mardi 25 février 2020

Bonhomme 1 - Gros chagrin


   GROS CHAGRIN. 
Je venais tout juste d'entrer à la "grande école", 
j' arrivais de la Maternelle avec déjà un bon bagage, je savais lire car   
  j' avais bénéficié d' une méthode d' apprentissage d' une efficacité absolue.


Maintenant on discute sans fin. Syllabique purement mécanique,  B- A BA qui fait ânonner nos enfants,  P-A PA, PAPA, ça y est, il a lu PAPA mon petit génie en herbe mais sa lecture reste saccadée et il ne comprend pas trop ce qu' il lit.  Alors essayons la "globale" on le fait lire, et après quand il saura bien deviner ce qu'on lui propose à lire, alors on lui apprendra à lire. Risqué, Il croira tout savoir mais à l' approximatif et on fera un raté de mon bambin pourtant si intéressant et si j'osais le dire "surdoué", il portera toute sa vie ce lourd handicap. Un mélange des deux, peut-être...

 Ma méthode maintenant , celle du     " cheval de bois".
La maîtresse, elle s'appelait Thérèse - (curieux les souvenirs j' ai photographié la scène dans ma mémoire d enfant de quatre ans et je me revois courir dans la cour de l' école maternelle , la maîtresse faisant un pas pour m' éviter et moi de même d' où collision entre le gamin et la maîtresse), je disais donc que la maîtresse, Thérèse (et je me souviens aussi de son nom de famille ainsi que celui de la petite dont j' étais très amoureux à qui je donne la main dans la photo plus haut , le petit couple à gauche de la photo, elle s' appelait Michèle, fille de médecin elle était si belle et j' avais ressenti déjà qu' elle était inaccessible d' un niveau social plus élevé que moi - oui je m' en souviens vraiment) me faisait venir de temps en temps, pas seulement moi bien sûr je ne suis pas seul au monde, à son grand bureau là-haut sur une estrade, elle me montrait des lettres et des mots grand format, je répétais, j' enregistrais et quand c' était bien       j' avais droit à une séance  d' équitation sur le grand cheval de bois au fond de la classe.Le bonheur absolu (Le "pied" comme on dit maintenant, et j'ajoute,  à l' étrier).


Chaque progrès, une galopade (il était à bascule en plus) j'en ai fait des randonnées. Vous pensez si je savais lire  en rejoignant la grande école où je suis maintenant, le maître chargé de m'apprendre à lire, puisque je sais lire ça lui facilite la tâche, me prend en amitié et m'appelle "Bonhomme". Classement, à l'époque il fallait se situer les uns par rapport aux autres et honte au dernier même s'il n'y peut rien." Bonhomme" est le premier et ça dure, sauf une fois, et justement celle où le maître ayant récupéré quelque part un album pour collectionner les vignettes qu'on trouvait dans les tablettes de chocolat, le présente comme récompense suprême au premier Et ce mois-là, pour la première fois Bonhomme est deuxième. Drame, désolation, déception, ce bel album bleu, Bonhomme devenu vieux  le voit encore. 

Arrivée à la maison, présentation du cahier à la maman l' oeil humide. La maman compte, tant en calcul, tant en lecture, tant en je ne sais pas quoi .Ton maître  s'est trompé dans son addition, tu as un ou deux (je ne sais plus) points de plus. Joie indicible pas pour la fierté d 'être le premier, mais pour le merveilleux album qui allait me revenir. Bien que d'une timidité extrême, j'osai en parler au maître. M' sieur, ma mère (qui savait compter, je lui faisais confiance) elle a dit que je dise au maître ...Mais c'est vrai, Bonhomme et tu es le premier, je suis vraiment désolé. Oui M' sieur, mais l'album. -  Bonhomme, tu comprends que je ne peux pas le reprendre et je n'en avais qu'un seul, je pense que ça ne te fait rien, c'était pas grand' chose -  Non, M'sieur, tant pis, ça ne me fait rien du tout.  Désespoir total, j'en ai les larmes aux yeux en l' écrivant.



PS. Une dame de Charly après lecture de mon blog m'  a fait parvenir un vieil album retrouvé du chocolat Menier  (et non Meunier). Mille mercis.
                                           JB


Bonhomme 2

  Qu' est "bonhomme" devenu ? vous savez peut-être si vous me lisez parfois " bonhomme était le nom affectueux donné par l' instituteur des premiers âges (cf : Le bel album du chocolat Menier )   Je le vois sur la photo de sa communion solennelle - en bas 4ème de droite à gauche, se faisant tout petit  sur un banc, osant à peine s'asseoir entre les deux encadrants eux largement installés sans complexes.

   Lui il  est plein de remises en question, toujours craignant de mal faire et surtout de gêner, toujours en retrait, inhibé, en bout de table, alors, quand on vient le chercher d'une classe supérieure pour faire honte aux grands dadais qui ne savent pas même calculer la surface d'un trapèze, il n'ose pas refuser mais il bégaie en parlant de la demi-somme des bases etc...en plus il sait qu'il y a une deuxième mi-temps que le maître qui l'envoie ignore, la récréation où il a intérêt à se faire tout petit derrière les arbres, il sait qu'il court moins vite que les grands dadais et que, à la récréation, il y a inversion totale  des valeurs, la surface du trapèze, tu parles si on s'en......  Pas rassuré "le petit chose" je voulais dire" le petit B", et le maître en inconscient qui l'envoie encore au feu. 
Le p' tit B est en bas au milieu les pieds au sol assis timidement l' air grave, pauvre petit !
    Pas armé pour ce monde difficile. Pourtant, il avait repris confiance en lui quand il était encore "Bonhomme", on lui avait appris la table de multiplication et il s'aperçut que dans la grande section on faisait des multiplications à deux étages, il se dit qu'il ne saurait jamais faire ça, nouveau désespoir, alors il a réfléchi, réfléchi à s'en faire mal à la tête et d'un seul coup la solution pour cette multiplication lui est apparue et il en fut tout ragaillardi. 


    Entrée donc en confiance dans la grande classe, "Bonhomme" est maintenant "le petit B", encore ratatiné sur lui-même qui observe. Comment ils font pour ne pas savoir transformer des hectolitres en centimètres cubes, ou admettre une fois pour toutes que les surfaces vont de 100 en 100 et les volumes de 1000 en 1000 et que les fractions, on les simplifie avant de les réduire au même dénominateur Pas surdoué , seulement apte à une réflexion un peu entachée d'émotivité ( Il a des capacités ce petit dit-on à l'époque) par exemple il se rappelle avoir calculé la surface de la terre en kilomètres carrés il en est tout effrayé, terre et océans compris simple, quatre fois la surface d'un grand cercle, soit  6371 (km) , multiplié par 6371 et par 3,14  et le tout par 4 , pas de machine à calculer à l époque alors deux décimales pour pi, c'est  déjà pas mal, il voit que c'est grand et son volume ? facile : le pi à tout faire multiplié par quatre multiplié par 6371 et encore une fois et encore une fois,  on divise par 3 et c'est joué, guère plus compliqué que le trapèze, mais un nombre énorme et si c'était des litres d'eau, combien ça pèserait - effrayé par les grands nombres. Vous voyez qu'il se pose des questions le petit
et d'autres encore sur l'existentiel, pourquoi il est là, dans cette classe et pourquoi beaucoup  d' autres sont moins angoissés, en plus il ne comprend pas toujours ce que disent les adultes dans leurs conversations et ça le chagrine beaucoup. Un bon petit.     (a suivre )          
             Le p' tit B en colonie de vacances, en bas en pull gris, facile à reconnaître, total inadapté à la vie en groupe, le seul qui ne rit pas. Qu' est-il venu faire là ?    (sixième de gauche à droite)                                                   

lundi 24 février 2020

Bonhomme 3

Qu'est devenu "Bonhomme" ?

Il est devenu "le petit B" et le petit B n'est pas parfait, loin de là.
     Deux faits très graves
 1. B a triché. Une défaillance et Petit B qui ne se doutait pas de la survenue d'une interrogation écrite piège est piégé et répond un peu, mais pas trop. C'est son voisin qui est chargé de le corriger et le noter, et vice- versa. Le voisin n'en sait pas plus que petit B sur les réponses. Dans la panique, une solution apparaît. Je te mets 5 (sur 10) et tu me mets 5. Je suis honnête, j'aurais pu dire, tu me mets 8 ou pourquoi pas 10. Le maître qui a une foi totale en ses élèves relève les notes. Petit B, comment fais-tu pour avoir 5 avec 5 questions notées chacune 2. Tu sais bien, Petit B, je ne te l'apprends pas qu'un nombre pair multiplié par un nombre même impair donne toujours un résultat pair. Alors tu as 4 ou 6 et même tu vas plutôt avoir zéro. Bafouillage pas net, vexation totale, rigolades latérales, perte de la confiance du maître et j'avais cru être honnête avec mon 5, çà m'apprendra la prochaine fois c'est 10. Mais j' affirme qu'il n'y a pas eu d'autre fois où j' aie réglé l'urgence de cette façon.
Cette méthode de notation rapide inter-élèves était parfois nécessitée par l'importance du travail de correction de l'enseignant. Je me souviens quand j' avais 120 ou 130 copies à corriger chaque semaine, à minimum 7 ou 8 minutes par copie, prenez la machine à calculer et qu'en plus après une dizaine on est obligé de faire une pause, les dimanches étaient les bienvenus pas pour fainéanter mais pour finir l'ouvrage. Je n'ai jamais jamais eu recours à ce système, je me suis amusé un jour cependant, à une interro-surprise de ce genre, j'ai surveillé les regards en coin, les connivences de correction, je les ai vus tous, c 'était gros comme ça, je n'ai pas relevé les notes ni fais de réprimandes. Mais j' affirme qu'il y a des élèves honnêtes et incorruptibles surtout chez les filles et même chez les garçons.

2. C'est bien plus grave. Je sors dans la rue, but, une partie de billes, une revanche à prendre. J'arrive chez le voisin qui passe la tête par la fenêtre et tout triste me dit que son père l' empêche de sortir. Il était vraiment pas drôle cet homme et je le craignais un peu. Il apparaît, le père, B, tu as vu que le maître a donné un coup de pied (et même dans le ventre) de F (son fils). Je bredouille, rien vu de comme ça. Il insiste, hein tu l'as vu, le F me souffle par la fenêtre, dis-le sinon, je  pourrai pas sortir, mais c'est pas vrai, ça ne fait rien, dis-le quand même -cornélien- Le père insiste et passe au chantage, (véridique), si tu le dis, il va aller jouer avec sinon il ne sort pas. Alors je bafouille  quelque chose qui est ni oui ni non, peut-être bien s'il le dit, mais j'ai pas vu grand'chose...qui est interprété au vol comme un vrai oui. La partie de billes commence et je ramasse deux ou trois cents grammes de billes, que je n 'ai pas rendues. Je croyais l' incident clos, mais le lendemain le maître m'interpelle, ce soir tu m'attends à la sortie, j' ai à te parler, il paraît que tu as dit ...Panique,


 le soir, j'ai attendu quelques minutes décidé à faire un exposé total, le chantage, l'acquiescement très incertain de circonstance justifié par la revanche aux billes, j'ai attendu 5 minutes et j'ai détalé à toutes jambes. Pas de suite, on n'en a plus parlé, je suppose que le père avait dû se faire envoyer au diable, il le méritait bien. Mais j'ai traîné le remords, je n'avais pas dit oui mais pas vraiment non non plus et j'avais certainement perdu une deuxième fois la confiance du maître. Si ça avait été maintenant je suis effrayé des conséquences
Depuis, je suis très réservé sur la parole des enfants qu' "on ne peut pas mettre en doute", je suis effrayé parfois de ce qu'on peut leur faire dire, car un enfant a peur d'être puni s'il ne sait pas sa leçon, c'est à dire s'il ne dit pas ce qu'on attend de lui, l' enfant veut faire plaisir et aime qu'on lui souffle la réponse. J'ai entendu dans ma carrière des mensonges patents dits avec des accents incroyables de sincérité et des accusés à tort, ne savoir comment se défendre. Prudence donc.

Bonhomme Peti B craint d'avoir perdu l' estime de tous
     Mais Il a soulagé sa conscience
              Réconfortez-le vite
                        car actuellement
                                     Il évoque Villon
                                               "Et priez Dieu que tous nous veuille absoudre !"

 

jeudi 20 février 2020

Jeune adulte 1

    J' ai raconté mes efforts pour quitter mon beau village et j' en étais arrivé à ma convocation chez l' Inspecteur et son offre guère négociable       d' assumer la naissance d' un Cours complémentaire,  ébauche d'un futur Collège dit d' enseignement général ou CEG qui  remplacera le Cours dit Complémentaire deux ou trois ans après, la construction des locaux         n' étant pas encore réalisée.Déjà en début de carrière  une offre analogue m' av ait été proposée. 

Je raconte. La guerre est finie, l' Ecole Normale de nouveau ouverte,fini    l' Etat français, on retrouve notre bonne vieille République, la quatrième, née en octobre 1946, défunte en octobre 1958. Année de formation professionnelle, stages dans toutes les sortes de classes à un cours ou à tous cours, sauf une classe manquée à cause des marches qui se précipitent par centaines de la ville haute (Laon) à la ville basse  ( où est la gare), on descendait par deux marches à la fois pour aller plus vite  je voulus améliorer ma performance par des sauts de trois en trois marches, ce qui me fait évoquer le père de Montaigne qui à 60 ans  " ne montait guère en sa chambre sans s'élancer trois ou quatre degrés à la fois", entorse possible, entorse probable, entorse réussie, journée dure à Tergnier, retour pénible sur gros pied et 10 jours de prélassement, seul, bien tranquille en immersion dans la pédagogie théorique.

 L' année passe, je suis appelé chez le Directeur qui m' avait déchu de mon titre de responsable - major, au profit d' un camarade jugé plus fiable par le chef (influencé je crois par un compte-rendu accusateur de mes démêlés avec les dirigeants du lycée d' où je venais)-  JB, je vous propose une affectation pour la rentrée - oui, M. le Directeur  - je vous ai fait nommer à ...long temps d' arrêt pour ménager les effets, je vous ai fait nommer à ...Charly sur Marne, votre village natal. - Merci, Monsieur le Directeur -  mais ravissement mitigé,  j' ai là-bas des plus ou moins amis qui plus en avance que moi ont déjà participé au repeuplement de la France, des conflits ou jalousies (pour ma supposée grosse paye de fonctionnaire et mon métier présumé si relaxe) sont à prévoir et  j' aurais préféré un confortable anonymat. Bon - on fera avec - et encore tous mes remerciements. 

J' entasse dans une seconde valise  tous les spécimens gratuits dont nous avaient dotés les grandes maisons d' édition scolaire, Hachette, Nathan, Hatier, Vuibert, Sudel, Bordas, Delagrave, Dunod, Magnard,  etc...(gros ventre de la valise) qui nous aidaient grandement dans nos débuts. Je range dans un tout petit portefeuille le petit, tout petit pécule qu' on nous a remis pour nous permettre de débuter dans la vie, et en route vers la vie active

 Et vers mes parents presque fiers s' ils l' avaient osé, de leur fils qu' ils croient supérieurement intelligent (prestige à l' époque de la noble fonction enseignante). Tu vas loger chez nous, tu dépenseras peu et je voyais déjà se profiler sur mon horizon une belle petite 4CV Renault, la merveille de     l' époque, le rêve entrevu réalisable. 

J' allai voir le Directeur de l' école, nous nous connaissions et apprécions bien, tout était pour le mieux et je vivais en joie les derniers beaux jours de septembre, confiant en mon radieux avenir, quand, mon père en même temps notre facteur, vint et me tendit une enveloppe à cachet officiel de     l' Inspection académique, une confirmation de l' emploi sans doute, on ouvre, et comme  pour Perrette et son pot au lait, encore une fois tout dégringole, confort familial, voiturette, tout remis en question...

Jeune adulte 2

    On ouvre l'enveloppe, silence profond, stupéfaction, verdict...Nouvel arrêté de nomination, vous êtes nommé à la rentrée prochaine (10 jours) à Fère en Tardenois - ouverture d' un Cours Complémentaire - Voilà,          y a qu' à...!  Mon père déclare qu' il y a une "combine" quelque part. Et les promesses du Dirlo ? çà ne m' étonne presque pas, il ne m' aimait pas du tout (déjà expliqué) mais peut-être pas sa faute.Voir l' Inspecteur primaire dans ma belle 4CV entrevue à la mode de Pierrette ? non en vieux vélo    d' après guerre, et pas de téléphone fixe ou portable, vélo pas fiable pour  pneus hors service, recours difficile, faut subir. Et si j' allais voir le Directeur du cours complémentaire qui par ailleurs m' avait poussé à intégrer L' E N.

Alors je me précipite chez le Directeur local qui m' encourage à plier        l' échine, comme tout bon fonctionnaire doit apprendre à le faire, c' est le B A BA de la fonction, en haut les têtes pensantes, en bas la plèbe des exécutants, encore heureux quand ils ont un peu compris la subliminale pensée des gourous des ministères, leur substantifique moelle .

 Mon Directeur me présente cette nomination comme une reconnaissance de mes talents, je n' en demande pas tant. Oui, mais, je vais enseigner   quoi ? - Ton horaire sera calqué sur celui des écoles primaires, 30 heures, tu enseigneras les mathématiques, tu es très fort, autant que m' en souvienne - je le suis - (vanitas, vanitatum)  et puis la physique, simple , pression atmosphérique, loi de Mariotte ou de Gay Lussac, Lavoisier et son air, etc... - programme intéressant-  la chimie, tu sais équilibrer tes réactions ?  - oui, je sais- et les Science  naturelles, hanneton, grenouilles, moules, germination assimilation chlorophyllienne, pas de secrets  pour toi - aucun, passionnant  l' élevage des têtards de crapauds - Cependant, Au cas où une seule classe serait ouverte, tu devras tout assumer, alors tu reprendras tes classiques, Racine, Corneille, et même  ton ami La Fontaine - celui-là je ne l' aime  pas je vous raconterai pourquoi - oui, mon père, plutôt, oui mon bon maître - l' Histoire de France tu la connais - parfaitement - vive Henri IV -  et la Géographie tu aimes - J' adore- La grammaire et  l' orthographe, tu connais bien-  je suis fan, ça va sans dire- Accessoirement tu enseigneras le dessin-  je suis  artiste-né  -  un peu de travail manuel créatif et  pour les filles tu demanderas à ta femme, sa trousse de couture - et l' Education physique accessoirement, ça te détendras -  Certainement, mais... Quoi mais ?  ça ne te suffit pas ?- si, mais les langues étrangères, je ne retiens jamais les déclinaisons -  tu t' y feras et tu progresseras en même temps que tes élèves, on ne te demande pas le chinois, seulement l' anglais ou l' allemand c' est toi qui choisira à ton choix, yes ou ja. Te voilà rassuré ?. Oh, que oui, je ris, je pleure, je reris, je repleure...                                                      

Oui, mais pratiquement ?  Simple tu prends un 21/27 maintenant ce serait 21/29,7 qui l' a remplacé à cause de la racine carrée de deux, régissant le rapport de la diagonale et du côté du carré (j' ai déjà expliqué, je ne vais pas recommencer que 21 x racine de 2 = 27,9, côté x racine de 2 = diagonale), tu fais 5 cases en large et 6 en hauteur et tu les remplis à ton gré, en écrivant histoire, orthographe, mathématiques pour le matin, par exemple  lecture expliquée, grammaire pour l' après-midi, éducation physique etc...tu continues jusqu' à la fin de la semaine, jusqu' à épuisement et tu enverras ce projet de répartition de ton activité en tenant compte des quotités imposées, à ton Inspecteur primaire afin qu' il             l' approuve, ce qu' il ne fera jamais à 100%, mais il ne te fournira pas non plus un emploi du temps type, à toi de le créer pour le personnaliser. Muni de ce  glossaire,  il pourra  te surprendre n' importe quand, et quand il ouvrira la porte de ta classe, pas question d' être en train de faire des maths par exemple quand c' est marqué grammaire (en général, ils sont plutôt littéraires). 

A cette époque, l' Inspecteur surgissait à l'improviste,  parfois après trois ou plus années d' attente anxieuse à guetter derrière les vitres des mouvements de véhicules, on le voyait surgir, il fallait à chaque seconde être irréprochable, et la note professionnelle augmentait parfois d' un demi-point, ou baissait. L' angoisse distillée à jet continu. Une collègue de ma femme voyant la porte s' ouvrir sur la silhouette redoutée, s' effondra et il fallut la ranimer, vite les sels !                                                                                                   Je reviens à ma conversation avec mon directeur de conscience, je veux dire mon Directeur d' école. Tu ne peux pas enseigner  n' importe quoi,    c' est évident, si les programmes d' Histoire te disent l' antiquité égyptienne, tu ne vas pas enseigner la Commune de Paris et l' exil de Louise Michel, d' ailleurs, méfie-toi en Histoire de ne pas franchir les bornes d' un conformisme bien-pensant et de ne pas blasphémer sans t' en rendre compte. Merci, mais...  je voudrais savoir  
 Je t' écoute, parle  ( sans t' émouvoir)   Excusez-moi, si je me permets     d' insister, la classe ouvre ses portes, les élèves s'installent en grand silence, je fais quoi ? - Tu te présentes et tu leur fais remplir un papier avec  nom, prénom ou prénoms, adresse, etc...  tu les écoutes et tu peux tenir deux heures s' ils commencent à raconter leurs vacances, tu peux même les leur faire écrire, pour arriver  jusqu' à la sonnette de fin de la matinée - Bonne idée - et après ? - Tu commences à te préparer un créneau de 3 ou 4 heures dans ton existence post-classe, ta seconde vie celle du soir,  pour corriger et noter tous ces trente ou quarante essais, à 5 ou 6 minutes par copie, si tu es rapide, tu t' en tireras en 200 minutes soit entre trois ou quatre heures, puis tu recopieras les notes sur un carnet et tu commenceras à rédiger un portrait de chaque élève pour dire aux parents qui ne vont pas tarder à apparaître quelles sont les qualités dominantes de leurs fils ou filles et les prestigieuses carrières  auxquelles ils pourront prétendre.Oui, mais encore, passé le premier matin, le premier après-midi  et le premier soir à 40 copies ?  Je vais te confier ces deux gros dossiers, l' un regroupe les programmes à suivre en toutes matières, l' autre la façon de les enseigner, ça s' appelle les Instructions officielles, ils sont très volumineux ces dossiers car des têtes pensantes  travaillent jour et nuit pour les améliorer et augmenter leur efficience, tu recevras très régulièrement des instructions nouvelles, des innovations, on  n' enseigne pas n' importe comment et      n' importe quoi.   

J' emporte les deux dossiers à la maison et je m' applique à les recopier, avec les pleins et déliés délivrés artistement par ma plume sergent-major, gros travail de plusieurs jours, je suis et reste très sérieux. Je reporte à        l' école les précieux guides pour l' Enseignement. Mais, me dis- je, si je disposais de quelques manuels, j' aurais moins à creuser ma cervelle et ma mémoire, rien à l' école, les livres, propriété individuelle payée par les élèves, sont partis avec eux, alors j' entreprends une quête chez quelques anciens condisciples que je parviens à retrouver - As-tu encore ton livre   d' Histoire? - peut-être - cherche bien - chez un autre, la géographie, puis encore un précieux recueil de textes français etc...Un peu rassuré, je retrouve dans mon grenier un gros panier en osier où je dispose en vrac les livres salvateurs et les dossiers programmes et instructions, soit la liste des enseignements à assurer, le mode d' emploi et le matériel, je fixe le tout sur la porte-bagages du vieux bicycle et je pars pas du tout tranquille vers mon nouvel horizon, une quarantaine de kilomètres.( A suivre )

mercredi 19 février 2020

Jeune adulte 3



 

    Donc, bravant un violent vent de face, je dirige mes roues et mon panier vers la cité de mon avenir. Je connais, pendant la guerre  ma mère m' avait dit " Jacques, va donc à Fère en Tardenois porter un panier de pommes de terre (mais pas un petit pot de beurre, on n' en avait pas) à ta soeur (alors employée des PTT en ce même endroit, même parcours familial)  

    J' arrive à l' école, un coup de peigne pour être présentable, je suis accueilli par l' épouse du Directeur

qui me dit  -  Jacques, j' étais à l' école à Pavant avec votre mère (brillante élève reconnue), je suis heureuse de votre nomination -  Parfait ça va faciliter les rapports) - On vous a trouvé dejà une chambre avec l' aide de la mairie, pas un appartement, une chambre c ' est déjà pas mal - Merci, mes parents  m' envoient par l ' intermédiaire   d' un ami artisan ou commerçant un lit pliant et la vieille table ronde de ma grand' mère, ils vont arriver incessamment. Tout ira bien. Je déboucle le panier en osier, j' installe comme je peux les livres quémandés de ci de là, dans un petit meuble que  m' a offert l' amie  d' enfance de ma mère, le lit est arrivé, la table de ma grand' mère également, beau plateau de chêne sur pied forme guéridon un peu mangé par les vers et peu stable, à manipuler avec précaution, et je me replonge dans la forêt des programmes et instructions officielles  que j' ai calligraphiées et commencé à connaître par coeur, Je suis confiant, assuré de ma capacité à affronter ce départ vers la responsabilité  adulte et finalement ça ne me déplaît pas trop, oui c' est une promotion dont je suis digne, je vais assumer, on va voir ce qu' on va voir, je vais prendre cette classe à bout de bras, j' étudierai tous les soirs mes déclinaisons allemandes,  génitif, accusatif, datif et je ne sais plus quoi, je m' y mets    d' ailleurs tout de suite, pour éliminer mon talon d' Achille et être en avance d' au moins quinze jours sur mes élèves. J' en viendrais presque à me prendre au sérieux et je passe une bonne nuit dans mon petit lit-cage repliable,déplié.  

                                                                                                                                                                           Je n' avais plus qu' à recueillir les fruits de mes efforts, j' étais fin prêt à affronter la trentaine ou quarantaine de postulants au titre d' élève de sixième  (gagné par  réussite à un concours d' entrée en sixième, performant, éliminatoire, il fallait savoir lire, compter et rédiger sans fautes d' orthographe, une sélection pour classe homogène. J' avais fait tout ce qu' il fallait. Prêt ! On y va! C' est parti mon Jack-Elie. Il y a la discipline aussi et  l' autorité, tu fais bien encore un peu gamin sur les photos...                                                            

J' attendis la réunion de rentrée prévue le lendemain. Se  présentent deux plus ou moins amis d' une promotion précédente qui se lèvent et déclarent... 
                                                                                                           Encore une fois, Perrette et la chute de son pot au lait , ça me poursuivra donc toujours ...

Jeune adulte 4

La rentrée est proche, quelques jours, je suis prêt et confiant dans ma capacité à assumer la tâche difficiles qui m'est dévolue. Instructions, conseils, matériel, tout est là dans ma tête ou mon petit meuble. Je n' ai pas encore de première paye, j' ai quelques francs (les anciens francs) très peu, pas pour subsister longtemps.

 Je n' ai pas de montre, trop chère à cette époque, sauf cependant celle qui m' avait été remise par un oncle, en cadeau de Communion solennelle,  je l' avais demandée à gousset et non  à poignet, grande erreur.   

 Je commencerai par acheter des pneus neufs pour ma bicyclette, première nécessité et pas besoin d' argent pour enseigner en classe de sixième, je suis tout à fait désintéressé, un mois d' attente et à moi  le pactole que me remettra le percepteur car à l' époque (1947-48), on était payé au guichet du percepteur, pas encore sur un compte en banque. Et j' achèterai une montre à poignet, première nécessité, après quelques mois d' économies. 

Réunion de prérentrée, le Directeur, son épouse, deux maîtres en exercice qui déclarent  - nous sommes plus anciens ici que JB - c' est donc à nous que revient la nouvelle fonction de maîtres du Cours complémentaire-  Ai-je bien entendu ? - Nous nous répartirons les matières, deux parts, l' un assurera ce qui est plus ou moins scientifique et  l' autre le plus ou moins littéraire et nous nous partagerons une classe primaire, mi-temps sixième, mi-temps primaire  - je reste coi - Quoi on me retire ma fonction ? Le Directeur , grand Juge, déclare que la proposition est très recevable, qu' il en fera part à l' IP (l' inspecteur), mais qu' on peut considérer cette alternative comme acquise et qu' on fait la rentrée sur cette base. 

Timidement, je suis, j' ai toujours été timide
,je demande - Je deviens quoi dans tout ça ?  - Tu prends la classe qui reste - un conglomérat de petits gamins qui apprennent à lire et d' autres qui en principe savent lire, une bonne cinquantaine d' élèves. Réunion terminée. Et le Directeur, dont la femme connaissait ma mère il ne m' a pas défendu, et cette fille de ma promotion qui pour des histoires de couple, je crois, était allée pleurnicher dans le giron de l' IP pour me voler ma première nomination - je suis maudit - 

Et la rentrée vient, cette classe surchargée, ce mois sans argent. Et il faut le matin, venir tôt pour allumer le poêle, mettre le papier avant le petit bois sec (et pas le contraire comme on vit le  faire une jeune remplaçante) et quand le feu ronfle, sortir un quart d' heure avant la rentrée pour surveiller et neutraliser quelques affreux gamins (toujours les mêmes), fin de matinée, encore surveiller, avant, pendant et après le passage à la cantine scolaire, reprendre les cours puis de nouveau surveiller ceux qui restent en étude surveillée jusqu' à 6 heures du soir ensuite rentrer chez soi avec ce gros tas de cahiers à passer l' un après l' autre, les annoter, y tracer des lignes de pente , on écrivait penché à l' époque, pour guider la main maladroite des apprentis écrivains, plus de cinquante fois  quelques minutes, ça fait combien de temps ? - pause nécessaire -  je ferai ça après le repas du soir (on est affamé à cet âge, aussitôt ma première paye, j' irai m' inscrire quelque part pour ce repas nécessaire), ensuite, je reprendrai mes cahiers, je réfléchirai profondément à ma classe du lendemain, je dois tout prévoir  et l'écrire sur un "journal de classe" à présenter aux inspecteurs, ensuite, passage tard en soirée dans la classe pour préparer de beaux tableaux en craie de couleur, pour le lendemain. Vivement jeudi pour ressaisir les affreux cahiers toujours en retard de correction.  

Samedi soir, après la classe, j' irai retrouver mes parents, à 40 km de là, je fixerai le panier en osier sur le porte-bagages pour y mettre le gros tas de cahiers, à la correction en souffrance, pourvu qu' il ne pleuve pas, le panier est perméable. Mes parents s' étonneront que j' apporte du travail à la maison, pouvant imaginer que j' ai fainéanté dans la semaine. Pas toujours drôle l' existence  ! 

Et ces gros livres de mathématiques supérieures que j' avais acheté pour continuer mon avancée dans cette science merveilleuse, j' ai commencé à les ouvrir après 23 heures 30 et je les ai clos quand mes yeux se sont clos,      j' aimais tant ces extraordinaires inépuisables mathématiques c' est le grand regret de ma vie, c'est fini, tu en prends pour dix ans , sinon tu rembourses les frais de ta scolarité à l' Ecole normale,  tu te résignes, tu te résignes, tu te résignes encore ...ainsi va la vie  

et prépare-toi à recevoir dans ta grosse classe, où elle aura du mal à tenir, une délégation chargée de t' attribuer, si tu le mérites, un Certificat         d' aptitude à faire ce métier et souviens-toi qu' on ne dit pas "Monsieur tout court " mais qu' on dit " Monsieur l' Inspecteur" comme te le fera remarquer l' un des membres de la commission citée plus haut. Là, je regrette, je ne peux pas. J' en pleurerais presque  maintenant que tout est fini... tout !...     Ce n' était que ça ?  Tout est dérisoire...ce qui signifie, ne pas pleurer, rire... J' essaie mais c 'est crispé.
                                                                                    

mardi 18 février 2020

Jeune adulte 5

     Après tant d' aléas, j' ai enfin une classe, pas dans mon pays, pas en sixième, j' ai ce qui restait et n' attirait pas la foule des pédagos, une classe de cours préparatoire, apprentissage de la lecture, et de cours élémentaire pour affermissement des acquis. Mais...ce mais, c' est qu' elle compte plus de 50 élèves, effectif courant à l' époque. Facile en  théorie :                   pour l' apprentissage de la lecture  premier  trimestre apprentissage mécanique, deuxième trimestre lecture courante, troisième trimestre lecture expressive , je dis bien lecture expressive en troisième trimestre, ensuite l' année suivante au cours dit " élémentaire" on consolide  tout cela et on avance à grands pas.

 Attention : j' ai écrit " cela " précision : on ne met pas d' accent sur le "a " du "la" de cela car, si on en met un sur le "a" de  l' adverbe "là" c' est pour ne pas confondre avec l' article "la", pas de risque de confusion dans "cela" alors on écrit "cela" sans accent . Dites-moi merci de l' info. Longtemps j' ai écrit "ça "avec un accent soit "çà" parce que le "à "est tout près du c avec une cédille sur mon clavier, mais il faut écrire "ça" et non "çà", quelqu' un ou plutôt quelqu' une, que je ne remercierai jamais assez, égarée je ne sais comment sur mon blog , me l' a fait remarquer et j ' ai eu un peu honte de mon illettrisme mais je  l' en remercie, sans elle  je propageais l ' erreur. Je confirme que de-ci de-là s' écrit bien de-ci de-là. "De-ci de-là, cahin-caha, va trottine, va chemine, va petit âne, va de-ci de-là cahin-caha, le picotin te récompensera. "— (André Messager, Duo de l’âne, extrait de l’opérette Véronique, fin du XIXe siècle). 

Dans la foulée, je rappelle que "dû"  s' écrit ainsi et non pas "dù" comme il m' est arrivé de  l' écrire mais qu' au pluriel  l ' accent disparaît et que  l' orthographe exacte est "dus" car il est inutile de surcharger l 'écriture ; c'est ainsi que "dû" se distingue de "du", au lieu qu'au pluriel on écrit "dus" sans accent parce qu'il n'y a plus rien à distinguer. Vu ? et si j' écris des bêtises, dites-le moi vite. . Dîtes est la seconde personne du pluriel du passé simple du verbe dire. Et en passant je rappelle que devoir et faire à  l' impératif, c' est " dites " et " faites" et qu' on ne doit pas écrire à un élève "Ne faîtes pas de faute d' orthografe"

Et en passant je vous signale au cas où vous ne le connaîtriez pas encore, la richesse étonnante du TILF  (Trésor Informatisé de la Langue Française), on y passe des heures, un merveilleux travail gigantesque. De même, je commettais une grave erreur en parlant de "mes blogs" alors qu il s' agissait  de mes articles qui sont partie de mon " blog"  soit confusion de ma part entre article et dossier les renfermant. 

Conclusion : je suis à mille lieues de la perfection, je suis présent ici mais imparfait aussi et ne donnerai de leçon à personne, écrivez comme bon vous semble  et moi je devrais peut-être relire mon texte. Excusez - moi    c' est parce qu mon métier l' exige mais quand je serai en retraite par vengeance j' écrirai comme bon me semblera.(menteur, tu rêves, tu l' es à la retraite et depuis longtemps, ce qui ne t' empêche pas d' épier les fautes, on ne se change pas).

Qui me dit que c' est assez pour aujourd' hui  ? Je le concède volontiers, alors à demain

d' autre part je précise que mon blog fait des difficultés à disposer les textes comme je le voudrais et place parfois des blancs sans me donner mon avis, pas facile à maitriser.
 

Jeune adulte 6


     Premier jour dans ma grande classe. Un groupe apprend à lire ,  l' autre sait lire ou est supposé savoir lire depuis l' an dernier. 30 plus vingt = 50 élèves et même un peu plus. 


Je prends possession de ma chaire, le bureau était placé sur une estrade pour domination de la classe, mais on y était rarement assis, ce travail se fait toujours debout à proximité immédiate des élèves pour individualiser le travail. Rentrée, silence d' observation réciproque, maître- élèves, élèves-maître, qui sera vainqueur - non - j' exagère  - mauvaise formulation de mon angoisse. J' ai préparé de somptueux tableaux presque artistiques à grand renfort de craies de couleur. Souvent, Je  regrouperai les petits devant mes belles fresques à       l' aide d' une longue baguette, non pour les fustiger, mais pour rappeler ceux qui s' éloignent du troupeau de 30 têtes, la baguette c' est mon chien de berger.    


Pendant ce temps, les "grands" doivent recopier un texte écrit sur le second tableau, suffisamment long pour qu' ils me laissent 15 ou 20 minutes de tranquillité, et  s' ils ont fini trop tôt ets' agitent, je leur dirai de me faire un beau dessin en couleurs, stratégie payante, ils sont occupés, je n' ai rien à corriger et ils croient tous être des artistes ce que par ruse, je leur confirme toujours. Je vais devoir jongler entre les deux groupes, m' occuper de l' un et occuper l' autre  (J ai connu plus tard les classes de campagne à tous cours, jonglage total et le travail sur cahier il faut le corriger, le noter chaque soir, plus on en donne pour être tranquille, plus le soir s' étirera sous la chandelle). 

On a toujours envié l' instituteur, mais je vous assure que mes journées  étaient longues. Les cours, les surveillances, la cantine de midi à surveiller, puis la cour jusqu' à la reprise, de nouveau surveillance de cour jusqu' à l' étude surveillée du soir jusqu à 18 heures. Aucune interruption depuis le matin,  ensuite à 18 heures,  une nouvelle journée commence pour corrections, annotations, classements, dossiers individuels, préparation de tout le déroulement de la journée suivante, recherche de matériel, réception des parents, activités péri- scolaires. Une journée très, vraiment très continue. Moi aussi, j'y croyais... et ne pensez pas qu'une surveillance de cour de 150 élèves, ce soit une récréation pour le surveillant. 

Je me souviens que plus tard, un peu avant Pâques, je faisais un examen d' essai (BEPC) et j' emmenais mes 90 ou 100 ou plus copies à la neige avec moi et tous les soirs, à la rentrée du ski, j' en corrigeais une dizaine, pas plus, après on s' énerve ou on s' endort. Je sais qu' on va me redire - la litanie est récurrente -  ne te plains pas, sécurité de l' emploi, vacances surabondantes, certitude de la retraite et si tu  n' es pas content, tu n' avais qu' à faire autre chose au lieu de pantoufler dans ta situation de fonctionnaire surprotégé par ton puissant syndicat et tes mutuelles et par  la responsabilité de l' Etat, alors que nous dans le "privé" c' est la galère etc...Amis, Amies, je vous en prie, épargnez-moi, j' ai déjà assez mal comme ça, je raconte et je ne polémique pas, je suis né humble, je reste humble, j' ai fait ce que j' ai pu  et je me fais tout petit sous mon grand parapluie.

 Donc, on attaque. Lecture, vous voyez ça . On voit souvent « çà » écrit pour « ça » (« c’est comme çà » pour « c’est comme ça »), or « çà » ne se rencontre guère que dans la locution  « çà et là », ça vous est égal ? dites-moi plutôt merci de vous le rappeler . Je continue, le dessin tout rond, c' est un "O" et celui-là  également, un autre encore mais un petit "o", il compte quand même, et attention pas "0" là, on entre dans le zéro des mathématiques . Je vous donne un fragment de  mon journal  (un titre neutre sinon, on va me dire que je fais de la politique à l' école, on se méfie toujours des instituteurs, presque tous de gauche, c' est affreux !) et vous allez mettre du beau crayon de couleur sur tous ceux que vous trouverez, des petits o ou des grands O. Un bon-point à celui qui produit la plus grande collection. Au travail. Attention , je  vous regarde. Ils aiment mettre de la couleur partout, mais aquarelle exclue, seulement les crayons de couleur à la mine hélas toujours cassée, je penserai acquérir un couteau solide. Et puis ensuite on barbouillera les "a" mais c' est plus compliqué que les "o",  on trouve des petits "a " et des grands "A" pas pareils et des petits "a" autrement, ceux qu' on écrit, trois dessins différents, vraiment pourquoi faire simple quand on peut compliquer... Qui  connaît les grands "E"et les petits  "e" et les "i", grands ou petits  ça m' est égal, mais fichez-moi la paix pendant que je vais faire ânonner les grands sur une stupide histoire de fée .

 Quoi  ?-Ah! tu connais les "U" ta mère te les as appris - si les parents commencent à s' en mêler le premier jour, c' est pas gagné.-  Ensuite on va compter,  deux élèves à chaque table (les élèves étaient assis par tables de deux, dessus en pente légère et trou pour l' encrier, source de tant de maux). Deux enfants à cette table, et derrière idem, je suis sûr qu' on ira vite jusqu' à quatre, éventuellement  deux fois deux élèves ça fera quatre et on aura compris le sens de l' addition 2 + 2 et de la multiplication qui en fait, n' est qu' une forme     d' addition car 2+2 c' est aussi 2 x 2, compris les petits ?  mais toutes les tables étaient pleines, aucune place libre pas possible  d' apprendre le 1 ou le 3 sans faire lever les élèves et il est préférable de les laisser assis . Le zéro est possible si  j' envoie deux bavards "au coin" - et promis je vous apporterai demain de belles images trouvées dans les boîtes de chocolat Menier pour vous récompenser, images seulement, le chocolat je le garde pour moi. Les bons points, c ' est comme les décorations, ça marche toujours, que ne ferait-on pas pour décrocher une belle médaille, même dans l' enseignement pourtant généralement réfractaire et non dupe, on nous en attribuait  de belles, spécifiques de la noble fonction enseignante et je dois dire que certains, "chevaliers" ou même "officiers" de je ne sais plus quoi, vont jusqu' à l' écrire sur leurs cartes de visite. C 'est humain et je ne critique pas. Quant à moi...j' ai toujours eu mauvais esprit. Et puis mes images de chocolat, je vais les garder par devers moi, encore grand enfant et je vais découper des carrés de papier sur lesquels   j' écrirai "Bon - point" et je les distribuerai généreusement, ça fera le même effet, Vanitas, vanitatum !  Bon, pas trop mal pour un premier jour, pourvu que ça dure, demain on verra la suite. Ce soir,  j' emporte sous mon bras vos beaux cahiers sur lesquels je mettrai des  "bien"  et même des "Très bien" avec une belle encre rouge, pas de reproches pour ne pas vous traumatiser déjà si jeunes, ça pourrait entraîner des effets indélébiles sur votre développement psychique et les psychologues veillent et nous ont à l' oeil, nous les prétendus éducateurs. Je vais tracer les lignes de pente préconisées pour guider les écritures, 2 carreaux en large et trois en hauteur,  comme le préconisent les instructions officielles, tg de l' angle = 1/3 et ça me permettra une initiation à la trigonométrie, pourquoi pas.  A la maison, ce soir, pain et saucisson, les préparations de soupe instantanée ne sont pas encore inventées, mais le mois prochain avec ma première paye, je cherche un restaurant pension de famille.

lundi 17 février 2020

Jeune adulte 7

    La nuit a été courte, un peu angoissée peut-être par des rêves d' adulte poursuivi par des meutes d 'enfants menaçants. Prise en main. Tout le monde au tableau et on ne s' éloigne pas plus que le bout de ma  baguette, le troupeau ondule facilement et se laisserait bien distraire par des facéties de tous ordres, de même que les 25 autres qui font semblant de faire un travail sur leur cahier et en réalité cherchent un créneau pour se dissiper. J' ai l' oeil et même les deux, un à droite, l' autre à gauche, strabisme obligé. 

 On y va, je commence ma méthode, ça c' est la lettre B(é), si je la mets sur mon ardoise et que je la pose à côté de mon "A" ce dessin bizarre qu' on appelle A, allez savoir pourquoi, donc sij ' installe mon B(é) devant mon A, ça fera quoi ?-  BéA,  M' sieur - mais non pas BéA,  cancre,  ça fera BA, parce que mon B(é) en réalité c' est un Be qui cherche à aspirer un "A" pour faire Be + A, = BA ( ils pourraient pas l' appeler Be leur lettre et pas Bé, vraiment rien pour aider)

Compris ? B(é) c ' est Be et Pé c' est Pe et Pé avec A ça fait PA et PAPA va venir vous gronder si vous continuez à remuer. M' sieur - oui, Bertrand- Maman m' a appris la lettre R (ère), - avec un A ça fait èrA ou RéA ou ReA. ou RA ? - chipoteurs déjà !  - plus tard, chaque chose en son temps - et toi Julien, ta mère elle t' a appris quoi ? - Rien - tant mieux - toi qui lève le bras, tu demandes à lire, tu es intéressé et tu veux lire ?- non,     M' sieur, moi, , c' est la "grosse commission" et ça presse - tu sais y aller tout seul ?- oui, M' sieur - alors, vas-y vite. M' sieur, moi, c' est la petite, je peux y aller ? et moi aussi ? M' sieur, j' ai besoin fort . Voilà qu' il en manque une dizaine,  c' est contagieux   ( L' émotion peut-être, je me rappelle mon oral du Bac et l' angoisse n' ayant pas de pantalon de rechange ) - Mon demi-cercle d' auditeurs-acteurs devant le tableau, est dégarni fortement - je me suis fait avoir- je serai moins cool la prochaine fois;  ça revient petit à petit - on en était à PAPA - oui, M' sieur et avec un i ça fait PIPI dans le POPO, je n' y couperai pas, PAPA, PIPI, POPO bien sûr et bientôt CACA si ça les amuse. Les instructions  officielles disent       d' utiliser " des  Centres d' intérêt", les intéresser avec des centres d' intérêt, rien sans intérêt, je vois que les contingences physiologiques ça appelle       l' intérêt. Je craque, je vais appeler pour moi seulement NINI (peau          d' chien), une belle NANA et ses NéNés pendant qu' on y est.                  Où suis-je?                                                                         

Du calme, mais n' oublions pas les 25 qui ont expédié leur page d' écriture à  la vitesse très grand V et commencent à s' agiter - Silence, les grands, laissez travailler les petits ! - M' sieu ? -  celui-là je l' ai dans le collimateur depuis un temps - il s' appelle Simon, le clown de service - Oui ? - M' sieur, il a dit un gros mot - c ' est pas vrai , c ' est lui  - Calmez - vous et surveillez votre langage - Reprenons , j' ai une ardoise avec B, une autre avec P, une avec R, une avec T ou autre chose , je les pose devant mes A, E, I O, U  et on lira  BA ou RI ou TU, etc...             compris ?


  M' sieu ? C' est le Simon du groupe des grands, encore lui - M' sieu, il a dit M...- indignation générale envers celui qui l' a dit ou celui qui le répète - Simon, tu l' as dit aussi, tu es aussi fautif - assieds-toi et finis ton travail. M' sieu, j' ai fini - et bien révise ta table des cinq - M' sieu, je la sais par coeur - les voisins, oui, M' sieu, c' est vrai, même qu' il nous l' a récitée - alors croise les bras et attends que j' arrive et tiens-toi tranquille, sinon je vais me fâcher . Je reprends la chanson avec les petits, c ' est devenu une chorale, B A BA etc... ils croient qu' il faut chanter et ils aiment ça et si je change l' ardoise, ils continuent le même air. Je n' en peux plus et voilà le Simon qui est debout, encore, la main verticale,      M' sieu ? - J' ai peur, je m' attends à tout. Il est hilare, sa bouche fendue en arc de cercle concave de 120 degrés rejoint ses oreilles, son regard circulaire fait le tour de l' auditoire, sidéré d' un tel culot . 

Je retiens mon souffle (la suite est vraie, ça s' est vraiment passé comme ça) M' sieu - il a dit "capote anglaise" et il rit, il rit, il regarde autour de lui pour mesurer l' impact, la classe est figée mais se reprend très vite et chuchote et bavarde et s' agite, je ne maîtrise plus rien. Mon Dieu laïque, viens à mon secours, que t' ai-je fait pour mériter ça ? Impasse totale. Simon a gagné. 

  Tout le monde dehors, on avance la récréation - et vite et en silence, et pas un mot et ....
    (je répète, ça  s' est vraiment passé comme ça)

Jeune adulte 8

    Les semaines s'écoulent, la lecture avance, le petit peuple assimile les lettres, les sons, la classe reste relativement calme malgré les deux ou trois amuseurs publics déjà cités, leur inspiration s' est tarie, c' est le consensus. Chaque jour  je surveille la fenêtre pour guetter une arrivée soudaine du tribunal devant lequel je dois comparaître pour le Certificat d' aptitude pédagogique, et un jour ça y est, ils sont là, personne ne m' a prévenu. J'ai pris la peine, moi, un jour venu, d' aller à bicyclette chez une collègue pour lui annoncer la visite dont j'avais eu connaissance pour le lendemain, de l' aréopage chargé de son jugement, (c' était aussi une occasion d' aller la voir) mais pour moi rien, alors que  l' Inspecteur est persuadé que le secret transpire toujours. "Vous m' attendiez" me dit-il avec un air entendu – oui - tous les jours mais pas forcément celui-là.                                                                                  

 Ils sont trois, deux directeurs d' école de ville, plus M. l' IP., à qui je ne dois pas me contenter de dire Monsieur tout court, mais Monsieur            l' Inspecteur, je précise aussi que tout courrier devait se terminer par        " l' expression de mon profond respect "ou "mes respectueuses salutations".  Il s'installe au bureau et prend des notes, les autres juges vont et viennent dans la classe, pas de place pour s' asseoir, on est trop nombreux, les plus de 50 gamins plus les quatre adultes (dont moi un presque adulte) et je dois orchestrer le tout, réelle gymnastique, discipline, efficacité, coordination des tâches, maniement de la baguette rassembleuse, la matinée est longue et tendue

Délibération des chefs et verdict : admis, capacité à enseigner reconnue avec toutefois pas mal de réserves, par exemple, enfants livrés à eux-même quand le maître est occupé ailleurs, j' en aurais dit autant à leur place, mais ils ne m'ont pas délivré de recette ni exécuté une démonstration. La note n'est pas terrible, à deux chiffres mais deux petits chiffres, elle augmentera de un demi-point à chaque inspection, on a le temps, si ce    n' est que l' avancement donc la paye, augmente plus ou moins vite en fonction de cette note, pas d'inspection pas d' augmentation rapide de note, stagnation de la paye, évolution à l' ancienneté et non au "mérite" .  j' ai été plus tard quatorze années consécutives sans inspection, bond prodigieux de la note en fin de carrière et grande reconnaissance finale de mes talents mais trop tard pour un avancement accéléré à une année de la retraite. Dans ces métiers, d' aucuns avancent très vite et d' autres sont à la traîne, il y a le mi-choix, le choix, le grand choix, la classe exceptionnelle, la hors-classe ... quant à moi ... 


Je suis maintenant adulte puisque j'ai un métier et une feuille de paye (à regarder à la loupe). J'achète ma première montre- bracelet, à l' époque,    c 'est très cher, du luxe, des mois d' économies. la voiture, la 4CV ou la 2CV, vous n'y pensez pas, inimaginable avant de nombreuses années . Je songe à un petit "vélomoteur"...comme on les appelait à l' époque. Difficile à trouver, encore la pénurie de l' aussitôt-guerre.

Vint l' année suivante, ma première inspection, toujours le guet à la fenêtre, le soulagement tous les soirs le stress tous les matins surtout quand on est allé au bal du dimanche soir

ce qui m' arrivait assez souvent. Tout au long d' une carrière, on tremble chaque jour, on ne peut pas continuellement être parfait, alors cette arrivée surgissant à n'importe quel instant génère une angoisse permanente. 

                                                                                                                                                                                        J 'avais comme chaque jour, allumé mon poêle avec papier et petit bois, préparé mon gros tas de cahiers, et voilà l' Inspecteur- Bonjour – inspection - faites comme si je n' étais pas là - ( facile), il s' installe au bureau
et se plonge dans ses notes - Allez-y, commencez la classe - mais pour commencer il faut distribuer les cahiers et...pas de cahiers- où sont les cahiers ?- Panique - oubliés où? - en épave quelque part ? - première fois que ça m' arrive - Je cherche...- Allez-y, commencez - facile à dire - réflexion intense - ils doivent être sous le bureau - Excusez-moi, Monsieur l' Inspecteur (pour une fois, j'emploie la formule préconisée)-  pouvez - vous SVP vous lever un instant, mes cahiers sont sous le bureau - Il se lève, se rassoit, rien. Désespoir.
Que vais-je devenir ? Mon avenir      s' effondre, je vais être révoqué– Mais qu'attendez-vous ?  - l'IP commence à se poser des questions - et moi aussi - je fais deux fois le tour de la classe désespéré, sans plan B - et une voix s' élève de la si convoitée place au dernier rang de la dernière rangée du fond - M' sieu, les cahiers, ils sont par terre derrière le poêle   (où je les avais déposés pour libérer mes mains en allumant le feu). Soulagement, le coeur reprend son rythme, les couleurs reviennent et avec un quart d' heure de retard la classe commence enfin. La note ? Pas terrible - un demi-point ou un de plus je ne m'en souviens plus trop, mais pas la gloire... (Histoire authentique .

dimanche 16 février 2020

Jeune adulte 9

       Je suis resté trois années dans cette école. Un nouveau directeur est venu, bonne entente, il me confie la grande classe, celle où l' on prépare   l' entrée en sixième qui à cette époque se fait sur concours et tout va à peu-près bien jusqu' au jour où l' on reçoit une circulaire de l' Inspecteur       d' Académie disant que les jeunes maîtres doivent demander un poste de campagne. 

Je fais une demande pour un village pas très éloigné, classe à tous cours avec secrétariat de la mairie ce qui  m' obligera à limiter mon temps de vacances. Je m' initie comme je peux à ce nouveau travail qui finalement me plaît assez, réception des gens, participation à la vie du village, organisation avec les habitants d' une séance théâtrale et deux années se passent, je rejoins souvent mon ancienne affectation où j ai laissé des amis (et des amies) et où je rencontre celle qui deviendra mon épouse et j' ai raconté la suite dans " Beau village".


 Je rejoins donc ma nouvelle affectation celle où j' ai raconté dernièrement avoir vécu en bonne harmonie avec une colonies de loirs, auparavant       j' avais passé un mois en Slovaquie dans les montagnes "Tatras" à creuser une tranchée pour le passage d' un train, pioches, pelles et mains,  (travail 3 semaines, excursions 1 semaine) à l' appel d' un groupement estudiantin, un train entier pour une expérimentation multi-nationalités de méthodes collectivistes auxquelles je renâcle fort et  n' ai participé que pour faire plaisir à un ami plus enthousiaste que moi.  Premier matin, hissement des couleurs, alors là retour au lit et absence les jours suivants. Ensuite, définition de normes de travail, refus de ma part, ça commence mal. Mauvaise tête la semaine, mais par esprit de contradiction volontaire actif pour le travail du dimanche. Je reviendrai cependant intact physiquement et intellectuellement.


 . Je m' étais auto-spécialisé dans le calage des rails sur lesquels roulaient les wagonnets de déblais, difficile, un  wagonnet derrière moi devient incontrôlable par son frein, un levier qui est un rondin de bois inefficace, il  prend de la vitesse, se rapproche du mien et va me pousser ou me projeter, alors je saute en marche, roule dans la pente et me blesse un peu au genou, le wagonnet prend de la vitesse, arrive en fin de rails, se renverse, des blocs de pierre roulent chutent dans le trou profond où des polonais construisent une structure en bois pour édification d' un pilier, craquements, poutres déchirées et les ouvriers d' en bas qui me regardent interloqués, je suis en haut du trou, je scrute les dégâts, personne n' est blessé par un hasard merveilleux, pendant une seconde je crois au "Bon" dieu. je reprends ma respiration, on reconditionnera la structure en bois, aucun reproche, soumis et résignés les ouvriers (des vrais, pas des clampins comme moi). Je renonce à ma spécialité. 

Le premier jour, à Prague, sorti seul, je m' étais perdu, sans argent, vêtu du misérable short qu' on nous avait remis à l' arrivée, sans argent, frigorifié, sans papiers, sans langage intelligible,  et la nuit qui vient, affolé, désorienté, où est le collège Mazarik ? Plusieurs heures d' errance, arrivée tardive, repas terminé, j' entre dans une salle où des applaudissements rythmés saluent le discours d' un orateur, moi je  n' applaudis pas de cette façon sur commande, pas convaincu d' office, refus, mauvais départ.

  Quelques années plus tard, au hasard d' une conversation, j' apprends que le médecin du bourg où j' étais devenu professeur de Collège était dans ce train vers la Tchécoslovaquie, il me demande si je me souviens d' un incident, long arrêt du train pour cause d' une portière restée ouverte, sûr que je  m' en souviens, il m' avoue  qu' il était la cause (volontaire ou pas, je n' affirme rien...) de cet incident  et il en est tout fier. Extraordinaire cette période de vie où on n' est toujours qu' à moitié responsable, cause jeunesse, et qu'on en est parfaitement conscient. Nous sympathisons aussitôt, quelques points communs, c' est sûr.

 Voilà j' ai tout raconté de mon itinéraire professionnel et maintenant que je suis vieux tout cela me paraît désuet presque futile...la vie est ainsi faite, tout revient en boucle comme le scénario d un film pas mauvais mais très quelconque où l' on serait acteur et qui aurait pu être différent puis tout  s' efface, tout se dilue, tout s' oublie, tout disparaît.

Jeune adulte 10

Je me revois quarante années en arrière quand surgit dans nos écoles un évènement qui changea nos vies d' enseignants, un cataclysme. J' en avais vaguement entendu parler par un collègue d' une ville voisine " Tu sais ce que  c' est la théorie des ensembles ? - Non, aucune idée - On en parle beaucoup - Ah bon ! " . 

Et on en parla de plus en plus si bien que j' achetai une publication toute neuve qui m' expliqua par le détail de quoi il s' agissait, remettre de l'ordre dans une maison un peu disparate, reconsidérer la structure des nombres, savoir de quoi on parle et faire avec des mathématiques de la mathématique. 

Et j' étais à peu près prêt quand le tsunami surgit dans les classes, on organisa des réunions, j' assistai à l' une  au chef lieu du département ou en une journée j' eus droit à l' exposé à rapidité vertigineuse des nouvelles  maths de la 6ème à la terminale. On se regardait entre collègues ce qui signifiait " tu suis encore ou t' es largué ?" 

Une autre fois, convoqué encore, à mon avis pour être mieux formé, non, je compris que c' était moi qui devenait formateur des instituteurs de mon canton. On s' habitue à tout et j' entrai dans la danse.

 Finalement ce n' était pas la mer à boire, cependant, en particulier la géométrie prit un tout nouvel aspect. Jusque là, on faisait confiance à Euclide qui avait dit que la droite est le plus court chemin d' un point à un autre, mais demandons au GPS quel est le plus court chemin pour arriver à la destination des vacances, il va faire des histoires avec ou non les autoroutes, en privilégiant le plus court en temps ou en kilomètres, avec ou sans radars., ringard le Euclide, ça avait besoin d' un sérieux coup de torchon.

 Je viens de rouvrir mon premier livre de mathématique moderne destiné à la classe de quatrième en 1971 (Editions Bordas) et je lis (page 154): Définitions :  Nous appelons droite affine-euclidienne (sans lui demander son autorisation à Euclide)  tout ensemble (D) de points (jusque là           d' accord, ensuite ça se corse) auxquels est associée une famille F de bijections de (D) dans R (pas dans l' air) dans l' ensemble R des nombres réels ( que vous connaissez certainement très bien, merci de me le confirmer)  telle que                                                                         1. si f  et g sont deux éléments de F, il existe un nombre réel a satisfaisant à :   ou bien quel que soit M appartenant à (D)   g(M) = f(M) + a   ou bien quel que soit M appartenant à (D)    g(M) = - f(M) + a  2. inversement si f est un élément particulier de F et  a  un nombre réel  (un vrai ! pas un imaginaire car il existe des nombres imaginaires, allez voir sur Wikipédia) les bijections obtenues par les formules (I) et (II) appartiennent à F.  Nous appelons distance de deux points A et B d' une droite euclidienne le nombre positif valeur absolue de f(A) - f(B), f étant une quelconque des bijections de F.  

Ainsi définie notre ligne droite reste droite dans toutes les courbures de     l' espace-temps, sans se recouper sinon adieu  la bijection ! 




Voilà, j' ai tout dit. (j' ajoute que la consommation d' aspirine à l époque a  vite augmenté dans le corps enseignant) les élèves quant à eux, ils veulent bien tout ce qu' on leur dit, pas contrariants. Un ou deux de mes élèves ont semblé avoir compris ce que ça voulait dire, moi aussi je crois mais je n' en suis pas tout à fait sûr. J' ignore ce que tout ça est devenu, je suis un retraité très réel comme   l' ensemble R (des nombres "réels" ) et j' ai bien mérité ma retraite.