la victoire de la grande France éternelle et ils recommencèrent sans se lasser la même stratégie. Par chance, cette fois-là, avec mansuétude, ils ne firent pas de "fusillés pour l'exemple" Mourir pour la Patrie ...sort le  plus beau...le plus digne d'envie... Mon père osa me dire plus tard que pour la Patrie il était pas contre mais que la guerre c'était aussi pour défendre les biens de ceux qui en avaient beaucoup, mon père des fois il disait  n ' importe quoi, (pas comme son fils). Toujours est-il   que le sentiment du devoir envers le pays était fort et peu voulaient s' y soustraire.  Mon père donc fut ramassé à terre par des infirmiers-brancardiers courageux, lui pas très frais, un peu très rouge partout, quelques centimètres d' os en moins dans l'humérus droit, des éclats d' obus baladeurs dans le thorax, ça on ne le vit qu'après quand on inventa la radio. (Tout heureux mon père, çà faisait un peu mal mais sorti de l'enfer). Une peau solide avait retenu le bras qui sinon aurait pu aller loin, et puis convalescence dans le Béarn, soigné par de jolies infirmières, j'ai une photo qui en témoigne, des chirurgiens compétents et je le souligne, de grande expérience, évitèrent l'amputation. (Anesthésie au tampon imbibé chloroforme). Bras au diamètre rétréci qui pouvait pivoter sur lui même et un peu plus court que l'autre. Plus tard, dans la pénurie des textiles ma mère put me faire des pantalons dans les uniformes de mon père, les pantalons oui, mais les vareuses non, inutilisables, bras droit trop court, aussitôt acquises aussitôt raccourcies à droite par mon adroite mère.Mon père eut donc droit à une pension d' invalidité (plus quart de place dans les transports). Des nerfs non sectionnés permettaient aux doigts de fonctionner, il suffisait de bien appliquer la main sur la table pour s'en servir, donc tout allait pour le moins mal. La commission d'attribution de pensions le déféra à des experts en médecine militaire qui décidèrent qu'un étui de cuir bien serré, bien dimensionné, bien lacé ferait retrouver au bras une rigidité suffisante pour un usage presque normal, le taux d'invalidité tînt compte bien sûr de cette résurrection du bras. L'étui salvateur entraîna tant  d' allergies et de douleurs qu'il fut abandonné après quelques semaines de totale inefficacité et même nuisiblilité et le bras resta ballant. Le taux d' invalidité resta le même. Les éclats d'obus baladeurs, visibles à la radio,  ils n'étaient pas très gros, et pour  l' instant semblaient ne pas se déplacer, pas de quoi faire des histoires, baste!

1940 Exode 6

Nous sommes donc à La Villedieu de Comblé dans les Deux-Sèvres (j'ignore laquelle des deux) dans cette grande maison où l'on nous a si gentiment accueillis. Bien logés, un potager cultivé et productif, un atelier de menuiserie où je ferai bientôt mes premiers essais. Pas de bruit de train puisque le camion fou allemand a bloqué les voies, mais ça ne dure pas, les voilà qui repassent de l' autre côté du mur de la chambre, réveil en sursaut, inquiétude, des convois d'une longueur qui n' en finit pas, soldats ou matériel militaire. Les habitants de la maison disent que depuis longtemps ils n'entendent plus les trains. Peine à les croire. Entre temps, un vieil homme, général - maréchal, a mis fin aux hostilités en signant   l' armistice, pas vraiment la paix des braves. Il a déclaré d' une voix chevrotante retransmise par toutes les radios qu' il faisait "don de sa personne à la France". Belle formule. Mon père qui connaît ses généraux, pour les avoir pratiqués en 17, bougonne et reste dubitatif. Pour ma part, je constate que ma République française, (la troisième, Président Albert Lebrun) que je vénère, je suis un pur produit  de l' école publique et de ses maîtres qui m' ont appris sa naissance, ses errements, sa fragilité, tout ce qu' elle a pu subir après sa première proclamation ( mais pourquoi lui en voulait-on tant, qui dérangeait-elle cette République ?), je constate qu' elle a muté, elle est devenue " Etat français", ça me fait un choc, d'autant plus que la devise, il ne s'agit pas de cet argent dont la culte va se développer très vite, mais de trois mots "Liberté Egalité Fraternité" (comment peut-on dire tant de choses en trois mots), a muté elle aussi pour devenir "Travail, Famille Patrie", que signifient ces trois mots, ils seraient mieux que les premiers ? tout cela demande réflexion et je me demande où ça va nous mener, je n'ai pas confiance, le fiston est aussi dubitatif que le père. On est à la Villedieu, on se renseigne, Laval est loin mais Niort est à quelques dizaines de kilomètres et le porte-monnaie est très plat, alors on y va, tout au moins les deux postiers de la famille, père et fille, vélo, train, auto ...peu importe, ils reviennent avec une petite avance pécuniaire, ils ont eu bon accueil à la Direction départementale de Niort où on leur a conseillé fortement d'essayer de rentrer chez eux. Décision prise, on rentrera comme on pourra, mais on rentre à la maison, si toutefois on en a encore une, that is the question, d'abord les deux postiers et si tout va bien, mère et fils suivront, c'est très sage et bien raisonné .Ils prennent donc, père et soeur, un train, en embarquant le vélo qui reste, il en faut un pour la tournée du facteur et  l' Administration n'en fournit pas à cette époque, le dernier avait été livré par le camion de  livraison de la Samaritaine. Le vélo n' arrivera pas, plus tard on recevra un avis de la SNCF disant qu'un vélo semblant nous appartenir par une plaque trouvée sur le cadre avec nos noms et adresse, avait été trouvé dans les décombres d'une gare, je ne sais où, et qu' il était à notre disposition. ( Une vraie épave qui ressemblait vaguement à un vélo, une ruine totale). Il était alors obligatoire de fixer sur la bicyclette deux plaques, l'une d'identité, l'autre, la plaque à vélo,  justifiant du paiement d'une taxe de circulation en vélocipède, on l'achetait au Bureau de tabac. La gendarmerie contrôlait sévèrement les vélos, faute d'autos en nombre suffisant, et ils faisaient du chiffre. Et on les craignait les gendarmes, toujours quelque part à épier le délinquant, par deux, à pied ou à bicyclette. Pas de pitié, le PV,  je t' aligne. On en avait une frousse. Etant gamins, on surveillait de loin leur silhouette, je crois qu'on avait peur de la prison, et sur nos vélos ralentis par des roues toujours plus ou moins voilées vu le régime qu'on leur imposait, c'était du rétropédalage vite fait  Bonne nouvelle . "Nous sommes arrivés, maison en bon état, pouvez rentrer". On y va!                           

samedi 2 juillet 2022

1940 Exode 7


    On s'était arrêté à bonnes nouvelles, "Maison debout, rentrez." Montée dans le train, avec notre petite valise, très légère. Anecdote. Je sais que vous les aimez. Lors d'une course au village, chez l'épicier-bazar, un soldat allemand était présent dans la boutique, il achetait je ne sais quoi, leur deutch-mark ayant un taux de conversion en francs très élevé, pourquoi ne pas en profiter. Il m'interpelle, achète un petit couteau-canif et me le tend. Un beau petit couteau avec incrustée dans le manche en bois, une boussole. J'adore les couteaux, j'en ai des dizaines, ce qui résulte des jeux enfantins, chacun avait son couteau, on allait dans les bois, on faisait des arcs et des flèches, on confectionnait des sifflets, il était impensable d'imaginer un gamin sans son couteau, et un couteau qui coupe, un vrai. Etonnement, ne rien accepter de l'ennemi, mais je comprends que ce n'est pas à moi qu'il offre ce couteau, je ne suis qu'un symbole, il l'offre en réalité, à son fils là-bas, qu'il n'a pas vu depuis longtemps. Ce serait cruel de refuser, j'accepte et son sourire est grand et en dit long. Je crains qu'il ne l'ait pas revu son fils. Quelques années plus tard,  j'avais grandi, j'étais à Laon dans le tram-funiculaire qui relie la ville basse et la ville haute, un soldat, américain cette fois, m'a présenté ouvert son portefeuille et indiqué, avec son accent "mes enfants, ma femme", j'ai regardé avec un grand intérêt peut-être seulement apparent, il m'a fait un beau cadeau, je ne sais plus, cigarettes  ou autre . J' en deviendrais grossier "Saloperie de guerre" et comment des hommes qui se disent responsables ne sont-ils pas capables de trouver des solutions à leurs problèmes, par vanité, sot orgueil, inhumanisés totaux. Mais, ce couteau qui n'était pas à moi, il m'a quitté bien vite. On monte dans le train, je l'utilise pour enlever la peau du saucisson casse-croûte, et en même temps je descends la vitre du compartiment et je lâche maladroitement le canif qui descend au fond de la porte ou fenêtre, impossible de le récupérer, il est peut-être encore dans les débris d'un wagon désaffecté, il a peut-être cherché à rejoindre son véritable propriétaire. C'était un signe, bons sentiments certes mais on n'accepte pas de cadeau de l'ennemi, tiens le toi pour dit ( et contribue ainsi à la genèse de nouveaux conflits). J'y pense parfois à ce petit couteau, il est dans le dossier "Souvenirs larmes à l'oeil". Train, Paris, Métro, mon premier Paris, mon premier métro, émerveillement, mais alors la vie a repris, tout est normal, si ce n'est ces uniformes verts partout et ces pancartes indicatrices en bizarres lettres noires  sur fond jaune. Hâte de rentrer. Train, une nuit encore passée sur un banc dans la gare d' une desserte locale qui n'existe plus (Esternay).  Et c'est la maison, la porte est intacte comme prévu. Je cours dans la cour voir si la petite poule naine était encore là. Non, je m'en doutais. Tristesse. La maison a peu souffert, c'est la maison d'en face qui a pris un obus, gros trou béant, sur notre maisons seulement des griffures par éclats, c'est tout, c'est rien. Des gens ont séjourné là, des objets ont disparu, il faudra faire l'inventaire, mais on est là, on est saufs. Cependant où est le poste radio dont mes parents avaient fait l' acquisition dans l'année avant l' exode, plus de mille francs d'alors, pas loin de la paye du mois. Mon père avait déterminé à la minute près le temps d'écoute journalière compatible avec les devoirs et leçons d'une bonne scolarité, comme il avait précédemment limité le temps de lecture par peur de fatigue cérébrale des enfants. Plus de "famille Duraton", plus de "crochet radiophonique," plus de Tino Rossi,, les bases culturelles de l'époque. Et voilà qu'allant emprunter un livre chez un camarade, un peu plus loin, je vois "Est-ce que je rêve?" notre poste, aucun doute, je l'aurais reconnu entre mille. Il enchantait l'espace sonore du voisin avec la belle voix de Rina Ketty, allez voir sa photo sur le net, elle y est, et elle était belle, et elle chantait bien " Je revois les grands sombreros et les mantilles, j'entends les airs de fandangos et seguedille..." pas chanson porteuse de message, ça n'existait pas encore mais sublime quand même . Course vers la maison, tu es sûr? Absolument à mille pour cent. J'y vais. "Mais qu'est-ce qui me prouve, Clovis, que c'est le tien". Mon père en vaillant soldat de 14 n'a pas battu en retraite et a ramené la boîte à chansons et à bourrage de crâne. Quelques jours après, on a décidé de fêter ensemble retour, maison intacte, poste retrouvé et on s'est souvenu avoir quand l'exode était prévisible caché dans le jardin sous quelques centimètres de terre, une bouteille de Champagne, cachée car on connaissait l'attrait des caves de Reims, lors de "la grande", pour la soldatesque. Sauvée de l'ennemi, verres, petits beurre Lu, on attend ravis, le beau claquement du bouchon . Rien !  On verse, un liquide huileux, infect. On ne  méritait pas ça . Lendemain, course vers la Marne et le pont, ils l'ont vraiment détruit et pas qu'un peu, restent les deux piliers, couchés, parallèles, soumis, désespérés. C'est d'un triste à pleurer.
                                                   

                                                                                        

vendredi 1 juillet 2022

Exode 8

Après l' exode


     Après l' exode, la vie reprit donc, difficile, il fallait assurer la maintenance de l' armée  d' occupation et se contenter du reste, les files d' attente de souvent plusieurs heures s' étirèrent devant les étals des commerçants pour un résultat bien maigre, les tickets de rationnement apparurent, la ration de pain                s' évanouissait dans le déjeuner du matin, le beurre ne s' étala plus sur les rares tartines, le café laissa sa place aux ersatz.    L 'Etat prôna le "retour à la terre", une grande parcelle communale fut partagée en lots à disposition de qui voulait faire pousser ses pommes de terre, on en demanda une et on se mit au travail de défrichement. Vêtements rares, chaussures introuvables, pénurie générale, avec apparition d' un marché parallèle dit " noir " pour qui pouvait payer. Les kilos superflus fondirent, le look général de la population se modifia.  On savait que des gens étaient  enlevés de leur domicile et qu' on ne les revoyait pas, mais les mesures antijuives étaient mal connues dans le village, parfois des enfants nouveaux apparaissaient, on ne pouvait imaginer l' inimaginable.     Le soir, le couvre-feu nous tenait à la maison. On vit apparaître une bizarre police parallèle, les miliciens, reconnaissables à leur habit bleu et leur béret. Un soir la porte de la maison s' ouvrit brusquement et mon père apparut livide, il ferma la porte à clef et tarda à reprendre son souffle. Après s' être attardé avec des amis à raconter des fadaises dans un "bistrot" quelconque, comme tous les hommes, ou presque, à l' époque en buvant des "canons"  (verres de vin rouge), il avait dépassé l' heure du couvre-feu et un milicien  l' interpella. Au lieu d' obtempérer, ne voulant pas partir en Allemagne, il se projeta  avec  sa bicyclette sur le milicien et sa bicyclette qui s' étalèrent sur le sol  et s' en était suivie une course poursuite dans la nuit autour des rues, qui s' était terminée par cette irruption brutale dans la maison. Le lendemain le milicien questionnait partout, enragé, voulant retrouver le "salopard" qui avait osé...Mon père fut même consulté par le monstre en bleu,  mais il n' était au courant de rien, bien entendu et ne put fournir aucun renseignement. 


    Anecdote musicale. Un soldat occupait la maison voisine,       m' entendant jouer de  l' harmonica, il m' interpella, me demanda mon nom, examina l' instrument et  expliqua à "Jakob "que seuls les allemands et en particulier ceux de sa ville savaient faire des harmonicas de qualité, marque Hohner bien entendu, et qu' il m' en ramènerait un à sa  très prochaine permission à Frankfurt (ou  Stuttgart, je ne sais plus) et il tint parole et me ramena l' instrument. Je le perdis vite, l' ayant prêté à un camarade stupide qui en joua pendant des heures de classe et se le fit confisquer. Comme l' histoire du couteau racontée précédemment, ne rien accepter de l' ennemi. En réalité, le souvenir vient de se préciser, il m' a demandé 20 marks (ou équivalent francs) au moment de la remise.

    Le  même  m' appela bientôt pour proposer à "Yakop" un jeu stupide qui consistait à poser la main ouverte sur la porte en bois de mon garage et à piquer le plus vite possible la pointe de son poignard dans les écartements successifs des doigts, sans piquer les doigts, Il était d' une habileté incroyable. Pour l' honneur de la France, j' essayai avec mon couteau et  n' ayant pas sa vélocité, je me piquai les doigts et saignai un peu. Stupidité totale, après, j' ai continué à m' entraîner sans témoins et j' améliorai la performance avec quand même quelques ratés et  de l' Urgo dans l' air.


    Je rejoignis les bancs de mon cours complémentaire,   jusqu' en classe de troisième, un bon enseignement général, sciences physiques et chimie incluses (au lycée, cette étude ne commençait qu' en classe de seconde).

    Anecdote :  Au Brevet Elémentaire, je fus interrogé en Histoire par une femme apparemment religieuse d' après son vêtement, à mon grand étonnement, questionné sur la Révolution française, alors là, je savais tout, le jeu de paume, Mirabeau, les femmes à Versailles ,La Fayette, la Bastille, les prêtres réfractaires, la Vendée, je soulignai que le clergé était un ordre privilégié qui percevait des impôts sur le pauvre peuple, elle m' arrêta alors, ne voulant pas en savoir plus, ma faconde  sur le sujet était telle qu' elle n' avait pas trouvé un espace pour en placer "une" ou  modérer mes attaques contre le clergé de l' époque révolutionnaire. A mon avis, c' était 10/10 ma note - sauf suspicion  d' anticléricalisme primaire, je plaisante bien sûr, elle était très réservée et convenable cette femme - pas sa faute - avec peut-être une optique autre que la mienne,sur l ' épopée de la grande Révolution française telle que me l'avait apprise, ma chère école publique, laïque.Effectivement sous Pétain fut abrogée une loi de 1904 qui interdisait aux religieux   d' enseigner dans le public et de fortes subventions furent versées à l' enseignement confessionnel mais c' est après lui  que furent votées toutes ces lois suc cessives  qui font prendre maintenant à l' Etat,la charge totale du traitement des maîtres de l' enseignement confessionnel et des  frais de fonctionnement de ces écoles.

    Et la vie continua, tant bien que mal