Poêle à bois réinstallé, distribution de lait terminée, tout est
calme,
enfants studieux, intéressants, intéressés, certificats d' études
réussis, population satisfaite des jeunes maîtres. Je rêve d' une
petite voiture et pas n' importe laquelle, une " juvaquatre" dont l'
arrière arrondi me fascine. Une offre se présente, je ne marchande pas,
un oncle me prête l' argent nécessaire que je n' ai pas bien sûr et à
moi l' auto. Elle a cependant de gros défauts cette auto, je ne les
découvrirai que plus tard après le premier ravissement. Elle va venir à
domicile, sur ses quatre roues dans quelques jours , juste
après l' obtention de mon permis de conduire. Mais,
recalé refus de priorité pendant l' examen, ou plutôt accélération pour
ne pas gêner celui qui vient à ma droite, j' ai toujours été si poli,
mal compris par l' examinateur et tout déconfit je reviens les mains
vides alors que je sais que l' auto va arriver.
Je l' ai achetée à un
postier de Châlons sur Marne qui m' annonce la livraison, et je n' ai
pas le permis, je ne serai reconvoqué que plus de six mois plus tard. Le
vendeur est là, il me donne les clés, la carte grise, je lui donne un
beau paquet de billets, il me demande de le conduire à la gare la plus
proche, 25 km, pour permettre son retour. Que faire ? Je trouve, mais
oui, Bien sûr ! la solution est un appel au Ciel ou plutôt à son
représentant, je vais trouver mon voisin à soutane, qui lui, a un permis
bien solide pour une grande auto à beaucoup de places, il sert de taxi
à bien des habitants, j' explique mon nouveau malheur, il m' accompagne
et je présente mon chauffeur particulier au vendeur de la juvaquatre
qui ouvre de très grands yeux ébahis face à ce duo qu' il n' avait
vraiment pas imaginé, et nous partons pour la gare, curé et instituteur
agnostique au coude à coude.
Le curé est mon plus proche voisin car l'
école n' avait pas de cour de récréation autre que la place de l' église
ouverte à la circulation automobile- j' ai une histoire à raconter à ce
sujet- une voiture de police en contact avec un écolier - je raconterai
plus loin - sur la place de l' église s' ouvre la porte de l'immense
bâtiment du presbytère, où, de retour de la gare, le curé donne asile à
mon véhicule. Le presbytère a même des dépendances, un grand terrain
que j' utilise pour les leçons de gymnastique, l' école n' en a pas.
Chaque jour, j 'entre au presbytère où ma voiture est garée, je démarre
la voiture, je recule, j' avance et bien entendu après une ou deux
semaines, finie la batterie. Pas de batterie, pas de permis, voiture
immobilisée, je ne peux que contempler ma belle auto, m' installer à l'
intérieur, redescendre, faire le tour. Désastre total et pas sûr de
conquérir un permis dans six mois.
Parlons un peu de la voiture, elle
datait d' avant-guerre. La voiture à l' époque avait une manivelle pour
"dégommer" le moteur l' hiver car l' huile moteur se figeait, il fallait
faire deux ou trois tours de manivelle, ensuite on mettait le contact,
un demi- tour rapide et vigoureux vers le haut et c' était parti.
Attention, bien franchir la compression, sinon retour de manivelle et
fracture possible du poignet. Une petite manivelle de secours aussi pour
les essuie-glaces. En période de gel, on devait vidanger le radiateur
et tout le circuit de refroidissement sinon risque d éclatement du
moteur, le climat n' était pas encore réchauffé et les moins dix ou même
moins quinze n ' étaient pas des exceptions. J' appris vite à doser un
mélange odorant d' eau et d' alcool à brûler pour me dispenser de la
corvée de vidange les soirs de grand gel. Les liquides de
refroidissement n' existaient pas ou bien n' étaient pas disponibles
dans le marché local. Il fallait ausi de temps en temps souffler dans
les gicleurs qui parfois se bouchaient, facile, et apprendre à régler l'
écartement des vis platinées du Delco et aussi apprendre à régler les
freins, le grand défaut de la voiture était d' abord la quasi absence de
freins. C' était des sortes de sabots qu' on actionnait par des câbles
en appuyant de toutes ses forces. J' y ai appris la prudence extrême
après m être fait traité de goujat, pour avoir dépassé bien malgré moi,
une file de voitures en attente devant un passage à niveau et m ' être
arrêté juste devant la barrière, en double file, dans des sueurs
froides. A l' époque, on savait se tirer d' affaire. Exemple : si vous
êtes en panne sur un passage à niveau, passez la première vitesse et
faites tourner le moteur à l' aide de la manivelle, ainsi centimètre
après centimètre vous sortirez du passage dangereux, si bien sûr le
train vous en laisse le temps. Autre défaut de ma belle "juva". Le
moteur avait beaucoup tourné et les cylindres étaient ovalisés, alors on
utilisait des segments dits "américains" des sortes de ressorts qui
dans leur mouvement se déformaient pour assurer une étanchéité toute
relative, ce qui évitait un realésage que je fis faire cependant car le
moteur chauffait. Si vous quittiez la route horizontale de la plaine
pour vous aventurer en altitude, alors tous les deux ou trois kilomètres
gros nuage sur le capot, l' eau bouillante sortant du radiateur. Arrêt,
attente, remplissage avec l' eau de secours qu' on n' oubliait
jamais et ça repartait pour pas bien longtemps.
Et c' est avec ce beau
véhicule que je ramenai fièrement de la maternité un beau bébé tout
neuf, ma fille aînée. Si vous pensez que mon besoin de curé est
terminé, non, pas du tout, il me le faut encore, je vous
raconterai...
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