dimanche 13 juin 2021
Beau village 8
Voici ce qui détruisit la cohésion dans mon village. Le remembrement
rural. Le remembrement tend à améliorer les bien-fonds en constituant
des parcelles ayant de plus grandes surfaces, des formes mieux adaptées
aux façons culturales et des accès indépendants. Les missions consistent
principalement en : la constitution de la documentation cadastrale
des parcelles à remembrer, l'abornement du périmètre de la zone à
remembrer le piquetage sur le terrain des nouvelles parcelles après
remembrement, la confection des plans de l'ancienne et de la nouvelle
situation Facile à dire, plus difficile à faire. Succédant à mes
inspecteurs de police, cette fois ce furent les géomètres qui
investirent la salle de la mairie pour un jeu en apparence facile
quoique un peu long en un temps où l' informatique était encore à
naître. On étale les plans cadastraux, on se munit de ciseaux virtuels,
on découpe les multiples petites parcelles pour que petites parcelles
deviennent grandes, bien exploitables, d' accès aisé, facilitant ainsi
le travail de nos agriculteurs et le rendement de notre Agriculture
nationale. Mais, ces parcelles sont des pâtures ou des terres à blé, ou
des bois, ou des friches, plus ou moins bien accessibles, plus ou moins
bien travaillées, plus ou moins bien débarrassées des pierres, plus ou
moins bien exposées, plus ou moins bien irriguées, même l'
informatique ne saurait intégrer tous ces facteurs,
seul l' exploitant les connaît et
pas ces géomètres plus ou moins fonctionnaires du ministère de l'
Agriculture. Nos villageois furent reçus l'un après l' autre à la mairie
pour formuler leurs griefs, tous avec la peur d' être lésés et le
regard méfiant sinon méchant vers le voisin qui allait bénéficier de
leur belle terre si bien travaillée alors qu' on leur proposait en
échange des parcelles négligées difficilement
exploitables. La propriété foncière est sacrée et intouchable et on est prêt pour
elle à tous les combats. On s' habitua, les élèves et le maître à ce
défilé incessant dans le couloir de la mairie-école et aux palabres sans
fin et parfois violentes, jusqu' au jour où la grande décision fut
prise, solidarité retrouvée dans l' action, on envoie un commando bien
décidé à la mairie, on arrache tous les plans qui décorent les murs,
on les descend dans la cour et on y met le feu. Ce fut un grand
autodafé avec une particularité, il fut réalisé par des femmes,
uniquement les femmes, les hommes devaient attendre au "bistrot" ou
cachés dans les environs. Pourquoi les femmes ? D' abord elles sont
aussi intéressées que les hommes à leurs biens inaliénables et
secondement on m' expliqua ensuite que les hommes initiateurs de l'
opération pensaient que cette action était passible de sanctions
judiciaires et que les femmes seraient moins poursuivies en
reconnaisance de leur qualité de mère imposant leur présence à la
maison. Autrement dit, on envoyait les femmes au "casse - pipe" en
affreux" machos". Bon alors, ce jour-là, je retardai la sortie en
récréation jusqu' au dernier rougeoiement des cendres, le commando s'
était vite dispersé sans laisser sa carte de visite et bien sûr, il va
de soi que, quand on me le demanda, à cause de la fumée, je n' avais
reconnu aucune de ces femmes, c' est évident. Il y eut une enquête,
pour la forme, mais pas de poursuites, les plans étaient en double, ils
regarnirent vite les murs de la mairie et on sait que temps et la
patience viennent à bout de tout. La colère s' apaisa, on commença même
à s' intéresser aux avantages du système, mais ce fut très long, après
tout ce n' était peut-être pas si mal que ça. Je quittai le village
cependant avant une réconcialiation totale. Encore une fois, le calme
revint et je continuai à transporter trois ou quatre fois chaque jour
mes deux arrosoirs d' eau remplis à la source, jusqu 'à ce que j' en
eusse assez et que je décidasse de trouver une solution à cette corvée
d' eau...
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