Je me revois quarante années en arrière quand surgit dans
nos écoles un évènement qui changea nos vies d' enseignants, un
cataclysme. J' en avais vaguement entendu parler par un collègue d' une
ville voisine " Tu sais ce que c' est la théorie des ensembles ? - Non,
aucune idée - On en parle beaucoup - Ah bon ! " .
Et on en parla de
plus en plus si bien que j' achetai une publication toute neuve qui m'
expliqua par le détail de quoi il s' agissait, remettre de l'ordre dans
une maison un peu disparate, reconsidérer la structure des nombres,
savoir de quoi on parle et faire avec des mathématiques de la
mathématique.
Et j' étais à peu près prêt quand le tsunami surgit dans
les classes, on organisa des réunions, j' assistai à l' une au chef
lieu du département ou en une journée j' eus droit à l' exposé à
rapidité vertigineuse des nouvelles maths de la 6ème à la terminale. On
se regardait entre collègues ce qui signifiait " tu suis encore ou t'
es largué ?"
Une autre fois, convoqué encore, à mon avis pour être mieux
formé, non, je compris que c' était moi qui devenait formateur des
instituteurs de mon canton. On s' habitue à tout et j' entrai dans la
danse.
Finalement ce n' était pas la mer à boire, cependant, en
particulier la géométrie prit un tout nouvel aspect. Jusque là, on
faisait confiance à Euclide qui avait dit que la droite est le plus
court chemin d' un point à un autre, mais demandons au GPS quel est le
plus court chemin pour arriver à la destination des vacances, il va
faire des histoires avec ou non les autoroutes, en privilégiant le plus
court en temps ou en kilomètres, avec ou sans radars., ringard le
Euclide, ça avait besoin d' un sérieux coup de torchon.
Je viens de
rouvrir mon premier livre de mathématique moderne destiné à la classe de
quatrième en 1971 (Editions Bordas) et je lis (page 154): Définitions
: Nous appelons droite affine-euclidienne (sans lui demander son
autorisation à Euclide) tout ensemble (D) de points (jusque là d'
accord, ensuite ça se corse) auxquels est associée une famille F de
bijections de (D) dans R (pas dans l' air) dans l' ensemble R des
nombres réels ( que vous connaissez certainement très bien, merci de me
le confirmer) telle
que
1. si f et g sont deux éléments de F, il existe un nombre réel a
satisfaisant à : ou bien quel que soit M appartenant à (D) g(M) =
f(M) + a ou bien quel que soit M
appartenant à (D) g(M) = - f(M) +
a 2. inversement si f est un
élément particulier de F et a un nombre réel (un vrai ! pas un
imaginaire car il existe des nombres imaginaires, allez voir sur
Wikipédia) les bijections obtenues par les formules (I) et (II)
appartiennent à F. Nous appelons distance de deux points A et B d' une
droite euclidienne le nombre positif valeur absolue de f(A) - f(B), f
étant une quelconque des bijections de F.
Ainsi définie notre ligne
droite reste droite dans toutes les courbures de l' espace-temps, sans
se recouper sinon adieu la bijection !
Voilà,
j' ai tout dit. (j' ajoute que la consommation d' aspirine à l époque
a vite augmenté dans le corps enseignant) les élèves quant à eux, ils
veulent bien tout ce qu' on leur dit, pas contrariants. Un ou deux de
mes élèves ont semblé avoir compris ce que ça voulait dire, moi aussi je
crois mais je n' en suis pas tout à fait sûr. J' ignore ce que tout ça
est devenu, je suis un retraité très réel comme l' ensemble R (des
nombres "réels" ) et j' ai bien mérité ma retraite.
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