dimanche 20 juin 2021

Beau village 1


    1950 - 1951. Fin de célibat. Un couple de jeunes instituteurs se forme et cherche un  lieu d'accueil en consultant une liste fraîchement publiée. Pas une ville, ni même un gros bourg, eldorado pour anciens, non, une campagne avec ses deux classes habituelles pour le maître et la maîtresse. Tiens, regarde ce nom qui commence par "Mont," toi qui est montagnarde de souche, ça doit te convenir, pourquoi pas, peu importe où est le nid, c' est le nid qui importe. On fait la demande. Elle est acceptée.


Il faut bien aller voir quand même, pas d' auto, un luxe impossible à cette époque pour deux traitements d' instituteurs après cinq ans d'exercice, bas de laine presque vide, étonnant,   
n' est-ce pas ?  On coûtait déjà à cette époque très cher à l' Etat  qui savait, ce n' est pas nouveau,  diviser par deux le nombre de ses agents car quand mon épouse dut s' absenter pour une première naissance, l' autorité me dit  - puisque nous n' avons personne pour remplacer votre épouse, vous regrouperez tous les élèves, à l' exception des tout-petits, en une seule salle -  et ...vous vous débrouillerez. Il suffisait de tomber une cloison en bois, pour de deux classes n' en faire qu' une. Très simple, élémentaire mon cher.... J' ai cru un instant que j' aurais double-paye, que nenni ! Pas un kopek de plus, mais je vis cependant venir enfin une remplaçante quelques petits jours , à compter sur les doigts d' un manchot, avant la reprise en mains par mon épouse.


Quelques habitants me dirent comparer leurs revenus avec les miens et j' avais presque honte d' être si "nanti",  peut-être le plus fort revenu  du village à les en croire. D' autres me  présentèrent le décompte des jours de classe par rapport aux jours de  l' année, et je dus admettre que je travaillais peu. J' étais heureux cependant de savoir qu' ils pouvaient trouver quelque temps de loisirs pour la sainte chasse nécessaire à la régulation du gibier, et pour le grand marché  hebdomadaire de la ville proche et ça me disculpabilisa un peu. L' un d' eux me déclara  bientôt à la Mairie et d' une forte voix - "Les fonctionnaires, c' est nous qu' on les paye" - et trop timide, je n' ai osé lui demander une augmentation qui pourtant eût été la bienvenue. Ensuite j' ai comparé son chiffre d' imposition avec le mien  et là j ai vu que je contribuais vraiment beaucoup plus que lui aux finances de l' Etat, mais  Bon...Voilà, il me fallait faire cette digression, je ne recommencerai pas. Et puis maintenant j' ai une retraite, et même deux, alors tais-toi , mon vieux et pense aux malheureux.!


Donc, pardon, passons, je me suis égaré . Je continue. On verra plus tard pour la belle auto à laquelle on pense, je reprends le début de l' histoire en installant ma chère Dulcinée sur un coussin posé sur le porte-bagages, aux fins d' atténuer les rebonds d' un vélomoteur sans amortisseurs comme ils l' étaient en cette lointaine époque. Arrivée au bas d' une dure montée, la machine   s' effraye, peine un peu , ira-t-elle jusqu' au haut, oui,  voilà le village, effectivement sur un mont exposé à tous les vents, vue claire sur la basse vallée de la rivière "Dhuys" celle qui par un système souterrain porte à des beaux quartiers de Paris une belle eau très saine.


Voilà   l' école, beau bâtiment qui inspire confiance. Toc-toc. Oui ? On est les nouveaux instituteurs, on vient voir. Entrez donc et bienvenue à nos remplaçants, nous partons pour  un bourg plus important, presque avec regrets, on est si bien ici. On vous fait visiter. Vous êtes dans la cuisine. Oui, je vois l' évier et je suis un peu bête, je ne sais pas voir le robinet. Pas de robinet, on utilise une bonne eau de source naturelle que vous trouverez en bas du sentier qui descend en tournant, voyez-le par la fenêtre, une bonne centaine de mètres en grande déclivité, vous descendrez avec deux brocs et en remontant vous en laisserez un au groupe des toilettes pour écoliers,  (et maîtres soumis aux mêmes impératifs physiologiques). Une grande fosse qu' on vide quand elle est pleine. Et l' eau de l' évier, où va-t-elle ? Trajet naturel, elle sort par ce tuyau qui descend le long du mur, ensuite ? Ensuite, elle va son chemin qu' elle  a tracé,  toute seule.  Quel bonheur pour de jeunes mariés,  la belle vie simple et saine qui s' offre  à eux, le retour aux sources (ce qui est effectivement le cas pour l' alimentation en eau). Question subsidiaire - en me penchant, je n' ai pas vu les persiennes des fenêtres - non, pas de volets, ça servirait à quoi ? - Oui, c' est vrai, à quoi ça peut servir des persiennes, je ne me l' étais jamais demandé, question stupide s' il en est.  Sur ce mont, soumis à tous les vents, l' hiver doit parfois être rude, alors le chauffage, comment est-il assuré ? Voilà, dans la cuisine et la pièce attenante, votre appareil de cuisson, votre cuisinière, vous en avez une ? - Pas encore, mais on y pense- votre cuisinière donc, assurera une température convenable si  cependant vous la poussez un peu. Quant à la chambre du haut, vous installerez un poêle à bois, c' est très efficace en dépit des quatre mètres sous plafond et d' une fissure dans le mur  qui, et c' est un plus, assure le renouvellement de l' air - et le bois ? - Un paysan vous le fournira volontiers mais demandez-lui des bûches de faible diamètre pour les débiter facilement en morceaux adaptés à votre poêle, à l' aide d'une scie à bûches dont il vous faut faire   l' acquisition , ainsi que d' une hachette, n' oubliez pas,  pour  fendre du tout petit bois, indispensable à l' allumage de votre poêle et des deux de l' école - je vous les fais voir - le dessus est élargi de  façon à recevoir et réchauffer à midi les "gamelles" de nos écoliers qui viennent la plupart de bien loin, et souvent à pied, quelques kilomètres, et restent à midi, vous en aurez la surveillance attentive à assurer pendant l' entre - deux classes, ils sont gentils, les grandes filles prennent soin des petits et font le ménage de façon irréprochable.


Merci, c ' est assez pour aujourd' hui. On réajuste le coussin qui avait glissé de sur la " Monet Goyon 100 CC" , 100 parce que la 125 était trop chère, une petite merveille dont je rêve encore, mon premier accès à la Liberté , et tout ébahis mais pas vraiment ravis, nous revenons  au port d' attache, un peu angoissés, en  se déclamant à nous - mêmes, ce si vrai et  réconfortant adage populaire " Quand faut-y-aller, faut-y-aller" et on ira, - surtout parce qu' on ne peut pas faire autrement - Et je viens de me rendre compte que je serai en même temps, le secrétaire de la mairie et que je sacrifie ainsi une grande partie de mes vacances, mais j' ai confiance, tout le monde m' a tellement répété qu' instituteur, c' est le plus beau métier du monde. Jusque là, pas convaincu mais je ne demande qu' à     l' être... (à suivre)
  

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