mercredi 19 février 2020

Jeune adulte 4

La rentrée est proche, quelques jours, je suis prêt et confiant dans ma capacité à assumer la tâche difficiles qui m'est dévolue. Instructions, conseils, matériel, tout est là dans ma tête ou mon petit meuble. Je n' ai pas encore de première paye, j' ai quelques francs (les anciens francs) très peu, pas pour subsister longtemps.

 Je n' ai pas de montre, trop chère à cette époque, sauf cependant celle qui m' avait été remise par un oncle, en cadeau de Communion solennelle,  je l' avais demandée à gousset et non  à poignet, grande erreur.   

 Je commencerai par acheter des pneus neufs pour ma bicyclette, première nécessité et pas besoin d' argent pour enseigner en classe de sixième, je suis tout à fait désintéressé, un mois d' attente et à moi  le pactole que me remettra le percepteur car à l' époque (1947-48), on était payé au guichet du percepteur, pas encore sur un compte en banque. Et j' achèterai une montre à poignet, première nécessité, après quelques mois d' économies. 

Réunion de prérentrée, le Directeur, son épouse, deux maîtres en exercice qui déclarent  - nous sommes plus anciens ici que JB - c' est donc à nous que revient la nouvelle fonction de maîtres du Cours complémentaire-  Ai-je bien entendu ? - Nous nous répartirons les matières, deux parts, l' un assurera ce qui est plus ou moins scientifique et  l' autre le plus ou moins littéraire et nous nous partagerons une classe primaire, mi-temps sixième, mi-temps primaire  - je reste coi - Quoi on me retire ma fonction ? Le Directeur , grand Juge, déclare que la proposition est très recevable, qu' il en fera part à l' IP (l' inspecteur), mais qu' on peut considérer cette alternative comme acquise et qu' on fait la rentrée sur cette base. 

Timidement, je suis, j' ai toujours été timide
,je demande - Je deviens quoi dans tout ça ?  - Tu prends la classe qui reste - un conglomérat de petits gamins qui apprennent à lire et d' autres qui en principe savent lire, une bonne cinquantaine d' élèves. Réunion terminée. Et le Directeur, dont la femme connaissait ma mère il ne m' a pas défendu, et cette fille de ma promotion qui pour des histoires de couple, je crois, était allée pleurnicher dans le giron de l' IP pour me voler ma première nomination - je suis maudit - 

Et la rentrée vient, cette classe surchargée, ce mois sans argent. Et il faut le matin, venir tôt pour allumer le poêle, mettre le papier avant le petit bois sec (et pas le contraire comme on vit le  faire une jeune remplaçante) et quand le feu ronfle, sortir un quart d' heure avant la rentrée pour surveiller et neutraliser quelques affreux gamins (toujours les mêmes), fin de matinée, encore surveiller, avant, pendant et après le passage à la cantine scolaire, reprendre les cours puis de nouveau surveiller ceux qui restent en étude surveillée jusqu' à 6 heures du soir ensuite rentrer chez soi avec ce gros tas de cahiers à passer l' un après l' autre, les annoter, y tracer des lignes de pente , on écrivait penché à l' époque, pour guider la main maladroite des apprentis écrivains, plus de cinquante fois  quelques minutes, ça fait combien de temps ? - pause nécessaire -  je ferai ça après le repas du soir (on est affamé à cet âge, aussitôt ma première paye, j' irai m' inscrire quelque part pour ce repas nécessaire), ensuite, je reprendrai mes cahiers, je réfléchirai profondément à ma classe du lendemain, je dois tout prévoir  et l'écrire sur un "journal de classe" à présenter aux inspecteurs, ensuite, passage tard en soirée dans la classe pour préparer de beaux tableaux en craie de couleur, pour le lendemain. Vivement jeudi pour ressaisir les affreux cahiers toujours en retard de correction.  

Samedi soir, après la classe, j' irai retrouver mes parents, à 40 km de là, je fixerai le panier en osier sur le porte-bagages pour y mettre le gros tas de cahiers, à la correction en souffrance, pourvu qu' il ne pleuve pas, le panier est perméable. Mes parents s' étonneront que j' apporte du travail à la maison, pouvant imaginer que j' ai fainéanté dans la semaine. Pas toujours drôle l' existence  ! 

Et ces gros livres de mathématiques supérieures que j' avais acheté pour continuer mon avancée dans cette science merveilleuse, j' ai commencé à les ouvrir après 23 heures 30 et je les ai clos quand mes yeux se sont clos,      j' aimais tant ces extraordinaires inépuisables mathématiques c' est le grand regret de ma vie, c'est fini, tu en prends pour dix ans , sinon tu rembourses les frais de ta scolarité à l' Ecole normale,  tu te résignes, tu te résignes, tu te résignes encore ...ainsi va la vie  

et prépare-toi à recevoir dans ta grosse classe, où elle aura du mal à tenir, une délégation chargée de t' attribuer, si tu le mérites, un Certificat         d' aptitude à faire ce métier et souviens-toi qu' on ne dit pas "Monsieur tout court " mais qu' on dit " Monsieur l' Inspecteur" comme te le fera remarquer l' un des membres de la commission citée plus haut. Là, je regrette, je ne peux pas. J' en pleurerais presque  maintenant que tout est fini... tout !...     Ce n' était que ça ?  Tout est dérisoire...ce qui signifie, ne pas pleurer, rire... J' essaie mais c 'est crispé.
                                                                                    

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