jeudi 17 juin 2021

Beau village 4

   Poêle à bois réinstallé, distribution de lait terminée, tout est calme,
enfants studieux, intéressants, intéressés, certificats d' études réussis, population satisfaite des jeunes maîtres. Je rêve d' une petite voiture et pas n' importe laquelle, une " juvaquatre" dont l' arrière arrondi me fascine. Une offre se présente, je ne marchande pas, un oncle me prête l' argent nécessaire que je n' ai pas bien sûr et à moi l' auto. Elle a cependant de gros défauts cette auto,  je ne les découvrirai que plus tard après le premier ravissement. Elle va venir à domicile, sur ses quatre roues dans quelques jours , juste après    l' obtention de mon permis de conduire. Mais, recalé refus de priorité pendant l' examen, ou plutôt accélération pour ne pas gêner celui qui vient à ma droite, j' ai toujours été si poli, mal compris par l' examinateur et tout déconfit je reviens les mains vides alors que je sais que l' auto va arriver.


Je  l' ai achetée à un postier de Châlons sur Marne qui m' annonce la livraison, et je n' ai pas le permis, je ne serai reconvoqué que plus de six mois plus tard. Le vendeur est là, il me donne les clés, la carte grise, je lui donne un beau paquet de billets, il me demande de le conduire à la gare la plus proche, 25 km, pour permettre son retour. Que faire ?  Je trouve, mais oui, Bien sûr ! la solution est un appel au Ciel ou plutôt à son représentant, je vais trouver mon voisin à soutane, qui lui, a un permis bien solide pour  une grande auto à beaucoup de places, il sert de taxi à bien des habitants, j' explique mon nouveau malheur, il m' accompagne et je présente mon chauffeur particulier au vendeur de la juvaquatre qui ouvre de très grands yeux ébahis face à ce duo qu' il n' avait vraiment pas imaginé, et nous partons pour la gare, curé et instituteur agnostique au coude à coude.

Le curé est mon plus proche voisin car l' école n' avait pas de cour de récréation autre que la place de l' église ouverte à la circulation automobile- j' ai une histoire à raconter à ce sujet- une voiture de police en contact avec un écolier - je raconterai plus loin - sur la place de l' église s' ouvre la porte de l'immense bâtiment du presbytère, où, de retour de la gare, le curé donne asile à mon véhicule. Le presbytère a même des dépendances, un grand terrain que  j' utilise pour les leçons de gymnastique, l' école n' en a pas. Chaque jour, j 'entre au presbytère où ma voiture est garée, je démarre la voiture, je recule,  j' avance et bien entendu après une ou deux semaines, finie la batterie. Pas de batterie, pas de permis, voiture immobilisée, je ne peux que contempler ma belle auto, m' installer à l' intérieur, redescendre, faire le tour. Désastre total et pas sûr de conquérir un permis dans six mois.


 Parlons un peu de la voiture, elle datait d' avant-guerre. La voiture à l' époque avait une manivelle pour "dégommer" le moteur l' hiver car l' huile moteur se figeait, il fallait faire deux ou trois tours de manivelle, ensuite on mettait le contact, un demi- tour rapide et vigoureux vers le haut et c' était parti. Attention, bien franchir la compression, sinon retour de manivelle et fracture possible du poignet. Une petite manivelle de secours aussi pour les essuie-glaces. En période de gel, on devait vidanger le radiateur et tout le circuit de refroidissement sinon risque d éclatement du moteur, le climat n' était pas encore réchauffé et les moins dix ou même moins quinze n ' étaient pas des exceptions. J' appris vite à doser un mélange odorant d' eau et d' alcool à brûler pour me dispenser de la corvée de vidange les soirs de grand gel. Les liquides de refroidissement n' existaient pas ou bien n' étaient pas disponibles dans le marché local. Il fallait ausi de temps en temps souffler dans les gicleurs qui parfois se bouchaient, facile, et apprendre à régler l' écartement des vis platinées du Delco et aussi apprendre à régler les freins, le grand défaut de la voiture était d' abord la quasi absence de freins.    C' était des sortes de sabots qu' on actionnait par des câbles en appuyant de toutes ses forces. J' y ai appris la prudence extrême après m être fait traité de goujat, pour avoir dépassé bien malgré moi, une file de voitures en attente devant un  passage à niveau et  m ' être arrêté juste devant la  barrière, en double file, dans des sueurs froides. A l' époque, on savait se tirer d' affaire. Exemple : si vous êtes en panne sur un passage à niveau, passez la première vitesse et faites tourner le moteur à l' aide de la manivelle, ainsi centimètre après centimètre vous sortirez du passage dangereux, si bien sûr le train vous en laisse le temps. Autre défaut de ma belle "juva". Le moteur avait beaucoup tourné et les cylindres étaient ovalisés, alors on utilisait des segments dits "américains" des sortes de ressorts qui dans leur mouvement se déformaient pour assurer une étanchéité toute relative, ce qui évitait un realésage que je fis faire cependant car le moteur chauffait. Si vous quittiez la route horizontale de la plaine pour vous aventurer en altitude, alors tous les deux ou trois kilomètres gros nuage sur le capot, l' eau bouillante sortant du radiateur. Arrêt, attente, remplissage avec  l' eau de secours qu' on             n' oubliait jamais et ça repartait pour pas bien longtemps.


 Et c' est avec ce beau véhicule que je ramenai fièrement de la maternité un beau bébé tout neuf, ma fille aînée.  Si vous pensez que mon besoin de curé est terminé, non, pas du tout, il me le faut encore, je vous raconterai...      

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