samedi 19 juin 2021

Beau village 2

    Et voilà, on y est, petite installation. De la camionnette d' un ami de la famille, on a descendu la toute neuve cuisinière, le poêle de chez Godin, le lit indispensable à des jeunes mariés, les meubles élémentaires et on attend un peu émus, les écoliers qui arrivent, c ' est le premier octobre, toujours triste jour, fin de l' été, "colchiques dans les prés",  fin de la liberté, compensées en partie seulement par les retrouvailles.

 Quelques enfants, privilégiés, descendent de voiture, la plupart n' ont que leurs pieds pour venir de loin, de très loin, un, deux, voire trois kilomètres ou plus, car le village est très dispersé avec une bonne dizaine de gros hameaux et des fermes isolées. Le soir, ils regagnent la maison avec les provisions achetées au magasin du village et le poids s' ajoute à celui des cartables. Ils sont stoïques, comme me le dit encore une ancienne élève qui nous envoie fidèlement ses voeux sans le moindre manquement depuis 1958. (Comptez les années de fidélité de Godelive). Elle m'a rappelé même que des maximes de morale  étaient écrites chaque jour par la craie blanche sur le tableau noir. Vous dites   "désuet", d' accord, les temps ont changé et la morale aussi, bien que... n' insistons pas.

Le soir, ils participent activement aux travaux de la ferme où chacun a sa tâche, ensuite ils font leurs "devoirs du soir", des problèmes compliqués, des divisions à je ne sais combien de chiffres après la virgule, des règles d' orthographe à savoir sans faute car il faut collectionner les notes dix sur dix et pas les seulement neuf sur dix, très perfectionnistes. Je me repens maintenant d avoir été si exigeant, c' était trop. L' hiver, ils ne reculent pas devant la neige ou le gel, toujours présents, l' école ça ne se manque pas, c'est sacré quoique laïque, aucune plainte, c' est comme ça et c' est tout. J' ai dit "laïque", oui, les gens le percevaient plus ou moins confusément comme un équilibre nécessaire et auraient été fort étonnés s' ils m' avaient vu à la messe du dimanche. Le 11 novembre, je  faisais réciter un poème aux enfants que  j' attendais à la sortie de l' office religieux. Aucune réprobation, aucun commentaire, attitude considérée comme très normale en un pays pourtant, où les villageois tous, ou presque,  bien - pensants comme il se doit, se faisaient passer chaque jour, le "panier du curé" pour subvenir à son besoin de nourriture terrestre qu' il payait très largement en nourriture céleste. Je parlerai plus loin de mes relations de bon voisinage avec l' occupant du presbytère voisin.

Chaque chose en son temps. Je reprends, c' est jour de rentrée, les enfants s' alignent en silence devant la porte de l' école,ensuite à l' intérieur ils attendent dans les rangées l' autorisation de             s' asseoir, en silence toujours. Ils nous observent, car... la question se pose dans le village, serons - nous à la hauteur pour assurer la continuité des anciens maîtres qui partent auréolés du regret unanime de la population, ils sont irremplaçables, on m' a déjà vanté leurs grands mérites et déclaré que les candidats au sacré saint Certificat d' études seront reçus en grande partie par leur travail des années précédentes plus que par le nôtre. Merci ! Bel encouragement.  Les écoliers disposent leurs gamelles sur le poêle, leur repas sera chaud, tout se passe bien, debout le long des tables, ils                 s' assoient au signal . Je dis :"Asseyez-vous" et ils s' assoient, une mécanique bien huilée. Ils n' ont désobéi qu' une seule fois, alignés dans la cour (- oui, les élèves   s' alignaient en silence dans la cour avant d' entrer et se tenaient encore debout silencieux dans les rangées entre les tables dans la classe avant d' être invités à s' asseoir - ça vous étonne ? ) - je disais donc qu' ils n' ont désobéi qu' une fois, alignés dans la cour, un jour où un peu fatigué ou distrait,   j' ai dit  " Asseyez-vous" au lieu du "Avancez" habituel. Ils ne se sont pas assis sur le sol comme je les y invitais, mais se sont avancés sans même un rire.  Le jour où  j' ai dit "Prenez vos assiettes" au lieu de dire "Prenez vos ardoises", là ils ont ri  avec moi, car me connaissant, ils savaient qu' ils étaient autorisés et même invités à se moquer éventuellement, gentiment,  du maître, élèves- maître, maître - élèves, même ligne de conduite dans les deux sens. J' avais autorisé et et même encouragé le rire en classe.

 Les poêles à bois, à double fonction, chauffage de la salle, réchauffage des repas, il en sortait des tuyaux de petit diamètre qui décrivaient plusieurs courbes pour atteindre la sortie par les fenêtres, mais rebelle au parcours imposé  la cendre de bois s' y accumulait d' où fumée dans les classes, Après des recours au charron du village, homme de toutes les ressources, c' était même lui qui devenu Père Noël surgissant à l' école en décembre, toujours attendu par les élèves avec les quelques cadeaux offerts par le magasin "Les Coopérateurs de Champagne" qui avaient une succursale dans le village, après donc  ces interventions, je fis avec mes propres deniers    l' acquisition d'une échelle et régulièrement je démontais et désobstruais le système. Ma femme qui fit ses premiers pas de pédagogue patentée en Lozère me raconte que dans un certain village, avec l' aide des écoliers, elle devait, selon le vent, choisir la fenêtre par laquelle faire sortir le tuyau du poêle, changement du vent, nouvelle orientation d'un coude et changement de fenêtre de sortie de la fumée.

 Je continue à parler des poêles, parce que,  en plus de réchauffer les repas, il fallut réchauffer du lait, je parle de l' année 1954, où le Président du Conseil de l' époque Pierre Mendès-France, décida que pour éviter des malnutritions supposées ou pour répondre à une crise agricole (déjà) une distribution de lait se ferait dans les écoles, si bien que tous les matins, un bidon de lait arriva à sous les yeux écarquillés des enfants.- M' sieur, on boit plein de lait à la maison, on a des vaches, on en a pas besoin - Le règlement est le règlement, buvez du lait.  Mais, ce lait, il fallait le faire chauffer, alors je fis       l' acquisition d'un petit camping - gaz, que j' installai dans le couloir de l' école, je sortis une partie de ma batterie de cuisine car les récipients n' étaient pas fournis et je fis un voyage supplémentaire avec mes deux brocs pour l' eau de la vaisselle, on sait que le lait n' est pas d' un nettoyage facile  et mes élèves, bien malgé eux, durent incurgiter le lait P. M-F, le règlement étant le règlement.  On continue avec les poêles. Le maire, voyant mes difficultés, me dit qu' il n' était pas hostile au progrès et qu' il allait m' acheter un super poêle à mazout, ce qui fut fait et m' entraîna dans quelques mésaventures que je vous conterai...

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