lundi 17 février 2020

Jeune adulte 8

    Les semaines s'écoulent, la lecture avance, le petit peuple assimile les lettres, les sons, la classe reste relativement calme malgré les deux ou trois amuseurs publics déjà cités, leur inspiration s' est tarie, c' est le consensus. Chaque jour  je surveille la fenêtre pour guetter une arrivée soudaine du tribunal devant lequel je dois comparaître pour le Certificat d' aptitude pédagogique, et un jour ça y est, ils sont là, personne ne m' a prévenu. J'ai pris la peine, moi, un jour venu, d' aller à bicyclette chez une collègue pour lui annoncer la visite dont j'avais eu connaissance pour le lendemain, de l' aréopage chargé de son jugement, (c' était aussi une occasion d' aller la voir) mais pour moi rien, alors que  l' Inspecteur est persuadé que le secret transpire toujours. "Vous m' attendiez" me dit-il avec un air entendu – oui - tous les jours mais pas forcément celui-là.                                                                                  

 Ils sont trois, deux directeurs d' école de ville, plus M. l' IP., à qui je ne dois pas me contenter de dire Monsieur tout court, mais Monsieur            l' Inspecteur, je précise aussi que tout courrier devait se terminer par        " l' expression de mon profond respect "ou "mes respectueuses salutations".  Il s'installe au bureau et prend des notes, les autres juges vont et viennent dans la classe, pas de place pour s' asseoir, on est trop nombreux, les plus de 50 gamins plus les quatre adultes (dont moi un presque adulte) et je dois orchestrer le tout, réelle gymnastique, discipline, efficacité, coordination des tâches, maniement de la baguette rassembleuse, la matinée est longue et tendue

Délibération des chefs et verdict : admis, capacité à enseigner reconnue avec toutefois pas mal de réserves, par exemple, enfants livrés à eux-même quand le maître est occupé ailleurs, j' en aurais dit autant à leur place, mais ils ne m'ont pas délivré de recette ni exécuté une démonstration. La note n'est pas terrible, à deux chiffres mais deux petits chiffres, elle augmentera de un demi-point à chaque inspection, on a le temps, si ce    n' est que l' avancement donc la paye, augmente plus ou moins vite en fonction de cette note, pas d'inspection pas d' augmentation rapide de note, stagnation de la paye, évolution à l' ancienneté et non au "mérite" .  j' ai été plus tard quatorze années consécutives sans inspection, bond prodigieux de la note en fin de carrière et grande reconnaissance finale de mes talents mais trop tard pour un avancement accéléré à une année de la retraite. Dans ces métiers, d' aucuns avancent très vite et d' autres sont à la traîne, il y a le mi-choix, le choix, le grand choix, la classe exceptionnelle, la hors-classe ... quant à moi ... 


Je suis maintenant adulte puisque j'ai un métier et une feuille de paye (à regarder à la loupe). J'achète ma première montre- bracelet, à l' époque,    c 'est très cher, du luxe, des mois d' économies. la voiture, la 4CV ou la 2CV, vous n'y pensez pas, inimaginable avant de nombreuses années . Je songe à un petit "vélomoteur"...comme on les appelait à l' époque. Difficile à trouver, encore la pénurie de l' aussitôt-guerre.

Vint l' année suivante, ma première inspection, toujours le guet à la fenêtre, le soulagement tous les soirs le stress tous les matins surtout quand on est allé au bal du dimanche soir

ce qui m' arrivait assez souvent. Tout au long d' une carrière, on tremble chaque jour, on ne peut pas continuellement être parfait, alors cette arrivée surgissant à n'importe quel instant génère une angoisse permanente. 

                                                                                                                                                                                        J 'avais comme chaque jour, allumé mon poêle avec papier et petit bois, préparé mon gros tas de cahiers, et voilà l' Inspecteur- Bonjour – inspection - faites comme si je n' étais pas là - ( facile), il s' installe au bureau
et se plonge dans ses notes - Allez-y, commencez la classe - mais pour commencer il faut distribuer les cahiers et...pas de cahiers- où sont les cahiers ?- Panique - oubliés où? - en épave quelque part ? - première fois que ça m' arrive - Je cherche...- Allez-y, commencez - facile à dire - réflexion intense - ils doivent être sous le bureau - Excusez-moi, Monsieur l' Inspecteur (pour une fois, j'emploie la formule préconisée)-  pouvez - vous SVP vous lever un instant, mes cahiers sont sous le bureau - Il se lève, se rassoit, rien. Désespoir.
Que vais-je devenir ? Mon avenir      s' effondre, je vais être révoqué– Mais qu'attendez-vous ?  - l'IP commence à se poser des questions - et moi aussi - je fais deux fois le tour de la classe désespéré, sans plan B - et une voix s' élève de la si convoitée place au dernier rang de la dernière rangée du fond - M' sieu, les cahiers, ils sont par terre derrière le poêle   (où je les avais déposés pour libérer mes mains en allumant le feu). Soulagement, le coeur reprend son rythme, les couleurs reviennent et avec un quart d' heure de retard la classe commence enfin. La note ? Pas terrible - un demi-point ou un de plus je ne m'en souviens plus trop, mais pas la gloire... (Histoire authentique .

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