dimanche 20 juin 2021

Beau village 1


    1950 - 1951. Fin de célibat. Un couple de jeunes instituteurs se forme et cherche un  lieu d'accueil en consultant une liste fraîchement publiée. Pas une ville, ni même un gros bourg, eldorado pour anciens, non, une campagne avec ses deux classes habituelles pour le maître et la maîtresse. Tiens, regarde ce nom qui commence par "Mont," toi qui est montagnarde de souche, ça doit te convenir, pourquoi pas, peu importe où est le nid, c' est le nid qui importe. On fait la demande. Elle est acceptée.


Il faut bien aller voir quand même, pas d' auto, un luxe impossible à cette époque pour deux traitements d' instituteurs après cinq ans d'exercice, bas de laine presque vide, étonnant,   
n' est-ce pas ?  On coûtait déjà à cette époque très cher à l' Etat  qui savait, ce n' est pas nouveau,  diviser par deux le nombre de ses agents car quand mon épouse dut s' absenter pour une première naissance, l' autorité me dit  - puisque nous n' avons personne pour remplacer votre épouse, vous regrouperez tous les élèves, à l' exception des tout-petits, en une seule salle -  et ...vous vous débrouillerez. Il suffisait de tomber une cloison en bois, pour de deux classes n' en faire qu' une. Très simple, élémentaire mon cher.... J' ai cru un instant que j' aurais double-paye, que nenni ! Pas un kopek de plus, mais je vis cependant venir enfin une remplaçante quelques petits jours , à compter sur les doigts d' un manchot, avant la reprise en mains par mon épouse.


Quelques habitants me dirent comparer leurs revenus avec les miens et j' avais presque honte d' être si "nanti",  peut-être le plus fort revenu  du village à les en croire. D' autres me  présentèrent le décompte des jours de classe par rapport aux jours de  l' année, et je dus admettre que je travaillais peu. J' étais heureux cependant de savoir qu' ils pouvaient trouver quelque temps de loisirs pour la sainte chasse nécessaire à la régulation du gibier, et pour le grand marché  hebdomadaire de la ville proche et ça me disculpabilisa un peu. L' un d' eux me déclara  bientôt à la Mairie et d' une forte voix - "Les fonctionnaires, c' est nous qu' on les paye" - et trop timide, je n' ai osé lui demander une augmentation qui pourtant eût été la bienvenue. Ensuite j' ai comparé son chiffre d' imposition avec le mien  et là j ai vu que je contribuais vraiment beaucoup plus que lui aux finances de l' Etat, mais  Bon...Voilà, il me fallait faire cette digression, je ne recommencerai pas. Et puis maintenant j' ai une retraite, et même deux, alors tais-toi , mon vieux et pense aux malheureux.!


Donc, pardon, passons, je me suis égaré . Je continue. On verra plus tard pour la belle auto à laquelle on pense, je reprends le début de l' histoire en installant ma chère Dulcinée sur un coussin posé sur le porte-bagages, aux fins d' atténuer les rebonds d' un vélomoteur sans amortisseurs comme ils l' étaient en cette lointaine époque. Arrivée au bas d' une dure montée, la machine   s' effraye, peine un peu , ira-t-elle jusqu' au haut, oui,  voilà le village, effectivement sur un mont exposé à tous les vents, vue claire sur la basse vallée de la rivière "Dhuys" celle qui par un système souterrain porte à des beaux quartiers de Paris une belle eau très saine.


Voilà   l' école, beau bâtiment qui inspire confiance. Toc-toc. Oui ? On est les nouveaux instituteurs, on vient voir. Entrez donc et bienvenue à nos remplaçants, nous partons pour  un bourg plus important, presque avec regrets, on est si bien ici. On vous fait visiter. Vous êtes dans la cuisine. Oui, je vois l' évier et je suis un peu bête, je ne sais pas voir le robinet. Pas de robinet, on utilise une bonne eau de source naturelle que vous trouverez en bas du sentier qui descend en tournant, voyez-le par la fenêtre, une bonne centaine de mètres en grande déclivité, vous descendrez avec deux brocs et en remontant vous en laisserez un au groupe des toilettes pour écoliers,  (et maîtres soumis aux mêmes impératifs physiologiques). Une grande fosse qu' on vide quand elle est pleine. Et l' eau de l' évier, où va-t-elle ? Trajet naturel, elle sort par ce tuyau qui descend le long du mur, ensuite ? Ensuite, elle va son chemin qu' elle  a tracé,  toute seule.  Quel bonheur pour de jeunes mariés,  la belle vie simple et saine qui s' offre  à eux, le retour aux sources (ce qui est effectivement le cas pour l' alimentation en eau). Question subsidiaire - en me penchant, je n' ai pas vu les persiennes des fenêtres - non, pas de volets, ça servirait à quoi ? - Oui, c' est vrai, à quoi ça peut servir des persiennes, je ne me l' étais jamais demandé, question stupide s' il en est.  Sur ce mont, soumis à tous les vents, l' hiver doit parfois être rude, alors le chauffage, comment est-il assuré ? Voilà, dans la cuisine et la pièce attenante, votre appareil de cuisson, votre cuisinière, vous en avez une ? - Pas encore, mais on y pense- votre cuisinière donc, assurera une température convenable si  cependant vous la poussez un peu. Quant à la chambre du haut, vous installerez un poêle à bois, c' est très efficace en dépit des quatre mètres sous plafond et d' une fissure dans le mur  qui, et c' est un plus, assure le renouvellement de l' air - et le bois ? - Un paysan vous le fournira volontiers mais demandez-lui des bûches de faible diamètre pour les débiter facilement en morceaux adaptés à votre poêle, à l' aide d'une scie à bûches dont il vous faut faire   l' acquisition , ainsi que d' une hachette, n' oubliez pas,  pour  fendre du tout petit bois, indispensable à l' allumage de votre poêle et des deux de l' école - je vous les fais voir - le dessus est élargi de  façon à recevoir et réchauffer à midi les "gamelles" de nos écoliers qui viennent la plupart de bien loin, et souvent à pied, quelques kilomètres, et restent à midi, vous en aurez la surveillance attentive à assurer pendant l' entre - deux classes, ils sont gentils, les grandes filles prennent soin des petits et font le ménage de façon irréprochable.


Merci, c ' est assez pour aujourd' hui. On réajuste le coussin qui avait glissé de sur la " Monet Goyon 100 CC" , 100 parce que la 125 était trop chère, une petite merveille dont je rêve encore, mon premier accès à la Liberté , et tout ébahis mais pas vraiment ravis, nous revenons  au port d' attache, un peu angoissés, en  se déclamant à nous - mêmes, ce si vrai et  réconfortant adage populaire " Quand faut-y-aller, faut-y-aller" et on ira, - surtout parce qu' on ne peut pas faire autrement - Et je viens de me rendre compte que je serai en même temps, le secrétaire de la mairie et que je sacrifie ainsi une grande partie de mes vacances, mais j' ai confiance, tout le monde m' a tellement répété qu' instituteur, c' est le plus beau métier du monde. Jusque là, pas convaincu mais je ne demande qu' à     l' être... (à suivre)
  

samedi 19 juin 2021

Beau village 2

    Et voilà, on y est, petite installation. De la camionnette d' un ami de la famille, on a descendu la toute neuve cuisinière, le poêle de chez Godin, le lit indispensable à des jeunes mariés, les meubles élémentaires et on attend un peu émus, les écoliers qui arrivent, c ' est le premier octobre, toujours triste jour, fin de l' été, "colchiques dans les prés",  fin de la liberté, compensées en partie seulement par les retrouvailles.

 Quelques enfants, privilégiés, descendent de voiture, la plupart n' ont que leurs pieds pour venir de loin, de très loin, un, deux, voire trois kilomètres ou plus, car le village est très dispersé avec une bonne dizaine de gros hameaux et des fermes isolées. Le soir, ils regagnent la maison avec les provisions achetées au magasin du village et le poids s' ajoute à celui des cartables. Ils sont stoïques, comme me le dit encore une ancienne élève qui nous envoie fidèlement ses voeux sans le moindre manquement depuis 1958. (Comptez les années de fidélité de Godelive). Elle m'a rappelé même que des maximes de morale  étaient écrites chaque jour par la craie blanche sur le tableau noir. Vous dites   "désuet", d' accord, les temps ont changé et la morale aussi, bien que... n' insistons pas.

Le soir, ils participent activement aux travaux de la ferme où chacun a sa tâche, ensuite ils font leurs "devoirs du soir", des problèmes compliqués, des divisions à je ne sais combien de chiffres après la virgule, des règles d' orthographe à savoir sans faute car il faut collectionner les notes dix sur dix et pas les seulement neuf sur dix, très perfectionnistes. Je me repens maintenant d avoir été si exigeant, c' était trop. L' hiver, ils ne reculent pas devant la neige ou le gel, toujours présents, l' école ça ne se manque pas, c'est sacré quoique laïque, aucune plainte, c' est comme ça et c' est tout. J' ai dit "laïque", oui, les gens le percevaient plus ou moins confusément comme un équilibre nécessaire et auraient été fort étonnés s' ils m' avaient vu à la messe du dimanche. Le 11 novembre, je  faisais réciter un poème aux enfants que  j' attendais à la sortie de l' office religieux. Aucune réprobation, aucun commentaire, attitude considérée comme très normale en un pays pourtant, où les villageois tous, ou presque,  bien - pensants comme il se doit, se faisaient passer chaque jour, le "panier du curé" pour subvenir à son besoin de nourriture terrestre qu' il payait très largement en nourriture céleste. Je parlerai plus loin de mes relations de bon voisinage avec l' occupant du presbytère voisin.

Chaque chose en son temps. Je reprends, c' est jour de rentrée, les enfants s' alignent en silence devant la porte de l' école,ensuite à l' intérieur ils attendent dans les rangées l' autorisation de             s' asseoir, en silence toujours. Ils nous observent, car... la question se pose dans le village, serons - nous à la hauteur pour assurer la continuité des anciens maîtres qui partent auréolés du regret unanime de la population, ils sont irremplaçables, on m' a déjà vanté leurs grands mérites et déclaré que les candidats au sacré saint Certificat d' études seront reçus en grande partie par leur travail des années précédentes plus que par le nôtre. Merci ! Bel encouragement.  Les écoliers disposent leurs gamelles sur le poêle, leur repas sera chaud, tout se passe bien, debout le long des tables, ils                 s' assoient au signal . Je dis :"Asseyez-vous" et ils s' assoient, une mécanique bien huilée. Ils n' ont désobéi qu' une seule fois, alignés dans la cour (- oui, les élèves   s' alignaient en silence dans la cour avant d' entrer et se tenaient encore debout silencieux dans les rangées entre les tables dans la classe avant d' être invités à s' asseoir - ça vous étonne ? ) - je disais donc qu' ils n' ont désobéi qu' une fois, alignés dans la cour, un jour où un peu fatigué ou distrait,   j' ai dit  " Asseyez-vous" au lieu du "Avancez" habituel. Ils ne se sont pas assis sur le sol comme je les y invitais, mais se sont avancés sans même un rire.  Le jour où  j' ai dit "Prenez vos assiettes" au lieu de dire "Prenez vos ardoises", là ils ont ri  avec moi, car me connaissant, ils savaient qu' ils étaient autorisés et même invités à se moquer éventuellement, gentiment,  du maître, élèves- maître, maître - élèves, même ligne de conduite dans les deux sens. J' avais autorisé et et même encouragé le rire en classe.

 Les poêles à bois, à double fonction, chauffage de la salle, réchauffage des repas, il en sortait des tuyaux de petit diamètre qui décrivaient plusieurs courbes pour atteindre la sortie par les fenêtres, mais rebelle au parcours imposé  la cendre de bois s' y accumulait d' où fumée dans les classes, Après des recours au charron du village, homme de toutes les ressources, c' était même lui qui devenu Père Noël surgissant à l' école en décembre, toujours attendu par les élèves avec les quelques cadeaux offerts par le magasin "Les Coopérateurs de Champagne" qui avaient une succursale dans le village, après donc  ces interventions, je fis avec mes propres deniers    l' acquisition d'une échelle et régulièrement je démontais et désobstruais le système. Ma femme qui fit ses premiers pas de pédagogue patentée en Lozère me raconte que dans un certain village, avec l' aide des écoliers, elle devait, selon le vent, choisir la fenêtre par laquelle faire sortir le tuyau du poêle, changement du vent, nouvelle orientation d'un coude et changement de fenêtre de sortie de la fumée.

 Je continue à parler des poêles, parce que,  en plus de réchauffer les repas, il fallut réchauffer du lait, je parle de l' année 1954, où le Président du Conseil de l' époque Pierre Mendès-France, décida que pour éviter des malnutritions supposées ou pour répondre à une crise agricole (déjà) une distribution de lait se ferait dans les écoles, si bien que tous les matins, un bidon de lait arriva à sous les yeux écarquillés des enfants.- M' sieur, on boit plein de lait à la maison, on a des vaches, on en a pas besoin - Le règlement est le règlement, buvez du lait.  Mais, ce lait, il fallait le faire chauffer, alors je fis       l' acquisition d'un petit camping - gaz, que j' installai dans le couloir de l' école, je sortis une partie de ma batterie de cuisine car les récipients n' étaient pas fournis et je fis un voyage supplémentaire avec mes deux brocs pour l' eau de la vaisselle, on sait que le lait n' est pas d' un nettoyage facile  et mes élèves, bien malgé eux, durent incurgiter le lait P. M-F, le règlement étant le règlement.  On continue avec les poêles. Le maire, voyant mes difficultés, me dit qu' il n' était pas hostile au progrès et qu' il allait m' acheter un super poêle à mazout, ce qui fut fait et m' entraîna dans quelques mésaventures que je vous conterai...

vendredi 18 juin 2021

Beau village3

   Je continue mon histoire de poêles pour l' école avec l' appareil à mazout, c' est à dire à "fioul" dont le maire solidaire de mes difficultés a doté l' école. Reste l' approvisionnement en combustible. Muni d' un jerrican américain, survivant de la guerre, je vais au chef-lieu voisin pour ramener dix ou vingt litres de fioul dans ma voiture, car ça y est, j' en ai une, une belle "juvaquatre" de très vieille occasion dont je parlerai plus longuement un peu plus loin.

 Premier essai, oui, pas mal, ça sent un peu quand même, des parents ne tarderont pas à me le confirmer. La réserve est vite usée et je dois souvent faire la dizaine de kilomètres aller-retour pour le remplissage du bidon. On me conseille de faire l' acquisition d' un gros bidon de deux cents litres. Bonne suggestion. Au village voisin un commerçant pompiste m' est désigné comme fournisseur potentiel. Je lui passe  commande et il me livre le gros bidon. Oui, mais il faut un robinet pour extraire le précieux combustible, il a les fûts mais pas le robinet.

 Je n' ai pas de robinet, je ne peux pas puiser le mazout. Reprise des déplacements en juvaquatre et jerrican et demande de fourniture d' un robinet au mécanicien du chef-lieu. Il  n' a pas de robinet,  il ne peut pas me fournir de robinet. Désespoir, mais voilà que le curé de mon village est là envoyé par la Providence, il me questionne, compatit, quoi ? pas de robinet ? Je vais vous en trouver un, moi, de robinet. Il retrousse la soutane, grimpe sur le tas de vieux bidons, remue tout et revient les mains noires et la soutane mazoutée,  avec triomphalement, à la main, un robinet qu' il a dévissé sur un fût à l' abandon et que je prends volontiers après que mon nouvel ami  m' ait affirmé que le mécanicien ne serait pas ruiné pour autant. Formalités terminées, je reviens au village, avec l' absolution du Ciel pour le larcin, je visse mon beau vieux robinet et peux enfin utiliser mon stock de mazout, ou plutôt je crois pouvoir l'utiliser, car...ce n' est pas fini...

 Il est question maintenant de poêle, de voiture et de curé du village, tout est lié, l' histoire n' est pas finie, je vous raconterai tout. Pour le mazout, ça chauffe, c' est bien sauf  l' odeur, mais le fioul        qu' on m' a livré est du fioul "lourd" à grand coefficient de viscosité, mon fournisseur n' en a pas          d' autre, ce produit ne circule plus, quand il est à basse température, dans le système de distribution de l' appareil prévu pour des fiouls "légers", il est trop épais. Chauffage possible quand il fait chaud, cessation de chauffage dès qu' il fait froid, le paradoxe. Que faire ? Je remplis le jerrican, je le réchauffe sur la cuisinière de ma cuisine avec grande attention pour ne pas avoir à appeler les pompiers en urgence, et il en est ainsi  à chaque attaque du froid. Jamais je n' aurais pensé devoir chauffer du combustible. De plus, le poêle n' est pas adapté au réchauffage des gamelles. Alors, sans rien dire au maire, je récupère et réinstalle mon vieux poêle à bois et tout recommence comme avant le Progrès.

jeudi 17 juin 2021

Beau village 4

   Poêle à bois réinstallé, distribution de lait terminée, tout est calme,
enfants studieux, intéressants, intéressés, certificats d' études réussis, population satisfaite des jeunes maîtres. Je rêve d' une petite voiture et pas n' importe laquelle, une " juvaquatre" dont l' arrière arrondi me fascine. Une offre se présente, je ne marchande pas, un oncle me prête l' argent nécessaire que je n' ai pas bien sûr et à moi l' auto. Elle a cependant de gros défauts cette auto,  je ne les découvrirai que plus tard après le premier ravissement. Elle va venir à domicile, sur ses quatre roues dans quelques jours , juste après    l' obtention de mon permis de conduire. Mais, recalé refus de priorité pendant l' examen, ou plutôt accélération pour ne pas gêner celui qui vient à ma droite, j' ai toujours été si poli, mal compris par l' examinateur et tout déconfit je reviens les mains vides alors que je sais que l' auto va arriver.


Je  l' ai achetée à un postier de Châlons sur Marne qui m' annonce la livraison, et je n' ai pas le permis, je ne serai reconvoqué que plus de six mois plus tard. Le vendeur est là, il me donne les clés, la carte grise, je lui donne un beau paquet de billets, il me demande de le conduire à la gare la plus proche, 25 km, pour permettre son retour. Que faire ?  Je trouve, mais oui, Bien sûr ! la solution est un appel au Ciel ou plutôt à son représentant, je vais trouver mon voisin à soutane, qui lui, a un permis bien solide pour  une grande auto à beaucoup de places, il sert de taxi à bien des habitants, j' explique mon nouveau malheur, il m' accompagne et je présente mon chauffeur particulier au vendeur de la juvaquatre qui ouvre de très grands yeux ébahis face à ce duo qu' il n' avait vraiment pas imaginé, et nous partons pour la gare, curé et instituteur agnostique au coude à coude.

Le curé est mon plus proche voisin car l' école n' avait pas de cour de récréation autre que la place de l' église ouverte à la circulation automobile- j' ai une histoire à raconter à ce sujet- une voiture de police en contact avec un écolier - je raconterai plus loin - sur la place de l' église s' ouvre la porte de l'immense bâtiment du presbytère, où, de retour de la gare, le curé donne asile à mon véhicule. Le presbytère a même des dépendances, un grand terrain que  j' utilise pour les leçons de gymnastique, l' école n' en a pas. Chaque jour, j 'entre au presbytère où ma voiture est garée, je démarre la voiture, je recule,  j' avance et bien entendu après une ou deux semaines, finie la batterie. Pas de batterie, pas de permis, voiture immobilisée, je ne peux que contempler ma belle auto, m' installer à l' intérieur, redescendre, faire le tour. Désastre total et pas sûr de conquérir un permis dans six mois.


 Parlons un peu de la voiture, elle datait d' avant-guerre. La voiture à l' époque avait une manivelle pour "dégommer" le moteur l' hiver car l' huile moteur se figeait, il fallait faire deux ou trois tours de manivelle, ensuite on mettait le contact, un demi- tour rapide et vigoureux vers le haut et c' était parti. Attention, bien franchir la compression, sinon retour de manivelle et fracture possible du poignet. Une petite manivelle de secours aussi pour les essuie-glaces. En période de gel, on devait vidanger le radiateur et tout le circuit de refroidissement sinon risque d éclatement du moteur, le climat n' était pas encore réchauffé et les moins dix ou même moins quinze n ' étaient pas des exceptions. J' appris vite à doser un mélange odorant d' eau et d' alcool à brûler pour me dispenser de la corvée de vidange les soirs de grand gel. Les liquides de refroidissement n' existaient pas ou bien n' étaient pas disponibles dans le marché local. Il fallait ausi de temps en temps souffler dans les gicleurs qui parfois se bouchaient, facile, et apprendre à régler l' écartement des vis platinées du Delco et aussi apprendre à régler les freins, le grand défaut de la voiture était d' abord la quasi absence de freins.    C' était des sortes de sabots qu' on actionnait par des câbles en appuyant de toutes ses forces. J' y ai appris la prudence extrême après m être fait traité de goujat, pour avoir dépassé bien malgré moi, une file de voitures en attente devant un  passage à niveau et  m ' être arrêté juste devant la  barrière, en double file, dans des sueurs froides. A l' époque, on savait se tirer d' affaire. Exemple : si vous êtes en panne sur un passage à niveau, passez la première vitesse et faites tourner le moteur à l' aide de la manivelle, ainsi centimètre après centimètre vous sortirez du passage dangereux, si bien sûr le train vous en laisse le temps. Autre défaut de ma belle "juva". Le moteur avait beaucoup tourné et les cylindres étaient ovalisés, alors on utilisait des segments dits "américains" des sortes de ressorts qui dans leur mouvement se déformaient pour assurer une étanchéité toute relative, ce qui évitait un realésage que je fis faire cependant car le moteur chauffait. Si vous quittiez la route horizontale de la plaine pour vous aventurer en altitude, alors tous les deux ou trois kilomètres gros nuage sur le capot, l' eau bouillante sortant du radiateur. Arrêt, attente, remplissage avec  l' eau de secours qu' on             n' oubliait jamais et ça repartait pour pas bien longtemps.


 Et c' est avec ce beau véhicule que je ramenai fièrement de la maternité un beau bébé tout neuf, ma fille aînée.  Si vous pensez que mon besoin de curé est terminé, non, pas du tout, il me le faut encore, je vous raconterai...      

mercredi 16 juin 2021

Beau village 5

   J' en étais à ma belle" Juvaquatre" qui m' attendit six mois sous les hangars du presbytère. Pendant ce temps, la vie déroulait sa routine.

 A l' arrivée nous avions dû tracer un emploi du temps de nos activités en classe, à envoyer à M.        l' Inspecteur pour approbation.  L' ensemble des matières dont le total doit correspondre aux trente heures hebdomadaires est à découper en tranches fines selon la division et selon le jour et l' heure, et chaque morceau obtenu est à intégrer dans le calendrier de la semaine ce qui fait un puzzle à cases multiples et un casse-tête tributaire du cachet d'aspirine.  Sur l' organigramme, devait être soulignée en rouge l' activité du maître afin de suivre son cheminement avec le temps. Exemple : lecture pour les petits (en rouge) pendant problèmes ( même parfois de robinets) pour les grands et exercices de grammaire pour d' autres qu' il faut bien occuper pendant ce temps là, Calcul chez les grands (en rouge) pendant que...grammaire au cours moyen pendant que...Géographie au cours élémentaire (en rouge) pendant que...Dictée ici ou là pendant que...  c' est surtout le "pendant que..." qui pose problème, d' autant qu' il se traduit par un gros tas de cahiers à corriger le soir.                                       L' approbation par l' Inspecteur n' est pas certaine car il faut tenir compte du moment du jour où         l' élève peut être plus ou moins réceptif à telle ou telle matière demandant plus ou moins de concentration et d' activité cérébrale et la psychologie de l' inspecteur prévaut sur celle de                   l' exécutant de base.  On aurait aimé que l'Isp. fournisse le document, non, son rôle était seulement approbation ou invitation à recommencer.

Donc activité en zigzag , parcours du combattant pour le maître qui a plusieurs divisions dans sa classe et qui sait  que M. l' Insp. peut surgir inopinément à n' importe quel moment  et que ledit inspecteur (Monsieur l'Inspecteur, il y tient, avec mon profond respect) sait à cette heure précise où se trouve le maître (ou plutôt où devrait se trouver) le maître et ce qu' il fait (ou devrait faire ) et avec qui pendant que les autres élèves sont occupés à ceci ou à cela. Le maître ne s' assoit jamais, il court de groupe à groupe en épiant sa montre Pas de pause "café", pas d' arrêt pour nécessités physiologiques", le maître est une entité dégagée des vulgaires contingences.

 A midi, surveillance obligatoire, repas en alternance , le maître puis  sa maîtresse, pardon, je veux dire son épouse, le maître est un modèle en tout.  Nécessité donc de se faire à cette gymnastique où tout doit être écrit noir ou rouge sur blanc et chronométré dans un "journal de classe" obligatoire" à rédiger avant (et pas après) et à présenter lors de l' Inspection avec d' autres documents. Il était recommandé en plus de noter ce qu'il serait bon de revoir lors de chaque prochaine leçon analogue pour affiner sa pédagogie. Je suis en possession d' un " Journal des exercices de classe pour servir à la préparation quotidienne des diverses leçons" , année scolaire 1880 - 1881 par l' instituteur de             l' époque, M. Létrillard. Il m' attendait au fond du grenier de la mairie. Précieuse relique.

On comprend que les regards étaient souvent tournés vers la fenêtre et que les bruits de moteur devant les portes accéléraient le rythme cardiaque. Le jour, où un de mes élèves, en fin de récréation, se précipita à cause de son grand élan pour rejoindre les rangs, contre  une voiture de police arrivant dans la cour, (c' était un "dur" et même un très dur, heureusement, rassurez-vous) je regardai aussitôt ma montre pour voir si l' heure de ma récréation correspondait bien à celle indiquée sur l' emploi du temps, enregistré et approuvé par l' Insp. Il y avait un écart de cinq minutes. Je tentai de faire noter mon heure rectifiée de cinq minutes en l' annonçant d' un ton détaché à l' Insp. (de police cette fois). Rien à faire, ces gens sont d' une rigueur absolue et je ne pouvais quand même pas entrer dans les détails et lui expliquer que etc... Bientôt je vous raconterai en détail...

mardi 15 juin 2021

beau village 6

    J' ai rédigé l' acte de décès, comme je l'ai expliqué précédemment, du vannier victime d' une rixe, le médecin légiste a fait son rapport et on sait que la mort est due à de multiples coups de serpettes, aucun doute là - dessus. Maintenant on doit faire toute la lumière sur l' affaire et les interrogatoires commencent. Deux inspecteurs de police ont pris possession de la salle de la mairie, un grand fort, et un  petit maigre qui est le plus actif, en possession de tous les documents et qui semble diriger les opérations. Le  défilé des témoins commence, les hommes, les femmes en grands gémissements, bruyante animation devant la porte de l' école. Je sympathise avec le grand inspecteur débonnaire qui par chance se trouvait à mes côtés quand j' essayai d' expliquer au frère de la victime, un grand fort également, que le permis d' inhumer étant délivré, le corps remis à la famille  ne peut être transporté jusqu' au lieu d inhumation qu' avec un certain nombre de préconisations et formalités, en particulier le cercueil qui doit être comme ci et comme ça...le départ et             l' arrivée du transport etc...et patati et patata... Qu' avais-je dit ! Ces gens sont susceptibles et le grand malabar de vouloir s' en prendre physiquement au secrétaire de mairie, sain et sauf grâce à l' intervention du grand et fort policier qui vite fait calma les ardeurs vindicatives. Je décidai de remettre dans son tiroir tous ces stupides règlements et de me faire oublier... qu' ils fassent selon leurs lois ...je tiens à mon intégrité corporelle.   Donc, grand va-et-vient sur la place de la mairie, en même temps place de l' église, en même temps cour de récréation de l' école et accès au presbytère. Mes élèves ont droit à leur quart d' heure de récréation pendant lequel habituellement je me tiens à l' une des entrées de la place pour une surveillance efficace. Ce jour-là, je me rapproche de la porte de l' école, je sors mon sifflet, fin des ébats dans la cour, je regrette, ils s' amusaient bien,  mais le quart d' heure est passé. Au coup de sifflet, un garçonnet jaillit du côté presbytère avec la vitalité de son âge pendant que la voiture des policiers entre sur la place, les deux trajectoires se rejoignent.
                                                                                                                                            Gros bruit, bris de verre , je me précipite... Apparemment, le garçonnet est intact, peut-être un ou deux bleus, mais la tête a été plus dure que le phare qui est en morceaux sur le sol.    Les policiers rédigent illico leur rapport sans mes observations personnelles, que pourrais-je dire, ils sont assermentés donc leurs considérations sont indiscutables et bien entendu, ils n' ont aucun tort tel que non maîtrise du véhicule, vitesse excessive, manque de prudence ou confiance en soi exagérée. Mon avis leur importe peu, eux savent ..et moi                               ..                                                                                                                                          
Et moi, de  mon côté, je dois faire un rapport détaillé à mon Inspecteur, heure bien sûr, celle de la récréation, coordonnées des lieux, plan détaillé indiquant la position du maître, celle de l' élève, l' endroit exact de  l' accident. Car, pour l' administration, existe-t- il une faute de surveillance, si oui responsabilité du maître, sinon responsabilité de l' Etat et pourquoi pas celle de la commune qui n' a pas su délimiter comme partout un endroit clos . Un jour ou deux passent, l' enfant ne présente aucun trouble, pas de contrôle par un médecin, actuellement il faudrait des examens, des radios, des mises en observation, des cellules avec des psychologues pour évacuer le stress et ses répercussions possibles sur l' avenir mental du blessé, et pourquoi pas un recours contre l' instituteur incapable d' assurer la sécurité des enfants, individu coupable d' un inadmissible défaut de vigilance. Rien de tout ça à l' époque, bonne volonté de la part des parents, l' enfant n' a rien et c ' est tant mieux, on  n' en parle plus. Mon grand inspecteur de police est un peu inquiet  il prend souvent des nouvelles de l' enfant. 

Que pensez-vous qu' il advint ? Quelques semaines s' écoulent et  les parents reçoivent une injonction d'avoir à régler la facture de remplacement d' un phare de véhicule de police, cassé  par leur enfant. Ils se précipitent à l' école. ...Je suis abasourdi.  Je précise cependant que j' avais l' adresse du grand inspecteur sympathique, que je contactai aussitôt et qui autant outré que moi me chargea de dire aux parents de ne pas tenir compte de la facture qu' il règla  aussitôt personnellement.  Et les cours reprirent sereinement  jusqu' au jour où, soudain, dans la cour...

lundi 14 juin 2021

Beau village 7


     Les cours reprirent en toute quiétude retrouvée, jusqu' au jour où l' on entendit des cris dans la cour et qu' on vit par les fenêtres voltiger des flammèches et des papiers à demi carbonisés portés par une fumée épaisse. J' avais été un peu intrigué dans les jours précédents par des propos du vieux garde-champêtre qui disait sans dire...des recommandations de méfiance envers je ne sais pas qui ou quoi . Il m' avait même fortement conseillé d' aller passer le  W-E  dans ma famille parce que il se pourrait que....méfiez-vous...mais il ne pouvait pas dire... seulement des sous-entendus. 

    
Bon, il radote un peu. Un fossile du fond des âges cet homme. Je lui avais proposé de         l' emmener dans ma juvaquatre au chef-lieu  d' arrondissement où il allait percevoir je ne sais quelle retraite chaque trimestre, 25 km quand même, refus, il préférait s' y rendre à pied, muni de son gros bâton, à travers raccourcis par bois et champs, à la manière de notre bon fabuliste local dont nous sommes si fiers. Il savait tout, c' est lui qui passait à domicile faire la collecte des permis de chasse à renouveler chaque année et qui les reportait dans les nombreux hameaux et écarts, un bon marcheur et un bon observateur .
 Il était présent à toutes les ouvertures du secrétariat de la mairie où son rôle principal était de retourner à l' aide d'un crayon qu' il faisait rouler, toutes les enveloppes reçues, il les recollait de l' autre côté avec une conscience professionnelle  remarquable et on                 n' achetait jamais d' enveloppes.

Jusque là excellente entente dans le village. On organisait en fin d' année une séance récréative par les élèves, chants, mimes, saynettes etc...et tout le village était là. Des dames passaient recueillir des lots, boîtes de conserves, vases, bibelots, base d' une tombola pour la tirelire de l' école. Les mêmes qui donnaient les lots achetaient les billets en grande générosité et rachetaient ainsi tout ce qu' ils avaient donné pour la grande satisfaction de tous. J' étais correspondant du journal local mais je me gardais bien d' annoncer la séance récréative car quand je l' eus faiT naïvement la première année, je reçus une lettre de la société des Auteurs et compositeurs me sommant de fournir la liste des oeuvres jouées ou même des chants pour contribution à ladite Société. Ensuite, ils avaient mon adresse et ils sont très tenaces. Prudence aussi envers l' administration des contributions à laquelle il eût été régulier de demander une exonération des taxes. Donc, pas d' entrée monnayée. On arrive à gérer avec un peu d' expérience.

Et surtout pas de "caisse noire". On avait inventé le système de "coopérative scolaire" pour une gestion claire des fonds avec compte en banque. A ne pas confondre avec la "Caisse des Ecoles". Lors des mariages, tout don à la Caisse des écoles allait au budget de la commune, tout don à la "coopérative scolaire" allait directement à l ' école, il fallait expliquer la nuance aux donateurs. 

Même bonne entente aussi pour le premier voyage que  j' organisai, on alla en autocar par le Jura jusqu' en Suisse, avec bateau sur le lac Léman. Tour le monde racontait " On a été en Suisse et c' était  bien". Pour beaucoup  c' était leur premier voyage, merci au gentil petit instituteur. Je proposai l' année suivante une seconde sortie, vers la mer cette fois et            j' attendis les inscriptions. Une seule et unique, je dus annuler. Que se passait-il ?              N' étais-je plus en odeur de sainteté ? Etonnant après mes bonnes relations avec le curé que j' avais même un jour invité à déjeuner. On m' expliqua que  ce n' était pas moi le problème, mais qu' il s' était abattu sur le village un gros nuage chargé d' électricité, générateur de méfiance réciproque. Le vieux garde-champêtre l' avait vu venir.

dimanche 13 juin 2021

Beau village 8

Voici ce qui détruisit la cohésion dans mon village. Le remembrement rural.  Le remembrement tend à améliorer les bien-fonds en constituant des parcelles ayant de plus grandes surfaces, des formes mieux adaptées aux façons culturales et des accès indépendants.  Les missions consistent principalement  en :  la constitution de la documentation cadastrale des parcelles à remembrer, l'abornement du périmètre de la zone à remembrer  le piquetage sur le terrain des nouvelles parcelles après remembrement,  la confection des plans de l'ancienne et de la nouvelle situation Facile à dire, plus difficile à faire. Succédant à mes inspecteurs de police, cette fois ce furent les géomètres qui investirent la salle de la mairie pour un jeu en apparence facile quoique un peu long en un temps où l' informatique était encore à naître. On étale les plans cadastraux, on se munit de ciseaux virtuels, on découpe les multiples petites parcelles pour  que petites parcelles deviennent grandes, bien exploitables, d' accès aisé, facilitant ainsi le travail de nos agriculteurs et le rendement de notre Agriculture nationale. Mais, ces parcelles sont des pâtures ou des terres à blé, ou des bois, ou des friches, plus ou moins bien accessibles, plus ou moins bien travaillées, plus ou moins bien débarrassées des pierres, plus ou moins bien exposées, plus ou moins bien irriguées, même l' informatique ne saurait intégrer tous ces facteurs, seul  l' exploitant les connaît et pas ces géomètres plus ou moins fonctionnaires du ministère de l' Agriculture. Nos villageois furent reçus l'un après l' autre à la mairie pour formuler leurs griefs, tous avec la peur d' être lésés et le regard  méfiant sinon méchant vers le voisin qui allait bénéficier de leur belle terre si bien travaillée alors qu' on leur proposait en échange  des parcelles négligées difficilement exploitables.       La propriété foncière est sacrée et intouchable et on est prêt pour elle à tous les combats.  On s' habitua, les élèves et le maître à ce défilé incessant dans le couloir de la mairie-école et aux palabres sans fin et parfois violentes,  jusqu' au jour où la grande décision fut prise, solidarité retrouvée dans     l' action, on envoie un commando bien décidé à la mairie, on arrache tous les plans qui décorent   les murs, on les descend dans la cour et on y met le feu.  Ce fut un grand autodafé avec une particularité, il fut réalisé par des femmes, uniquement les femmes, les hommes devaient attendre  au "bistrot" ou cachés dans les environs. Pourquoi les femmes ? D' abord elles sont aussi intéressées que les hommes à leurs biens inaliénables et secondement on m' expliqua ensuite que les hommes initiateurs de            l' opération pensaient que cette action était passible de sanctions judiciaires et que les femmes seraient moins poursuivies en reconnaisance de leur qualité de mère imposant leur présence à la maison. Autrement dit, on envoyait les femmes au "casse - pipe" en affreux" machos". Bon alors, ce jour-là, je retardai la sortie en récréation jusqu' au dernier rougeoiement des cendres, le commando s' était vite dispersé sans laisser sa carte de visite et bien sûr, il va de soi que, quand on me le demanda, à cause de la fumée, je n' avais reconnu aucune de ces femmes, c' est évident. Il  y eut une enquête, pour la forme, mais pas de poursuites, les plans étaient en double, ils regarnirent vite les murs de la mairie et on sait que temps et la patience viennent à bout de tout. La colère  s' apaisa, on commença même à s' intéresser aux avantages du système,  mais ce fut très long, après tout ce n' était peut-être pas si mal que ça. Je quittai le village cependant avant une réconcialiation totale. Encore une fois, le calme revint et je continuai à transporter trois ou quatre fois chaque jour mes deux arrosoirs d' eau remplis à la source, jusqu 'à ce que j' en eusse assez et que je décidasse de trouver une solution à cette corvée d' eau...

samedi 12 juin 2021

Beau village 9

  L' agitation du remembrement s' apaise peu à peu, on recommence à se parler entre voisins et en ce qui me concerne à transporter ma précieuse eau dans les brocs, quatre ou cinq fois par jour et ne me parlez pas des lessives car pas de machine à laver,  d' autant plus qu' il m' en  fallait encore  pour laver ma belle auto récente de vieille occasion et beaucoup pour le bébé qui est là-haut dans sa chambre. Une agréable fillette du village après son Certificat d' études brillamment conquis est venue, dans l' attente d' un meilleur emploi et pour un petit salaire s' occuper du bébé pendant les heures de classe, mal récompensée par l' enfant qui dès qu' il, ou plutôt qu' elle, put balbutier quelques mots, ce fut pour proclamer "Capie, Lucie, Capie Lucie..." Capie étant un diminutif de "Carapie" terme  de pays un peu agressif et qu' elle (bébé féminin, prénommée Marie-Hélène) avait peut-être entendu à sa propre encontre et en avait saisi toute la profondeur. L ' enfant est installé dans la chambre du haut et un jour   j' en vois descendre pendant les heures de classe une  femme, qui se dit assistante sociale après avoir en me voyant esquissé un mouvement de recul. Elle bafouilla être allée constater de sa propre initiative la bonne santé de l'enfant . Bizarre !  Hypothèse: les cris fréquents et stridents de      l' enfant en franchissant les murs, peut-être en passant par la lézarde aérante dont je vous ai déjà informé de l' existence, avaient peut-être éveillé des soupçons de maltraitance chez des voisins, c' est  vrai que         l' organe vocal était puissant et infatigable. Je me demandai bien à quel voisin je devais ce contrôle in sittu,  et je poussai la dame vers la porte en la priant in - promptu d' oublier mon adresse. J' avais deux voisines virulentes qui se livraient une guerre sans merci à  coup de lettres anonymes, un gendarme vint m' en présenter une où j' étais cité comme ayant reçu des menaces du fils de l' autre et qui disait "Demandez à l'instituteur..." je n' avais reçu aucune menace physique ou verbale,          je n' étais pas au courant de ces fabulations de commères, et je n' allais pas en inventer une pour plaire au gendarme qui me déclara que par peur de représailles je ne voulais pas avouer ces menaces.  Je reconduisis fermement le gendarme à sa camionnette et je le laissai là tout à fait convaincu de ma lâcheté. Je précise que j' avais reconnu l' écriture de l' écrivaine anonyme . Le sujet de ma chronique étant l' eau à l' école, avançons ! J' y pensais toujours à mon eau en imaginant des robinets, la nuit je tournais des robinets, je suis resté sept années avant de savoir ce  qu' est une eau arrivant toute seule dans une cuisine d' école. Pour éclairer la suite de mon récit, je suis obligé de faire un rappel des politiques suivies par les gouvernants de ce temps là qui vivaient très mal la laïcité de   l' enseignement public. Souvent,  comme maintenant, ils étaient issus des écoles confessionnelles à l' époque pour riches car elles étaient payantes et devaient assurer  leur propre financement dans l' esprit de  la loi de 1905 de séparation de  l' Eglise et de l' Etat. L' école publique était pour eux trop teintée de républicanisme militant.  On appliquait la formule " Ecole publique fonds publics, Ecole privée fonds privés" et c' était bien ainsi, chacun chez soi, instituteur à l' école, curé au presbytère ou à la sacristie, meunier au moulin etc..... Aucun dirigeant n' aurait osé comme le président de la République Nicolas S. proclamer en  s' agenouillanr devant le pape en qualité de chanoine du Latran que le curé est bien au-dessus de l' instituteur pour les valeurs morales inculquées aux enfants. Cet homme a parlé de façon  inconséquente ou irréfléchie avec un manque de tact, de délicatesse, et de respect pour ma fonction d' enseignant qui ont blessé ma dignité.  Rappel : Le titre de chanoine le plus important et le plus connu du président de la République française est celui de premier chanoine de la basilique Saint-Jean-de-Latran (l'une des quatre basiliques majeures de Rome, siège de l'évêché de Rome, dont l'évêque n'est autre que le pape), en vertu d'une fondation de Louis XI de 1482 renouvelée par Henri IV en 1604, qui en devint le premier chanoine en donnant à Saint-Jean-de-Latran l'abbaye de Clairac.  Il y a Aujourd'hui un chanoine divorcé, le président N S, premier cas certainement dans l'Église catholique romaine qui devient  bien laxiste. L' édifice public laïque semblait solide, il subit des agressions dont il ne se remit pas : la première fut la loi " Marie. Ne m'en veuillez pas de ces rappels, c' est pour mon eau à l' école, on va y arriver. 4 septembre 1951 : loi « Marie » du nom du ministre de l'Education Nationale : cette loi accorde des bourses aux élèves entrant en 6ème « suivant la volonté des parents, dans un établissement d’enseignement public ou d’enseignement privé ». Les élèves de l’enseignement public reçoivent déjà une bourse à condition de réussir au « concours des bourses . Elle est sans condition pour les élèves de l’enseignement privé ; c’est une subvention aux familles.   Deuxième dégradation : la loi Barangé 9 septembre 1951 : elle met à disposition de tout chef de famille une allocation de 1000F par enfant et par trimestre. Pour les élèves du public, l’allocation est mandatée directement à la commune puis très vite, à la caisse départementale scolaire gérée par le Conseil Général. Les fonds sont employés à l’aménagement, l’entretien, l’équipement des bâtiments scolaires. Il s’agit d’une aide aux communes car elles ont depuis longtemps l’obligation d’entretenir les écoles Pour les élèves du privé, l’allocation est mandatée à l’association des parents d’élèves de l’établissement, il s’agit donc d’une subvention aux établissements privés et les lois antilaïques se sont multipliées.  31 décembre 1959 : loi Debré : statut de l’enseignement libre , mise en place des « contrats simples". L’Etat  sous certaines conditions verse la totalité des traitements , la fiscalité et les charges sociales. L' allocation Barangé demeure et une somme forfaitaire est versée pour les établissements secondaires confessionnels . 7 avril 1971 : loi Pompidou : prorogation de la loi Debré et volonté du patronat d’intervenir dans le système scolaire (loi Royer)  15 novembre I977 : loi Guermeur ; elle garantit le maintien du « caractère propre » (religieux) des établissements privés ; elle prévoit le financement de la formation des enseignants du privé : il y a parité entre l’enseignement public et l’enseignement privé . 9 juillet 1984 : Loi Rocard , l’enseignement agricole bénéficie de la loi Astier ,comme pour                  l' enseignement technique industriel. 21 janvier 1985 : loi Chevènement  elle adapte les lois Debré à la décentralisation. 13 juin 1992 : les accords Lang-Cloupet aboutissent au versement de 1,8 milliard de F à l’enseignement privé , ils établissent la parité avec le public pour les personnels au nom du « droit et de la reconnaissance de la contribution de l’enseignement privé au système éducatif. » L'article 89 de la loi d'août 2004 étend aux écoles privées sous contrat d'association, l'obligation de participation financière des communes de résidence pour les enfants scolarisée dans une autre commune.  Je n' ai fait qu' un rappel de lois . "Le principe "Ecole publique, fonds publics, écoles privées fonds privés" est remplacé par :  A écoles dites "privées" et en particulier confessionnelles, prise en charge totale par l' Etat et par la région et par le Département et par les communes. Tous les partis politiques sont responsables de cette situation et Mitterrand plus narcissique    qu ' humaniste a bien vite capitulé en dépit de ses belles proclamations.Vous me suivez toujours  en dépit  de l' affirmation des convictions laïques que je suis en droit          d' affirmer ?  Si oui à  bientôt, si non au revoir et sans rancune.   Ce qui ne m' empêche pas d' avoir encore une fois et à l' occasion de ma quête obsessionnelle d eau au robinet, fait appel à mon voisin à soutane...comme  je vais le conter.

vendredi 11 juin 2021

Beau village 10

Donc nous sommes en 1951, première année de notre  activité pédagogique dans le village haut juché et première offensive anti-laïque, Lois Marie et Barangé. Nous décidons ausitôt de manifester notre indignation de jeunes esprits libres de tous les dogmes ou diktats aussi bien religieux que politiques, d' en exprimer l' affirmation donc, en perdant une journée de salaire dans une grève dont on se serait bien passé vu l' état maigrichon de notre compte-chèque postal, mais quand on a des convictions, des sacrifices sont nécessaires. Nous disons donc à nos élèves de rester à la maison, ce   qu' ils acceptent volontiers, et nous leur mettons en main, à chacun, sauf une seule pour frères et soeurs, une belle lettre écrite de notre main expliquant nos motivations. Pas de  moyen de reproduction, pas de photocopieur ou de ronéo en ce temps. Non, on a rédigé un brouillon et on l' a recopié une cinquantaine de fois, en s' appliquant pour ne pas être critiqués sur notre écriture ou notre style ou notre orthographe. Oui, il a fallu toute la nuit avec porteur de plume en acier trempée dans l' encrier, Ouf ! Relecture, irréprochable! des modèles ! Beau risque pris dès notre arrivée, pas mieux pour se faire mal voir et se faire considérer comme       ' affreux militants extrémistes . On prend le risque et la crampe de             l' écrivain. Deux ou trois réponses sont reçues, dont un encouragement à continuer dans cette voie et une lettre d' attachement à notre école venue pourtant d' un milieu très religieux  Mais qu' est-ce que l' eau du robinet vient faire là-dedans ? Patience, on y vient tout doucement, on va bientôt la faire couler. Cette loi faite pour aider l' enseignement dit "privé"  mais plutôt privé confessionnel, édictait que l' Etat verserait dorénévant, une somme  (importante) pour chaque élève scolarisé quelle que soit l' école, donc pour le public également, et on vit dans nos établissements arriver une manne divine, on ne savait plus comment employer tout cet argent, les écoles s' équipèrent se modernisèrent, c ' était miraculeux. Chaque trimestre, on dressait une liste de nos élèves et l' argent arrivait dans les caisses de la commune. Après deux années la pluie d' or continua à tomber sur le "privé" et je crois que sur lui, depuis, on n' a pas signalé de sécheresse , mais elle se tarit pour le "public ", c' était à prévoir vu la motivation de ses promoteurs, il fut décidé que les crédits seraient versés au Conseil général mieux à même que nous d' en faire un usage judicieux. Fin, pour nous de l' Eldorado à domicile. Comme j' avais bien pressenti      l' éphémérité de cette richesse, je décidai vite qu' elle apporterait de l' eau à l' école. J' en parlai au Maire avec qui je m' entendais très bien et qui me donna son accord en me laissant le soin du projet.  Comment faire ? Je me livrai à d' intenses réflexions, je questionnai deci-delà espérant que quelqu' un saurait me dire où on pourrait bien trouver de l' eau pour l' amener à l' école et je vis poindre une solution qui me mena comme je l' ai déjà dit vers mon voisin le curé. Allons-y-ensemble.

jeudi 10 juin 2021

Beau village 11

  Trouver de l'eau. Ce doit être possible puisqu' elle coule plus bas et si elle coule en bas  c' est qu' il existe une nappe en haut. Elémentaire. On me conseilla de faire appel à un maçon qui savait tout faire, un personnage haut en couleurs comme il en existait dans tous les  villages en adéquation totale avec l'environnement. Je le connaissais, il était venu ramasser les pommes dans mon jardin car l' école était dotée d un jardin avec un grand pommier, qui  jouxtait le cimetière qui jouxtait l' église. Jardinage, ma femme s' y livrait - d' accord mais ne compte pas sur moi pour l' arrosage - Mon nouvel ami maçon  transporta les pommes jusqu' au pressoir d' un cidrier un peu plus loin, en repassant il déposa dans ma cave un tonnelet de cette nouvelle boisson et on se convertit aussitôt au bon cidre de la campagne verte. A cette époque le cidre était une boisson très commune. Je me souviens d' une sortie scolaire, j' emmenai ma classe à Paris pour leur montrer la belle ville, ne le faites jamais, n' emmenez jamais 40 enfants à Paris quand vous  n' êtes que vous et votre femme pour les pousser dans le métro et les en sortir. Jamais, vous m' entendez. On n' en a cependant pas perdu un seul, on les regroupe et on pénètre dans un self où bien sûr je   m' étais annoncé. On prend la file , on glisse les plateaux sur le rail conducteur, mais la file s' arrête, une fillette est immobilisée devant les boissons, elle stoppe toute la cohorte - tu veux quoi ? de la limonade ? un soda ? -  j' sais pas - Il faut te décider vite car la file  attend - Bon, tu bois quoi chez toi ? - chez nous on boit du cidre - déclare la fillette presque en pleurs -  Ils sont nuls à Paris, ils n' ont pas même du cidre pour les petites villageoises qui découvrent la capitale.Je laisse le cidre pour      l' eau qui viendra à  l' école quand on l' aura trouvée. Aucun problème, mon maçon est sourcier et pour lui ce n' est pas sorcier de trouver l' eau. Le voilà qui arrive, il sort de ses grandes poches une bouteille aux trois-quarts emplie d' eau , une ficelle est fixée au bouchon et on part sur le sol de la place, rien, bouteille immobile mais la voilà qui oscille alors on suit le trajet qui amplifie le mouvement qui devient circulaire de plus en plus affirmé, comme le jeu des enfants qui ont caché un objet et aident le chercheur en disant, c 'est froid,  c ' est chaud, ça brûle  et la bouteille tourbillonne, mais pas n' importe où, j' essaie d' emmener mon maçon plus loin, non, c' est là et pas ailleurs, la bouteille a parlé, je m' inquiète totalement. On s' éloigne la bouteille  ralentit, on revient  et elle s' affole de plus en plus, pourquoi ne lui fais-je pas confiance. Vous ne pouvez pas deviner. On est juste sous le porche de la sortie du presbytère où la voiture du curé passe plusieurs fois par jour. On va creuser là, me déclare le maçon. Je suis interloqué - j'essaie de le persuader timidement que par exemple, quelques mètres plus loin à droite, la cour du presbytère est vaste, non, rien n 'y fait, mon maçon est  une personnalité entière, entêtée et  catégorique, pas d' alternative, pas de plan B. J' en parle le lendemain au maire qui s'étonne un peu, qui ose même un grand rire -  pas moi, je ne ris pas du tout - Ecoutez, vous vouliez de l' eau, j' ai un vieil ami géomètre, je lui en parle pour qu' il vous aide à monter le dossier qui ne doit pas tarder si on ne veut pas laisser perdre les crédits "Barangé". Réflexions intenses pendant un jour ou deux et puis je me décide, il faut agir, je me lance d' un pas ferme, vers où ? vers le presbytère.

mercredi 9 juin 2021

Beau village 12

Presbytère. Bonjour voisin. Voilà, j' ai un problème à vous soumettre, je voudrais amener l' eau courante à l' école et ... - excellente idée et alors ?  - on pense pouvoir creuser un puits dans la cour du presbytère où le maçon sourcier est certain de trouver de l' eau, le maire est d' accord, le presbytère est un bien communal, mais votre avis est nécessaire -  C' est très bien et à l' occasion je pourrai bénéficier de cette eau ? - Certainement, pourquoi pas ? Je vais vous faire voir l' endroit adéquat, le seul d' après le grand sourcier - On sort et je conduis le voisin curé sous le porche de sortie. Il est médusé - et comment je ferai pour entrer et sortir ? -             J ' explique,  une plaque au niveau du sol ne gênera en rien les passages après  un petit mois tout au plus, pendant lequel il serait bon qu il trouvât un autre gîte pour sa voiture. Après l' étonnement la réflexion - Vraiment on ne peut pas faire autrement ? - On ne peut pas, les forces telluriques    l' ont dit ainsi par l' entremise de la bouteille- - Alors, c' est d' accord, je vais  trouver une solution pour ma voiture - Merci, je suis content de votre bonne volonté - Mon voisin voyait déjà       l' eau  arriver  au presbytère  ou tout au moins un droit d' alimentation à l' école, ce qui fut pour moi une source de tracas, je vous expliquerai.  Le maçon et son ouvrier arrivent,  j' ai fait livrer dans le couloir de l' école, une "quinze trous"     c' est à dire une caisse de 15 litres de vin, un préalable indispensable pour stimuler les énergies. On commence à creuser, un jour ou deux ensuite on installe un chevalet avec manivelle et corde pour remonter les déblais. Ces hommes travaillent avec une pioche, une pelle et un seau et beaucoup      d ' énergie, pas des paresseux et de longues journées, celui du bas pioche et remplit son seau, celui du haut tourne la manivelle et remonte le seau.     J' ai vu une fois le lourd seau métallique se décrocher et tomber aux pieds du creuseur d'en bas. Vrai, ils prennent des risques réels mais semblent indifférents au danger. Je dois peaufiner mon dossier. Il v a me falloir une pompe. Je révise ma physique élémentaire qui dit que la pression atmosphérique est capable d' équilibrer 76 cm de mercure ou 10,33 mètres d' eau. Je questionne le maçon, à quelle profondeur va-t-il trouver l' eau, si c' est à plus de dix mètres (33) la simple pompe ne pourra pas aspirer et il lui faudra une compagne foulante.Il me tranquillise, pas de problème. En réalité il y en avait un et l' eau apparut plus bas que prévu me faisant revoir mes plans. Un jour, après des semaines de dur labeur,    j' entendis un cri - ça y est, on a l' eau - elle était là et remplit vite le fond du trou, trop vite, si vite que nos maçons durent arrêter le creusement avec 30 cm ou guère plus d' eau au fond du puits, ils n' avaient pas de pompes électriques pour l' enlever et on en restera là, fin du creusement. Mes maçons me disent -  pas de problème, dès qu il y aura un tant soit peu de sécheresse, on viendra recreuser. Je suis confiant Pompe installée dans la cave, tranchée d' amenée de l' eau creusée, tuyaux divers, pose de bacs et robinets dans le couloir de l' école , un robinet dans la cuisine, un autre dans la chambre du haut . Il suffit d'  étudier maintenant l' évacuation des eaux utilisées , ensuite à nous la belle et bonne eau, j' ai envoyé un flacon à l' analyse, eau potable.   Mais, il y a un mais, un gros mais...et même plusieurs mais ...

mardi 8 juin 2021

Beau village 13

 Mon adduction d' eau prend forme, les curieux affluent. Je vais trouver mon charron-forgeron que je charge de  fabriquer une belle plaque métallique destinée à couvrir le puits au niveau du sol. La plaque est posée mais elle n' a pas le poids d' une analogue en fonte,  alors la distraction est maintenant pour tous de soulever le couvercle afin de regarder le fond du puits. Je demande au charron de souder une patte et on installe un gros cadenas. Chose faite et le curé peut enfin rentrer chez lui en passant par - dessus le puits   Etape suivante, installer une canalisation  d' évacuation des eaux usées. On décide de suivre le mur de l école pour une descente en pente douce. C 'est jeudi, je suis là à encourager mes ouvriers et voilà qu on entend un gros cliquetis métallique -  Cri joyeux - J' ai trouvé un trésor - On se précipite on a déjà dans les yeux la vue d ' un gros tas de pièces    d' or.  La pioche a éventré une longue caisse en bois totalement délabrée, on ôte les débris de  de sa surface et apparaît  un amoncellement de grenades, de projectiles  à ailettes de bonne taille, une grosse collection impressionnante, diversifiée, de projectiles de guerre, de quelle guerre on  l' ignore et là n' est pas notre souci. Déception peut-être mais surtout grosse inquiétude. Que faire ? L'un des maçons prend  l' initiative d' extraire une à une les premières grenades,  il les pose dans un seau avec une délicatesse infinie dont je ne l 'aurais jamais cru capable . On est attentif , on approuve son initiative.  Il se relève, seau rempli à la main, recule et  d' un coup glisse des deux pieds, sur la terre mouillée, il tombe à la renverse de toute sa grande hauteur, on attend les explosions, une seconde on se croit tous morts  criblés d' éclats, puis on  éclate de rire, notre porteur de grenades est sur le dos, étendu de tout son long, mais son bras est resté  levé et maintient le seau bien vertical au-dessus de sa tête, par un réflexe de survie extraordinaire. J' ai encore la scène dans ma mémoire, tellement elle était cocasse, ce grand gaillard, son seau par dessus la tête demandant une aide immédiate.                                            On lui enleva son seau qu on reposa auprès de la caisse et je leur fis jurer de n' en parler à personne en rentrant chez eux, car eux partaient mais moi je restais  auprès des munitions, on décida de tenir bouche cousue jusqu' à trouver une solution. Ma femme et moi on ne dormit pas beaucoup attendant       l' explosion à chaque instant.J' étais correspondant du journal local mais je  m' abstins  de toute publication. Le lendemain j' avisai la gendarmerie et la sous-préfecture implorant l' envoi rapide de démineurs. J' avisai également mon inspecteur qui me recommanda d' éloigner les élèves quand les artificiers seraient là. Tiens, je n y aurais pas pensé tout seul ! On me donna comme consigne de ne laisser personne s' approcher, facile à dire, la nouvelle avait commencé à courir. J'attendis deux jours et deux nuits anxieuses, une voiture militaire vint, on laissa les artificiers dialoguer avec la caisse et le seau. Soulagement en les voyant disparaître avec leur butin  Alors, on est sain et sauf, c' est  l' essentiel, on reprend le travail, on continue la tranchée jusqu' au-dessous de la fenêtre de la cuisine pour emmener les eaux dans un puisard. Attendez, ce n' est pas fini, les réjouissances continuent...

lundi 7 juin 2021

Beau village 14

L' épisode des munitions est terminé, pas d' explosion, pas de victime, le travail reprend et on arrive sous la fenêtre de la cuisine pour réunir les évacuations des eaux usées. Là on creuse pour construire un puisard suffisamment profond.   On prend des précautions, sait-on jamais ? On descend, un mètre, un mètre cinquante et plus, j' entends qu' on            m' appelle. Quoi encore, plus rien ne m' étonne. Regardez ! et je vois deux squelettes humains qui apparaissent, pas de sarcophage, c' est plus récent, ils sont là à même la terre. Stupeur. On fait quoi ? Un article dans le journal, la gendarmerie, les archéologues ? Je suis un peu las de tous ces aléas - je prends une sage décision - laissez les où ils sont, on ne peut plus rien pour eux - et faites le puisard un peu plus loin.,je veux les préserver des eaux usées, c' est stupide, mais...Installation terminée, l' eau est à        l' école. Les enfants lavent leurs mains avec grand plaisir. Jamais on        n' aurait cru que le précieux liquide serait là un jour, merci monsieur le député Barangé, le maçon est tout ému de l' intérêt général suscité par cette oeuvre dont il est le père fondateur, les larmes nous viendraient presque aux yeux  Tout est fini ? Pas tout à fait cependant. Des ennuis collatéraux sont là.  D' abord, j' ai constaté que quand tous les élèves ont utilisé simultanément les robinets,  l' écoulement cesse Je prends la clé du cadenas, je soulève la plaque du puits et je constate que la crépine émerge de la nappe. Il faut laisser le puits se remplir. Après quelques heures, je descends à la cave avec une grosse clé à mollette pour dévisser les quatre gros boulons de la pompe, entre temps je suis allé à la source recueillir un plein broc, je remplis la pompe et la tuyauterie, je remets le courant, c' est bon, pompe réamorcée, l' eau coule. Simplement à l' avenir je penserai à réguler la consommation  jusqu' à ce qu' une période de sécheresse permette un creusement plus profond du puits. L' existence est faite de patiences réitérées, quoique la mienne commence à s' épuiser. Vous ne nous parlez plus du curé ? Et bien si, je vais en parler. Le curé dispose d' un très vaste édifice propre à accueillir beaucoup de monde, les repas de noces même se font là parfois et un jour, je vois apparaître un essaim de jolies filles venues de  Belgique je crois,  le curé également est belge ou d' origine belge, des grandes filles déjà plus qu' ados. Je ne sais pas s' il s' agit d' une colonie de vacances  ou d' un stage de formation spirituelle, pas  d' infos, pas de garçons rien que des filles et pas quelconques. Le curé vient à ma porte, me déclare que le presbytère va s' animer et qu' il a besoin d' eau, je serais très aimable en échange de la bonne volonté qu il a montrée, de laisser ma porte ouverte. Mais très volontiers,      c' est la moindre des reconnaissances. Bientôt, deux demoiselles se présentent avec chacune deux grands brocs, leur beau sourire me réjouit le coeur - entrez, mesdemoiselles, les robinets sont là - Elles puisent, remplissent, reviennent et me signalent que l' eau ne coule plus. Trajet avec mon broc jusqu' à la source, je descends à la cave, clé à mollette en mains, réamorçage de la pompe et retour des demoiselles. Paradoxe, je dois aller régulièrement à la source sous le regard étonné et parfois goguenard des villageois - ça ne marche plus les robinets ? -            J' essaie d' expliquer les lois de la physique aux belles néophytes, je leur indique que si ça ne coule plus elles doivent revenir un peu plus tard le temps que le puits se remplisse sinon la pompe se désamorce etc...Je ne sais pas si elles assimilent bien mes cours de physique expérimentale et je ne veux pas les chagriner en leur exposant toute la peine que j' ai de devoir démonter et réamorcer la pompe aprés chacune de leur venue dont je ne voudrais me passer, j' aime les belles filles autant que le curé les aime. Je crains aussi que le curé imagine une quelconque mauvaise volonté de ma part, mal venue après tous les services qu' il m' a rendus. Alors pendant quelques jours, je fais une importante provision d' eau à la source aux fins de pouvoir réamorcer la pompe, des dizaines de fois, au risque de voir diminuer l' étanchéité de ce matériel et de  n' avoir plus rien du tout. Stage spirituel fini, je range ma clé à molette, et je contrôle sévèrement      l' ouverture des robinets. Je  suis excédé.   Envoi régulier d' échantillons pour analyse. Et je lis quoi ? Présence de matières fécales, eau impropre à la consommation, nécessité de la filtrer, de la désinfecter, eau de Javel ou de la faire bouillir, cette eau que nous avons consommée, nous et les filles également et même les écoliers. Anxiété, je me renseigne, aucune intoxication signalée, soulagement. Je réfléchis, la plaque ne protège certainement pas suffisamment des infiltrations, que s' est-il passé ? Je vais inspecter mon puits. Je crois voir, au fond, stupeur, je crois voir des têtes de crapauds  qui émergent de la surface de la nappe, je l' imagine certainement, pourtant....Retour à la maison en étatd' extrême colère.  Je dévisse les quatre boulons de la pompe, j' enlève le couvercle. Terminé !    J' abandonne et je reprends comme aux premiers jour mes trajets à la source où je constate qu' en plus un tas de fumier a été réinstallé à quelques mètres au-dessus par un éleveur de moutons. Colère extrême. Je rentre à la maison.   C' en est trop, fais tes valises,on s' en va ! On va où ?  La liste des postes vacants est là, on la consulte, on remplit un formulaire.  C' est fini ! fini ! fini !

dimanche 6 juin 2021

Beau village 15

    J' avais pensé déjà quitter le village quand  un poste de ville fut mis en compétition, selon  critères tels que ancienneté, note de mérite, considérations familiales  comme rapprochement de conjoints                  d' administrations différentes, le total des points afférents  à chacun de ces éléments d' appréciation donnait théoriquement un classement des postulants. Je passai au bureau de l' Inspecteur pour formuler mes désidératas et mon enthousiasme pour sa belle ville, mais celui-ci stoppa net mon élan - Avez-vous un logement ? - Non, je n' avais pas de logement - cependant j' avais appris à l' Ecole Normale et dans le code Soleil qui est la Bible des enseignants que l' instituteur à l' époque, plus maintenant, était un fonctionnaire logé, la question ne m' avait pas effleuré l' esprit, je balbutiai dans ma timidité rémanente - Non, M.        L' Inspecteur, je n' en ai  pas - je n' osai en dire plus - au revoir M. L' Insp. - et je rejoignis mon épouse dans la rue  avec l' impression de n' avoir pas été le bienvenu - Quoi ? pas de logement et tu ne t' es pas défendu ? Je vais t' en trouver un, moi, un logement - elle m' entraîna dans la première rue venue et osa, pas moi je restais à l'écart, sonner à toutes les portes avoisinant des volets fermés, au centre ville elle en avisa au-dessus d'un grand magasin, obtint une entrevue avec le propriétaire et ma foi, redescendit, sinon avec une affaire conclue, tout au moins une forte présomption de réussite- elle me dit - alors  tu la fais cette demande  - et je la fis et je fus refusé comme mon entrevue avec l' Autorité me l' avait fait présager. A l' époque un poste mis à l' encan n' était pas un poste sans officiant, mais tenu par quelqu' un qui n' avait pas la capacité de titulaire tout en voulant souvent rester là. Ou bien on sortait de  l' Ecole normale, ou bien on avait obtenu dans une école dite primaire supérieur un Brevet supérieur de capacité à  l' enseignement, sauf pour l' enseignement privé ou un Brevet dit "élémentaire" et non "supérieur" suffisait. Il existait un recrutement parallèle sur baccalauréat destiné à pallier aux insuffisances éventuelles des prévisions de formation, il fallait passer un difficile examen écrit suivi d' un CAP oral et jusqu' à aboutissement, le postulant allait de poste en poste, en emploi très précaire. Ma femme issue de la Lozère, avec pourtant son spécifique Brevet supérieur de capacité allait de remplacement en remplacement, avec périodes de non-emploi non payées et après plus de vingt postes et deux années de périgrinations sur le Causse et dans les Cévennes se résigna à quitter son département excédentaire pour venir dans l' Aisne déficitaire où elle eut l' immense chance de me rencontrer (n' est-ce pas ?). Lors de l' exode de 1940 je m' étais retrouvé  dans sa ville de Mende, ensuite j y retournai pour un stage de vol  à voile, peut-être  avait-elle dû me remarquer et décider de me retrouver tellement je lui avais fait forte impression, elle le nie mais j en suis convaincu.  Je fus dépité d' être refusé et  j' imaginai être victime d' un complot,  mais mes souvenirs manquent de netteté et j' ai peut-être fabulé par dépit, je ne sais plus trop, on accuse facilement les autres de toutes les turpitudes collatérales, je veux  rester persuadé malgré mes mauvaises pensées qu' aucune influence ou favoritisme ne pouvait intervenir, c' eût été malhonnête et surtout le puissant Syndicat veillait et assistait aux séances de nomination et en faisait ensuite le compte-rendu à l' adhérent de base, tous syndiqués en ce temps-là, notre force. Qu' en est-il  maintenant ? Je ne le sais pas devenu vieillard hors course et bientôt , si ce n' est déjà, radoteur patenté. Mon épouse, je l ai déjà dit venait de Lozère où elle assura des remplacements intermittents, toujours à la disposition de  l' Administration, dans des circonstances locales dificiles, ses postes étaient de tout petits villages perdus sur le Causse calcaire, qui est un ancien fond de mer, rehaussé à plus de 1000 mètres par les mouvements de la masse terrestre, soumis en altitude au vent, sans obstacle pour le retenir sur cette immensité horizontale, au vent qui faisait tourbillonner la neige de l hiver. On appelait ces écoles de villages des postes déshérités, l' école fut même un jour, une bergerie au sol en terre battue avec pour élèves les enfants d'une seule famille. Il arrivait que les hommes du village dussent creuser un tunnel dans la neige des congères pour permettre un accès à la classe. Deux de ses collègues filles, pour avoir voulu assurer la rentrée, se perdirent  dans la tourmente qui fait qu' on   n' y voit rien à plusieurs mètres alentour, elles marchèrent tant qu' elles purent et on les retrouva au matin mortes d' épuisement et de froid, l'institutrice et sa soeur qui n' avait pas voulu la laisser partir seule. Un monument au bord de la route rappelle le triste aboutissement de  cette conscience professionnelle généralisée  autrefois. On pouvait se perdre dans la neige à proximité de la maison,  la visibilité  devenant nulle, c' est pourquoi les villages disposaient d' une cloche à sonner dans la tourmente pour guider les pas d' égarés possibles. Pour rejoindre certains postes, venue de  la ville de Mende, mon épouse  laissait sa bicyclette dans la cabane du cantonnier en bord de route et montait par des chemins rocailleux pour rejoindre l' école perdue tout là-haut.   Il lui arriva quand la neige était trop haute de devoir s' entourer les jambes de bandes molletières  de son père, ramenées par lui de son époque militaire, même ses souliers étaient des chaussures militaires, pénurie de l' époque, pas de bottes , pas de chaussures en vente. Ainsi  garantie pour une marche avec de la neige jusqu' aux genoux, il lui arriva de devoir pour ne pas  se perdre , suivre le facteur qui lui-même risquait de s' égarer s' il n' eût eu son chien pour guider ses pas.
         
                                  

samedi 5 juin 2021

Beau village 16

     J' ai parlé hier de la région des Causses où mon épouse fit ses premiers pas de pédagogue, je vais aujourd' hui faire un petit arrêt sur ces immenses plateaux en altitude creusés par l' eau en  trous immenses, les avens tel celui de Padirac si grand qu' il pourrait contenir la cathédrale de Paris, le Tarn qui petite rivière, mais grande patience se comptant en millions      d' années, notre vie vraiment n' est rien, a su creuser son lit entre deux immenses falaises de craie.  Et puis, vers l' est, changement total, on aperçoit la Corniche des Cévennes et sa ligne de crête rose - violette sur laquelle court une route d' altitude, en bas parallèlement, la route  suit les rivières  qui ont creusé leur chemin dans une nature différente, on est dans les pays du schiste, cette espèce de pâte feuilletée, roulée, repliée, torturée, soumise à toutes les souffrances par les pressions et les feux de la terre. Il ne s' agit pas d' ardoise, la roche est plus épaisse et le feuilleté moins fin,  mais si belle souvent avec ses reflets mordorés, elle recouvre les toits en plaques toutes  différentes, on les appelle les "lauzes", toitures si lourdes qu' aucun ouragan ne saurait les emporter, posées sur de solides poutres de châtaignier, on arrive là à l' autre spécialité de la région, ces arbres primordiaux dans la vie rustique encore des habitants. Je reviens à ma femme qui quand elle était élève côtoyait les filles cévenoles , internes, qui toutes avaient été munies par leur mère en cette période de restrictions alimentaires si dures, d' une provision de châtaignes, avec leur peau, cuites à l' eau. Fruit précieux dans ce dur pays en équilibre dans  les pentes que savent gravir les chèvres, la châtaigne est la base de l' alimentation de tous, gens, et bêtes comme  le ou les porcs de la famille. Autre caractéristique, on est en pays protestant, ma femme dit que dans un village, elle était la seule catholique (tout au moins par le baptême sinon par la pratique ou la conviction) avec le Receveur du Bureau de poste. Moins d' églises mais des temples. Le pays fut l' objet de violents affrontements en ces temps de totale intolérance religieuse où le prédicateur risquait les galères, où l' on procédait à des conversions forcées par les dragons, soudards envoyés par le roi et qui étaient autorisés à toutes les turpitudes chez les gens qui devaient les loger, jusqu' à signature de l' acte de conversion. De grandes révoltes en résultèrent comme celle des "camisards" et des tueries conséquentes. Les" protestants" ou "huguenots" officiellement partisans de la "Religion prétendue réformée"durent parfois enterrer leurs morts dans le jardin familial suite au refus d inhumation par le curé de la paroisse, par la suite on sépara parfois dans les cimetières les tombes des tenants de l' une ou l' autre des religions. A la suite des dragonnades et de la révocation de  l' Edit de Nantes en 1685,  plusieurs centaines de milliers de ces huguenots quittèrent la France.  Je voulais seulement situer l' endroit où ma femme exerça son métier, avant de continuer le récit de mon Itinéraire.

vendredi 4 juin 2021

Beau village 17

      Manqué mon premier essai de me libérer de mon beau village. A  refaire. Je n' avais rien dit aux habitants, même pas à mon ami le Maire,  j ' étais, nous étions (j' ai une épouse),  je dis "je" pour simplifier, devenus partie intégrée au village. La méfiance première des habitants avait fondu d' année en année. Lors de la précédente, une fillette avait été classée première des filles du canton en même temps qu' un garçon de la même classe premier des garçons, un beau doublé dont le village était aussi  fier que moi, ces réussites prouvaient certainement l' excellence des maîtres mais aussi en résultait la confirmation que  les enfants du cru étaient largement, autant si ce n' est plus, intelligents que ceux des alentours, ce dont   d' ailleurs on n' avait jamais douté. En plus,   j' avais  fait participé mes élèves à un examen de connaissances organisé par le Comice agricole, ils  s' en étaient sortis brillamment et avaient ramené des bêches et des râteaux. On écrivit un bel article sur le journal local. Ce même Comice agricole dans la foulée, m' avait  décerné, après avis de l' Inspecteur, le prix d' un legs ancien, destiné à récompenser l' instituteur ayant à son palmarès le meilleur résultat du canton, pas d' argent, celui du legs avait fondu avec l' inflation depuis sa création, restait seulement un diplôme de premier maître du canton. Bon, M. l' Inspecteur doit être maintenant conscient de ma valeur et je m' attends à une promotion. J' explique que l' instituteur au cours de sa carrière voyait son traitement augmenter régulièrement pour                l' encourager à tenir bon. On progressait  à l' ancienneté, après cinq ans, dans un nouvel échelon, 5 ans c' était long pour gagner un peu plus , on pouvait progresser  plus vite, selon le gré de l' Inspecteur par des promotions dites "au choix" avec encore une nuance de "petit choix" ou de "grand choix", deux  ou trois ans au lieu de cinq pour le bonus sur la feuille de paye. Le syndicat m' avisa qu' à son grand regret  je n' étais pas retenu et que ma feuille de paye resterait au même petit format. Existait-il une "cour"  comme autrefois autour des rois distribuant des faveurs à ses courtisans ? Je m' en persuadai et comme par la suite, je restai quatorze  années à attendre en vain chaque jour une visite de l' I. avec conséquemment une augmentation de ma "note de mérite" et en corollaire l' augmentation de ma paye, la note de mérite se figea , la cagnotte fut longue à grossir  et je restai dans le groupe des laissés pour compte. Un peu de rancoeur m' en resta. Mes mérites furent finalement reconnus à deux années de la retraite par un autre inspecteur, une charmante dame conquise par mon savoir-faire et même mon "art", cité en exemple aux jeunes, mais c' était en fin de carrière et trop tard, j' étais arrivé à pas lents tout en haut de l' échelle.    J' étais donc encore au village avec  grand désir d' en sortir. Je suis allé entre-temps participer au Jury du Certificat d' études dans le chef-lieu d' un autre canton , pas rien le CEP, cinq fautes d' orthographe et s' envole le diplôme,  2 points en moins par faute, sur 10 ça fait 5 fautes et tu rentres à la maison la tête basse, même si tu as su résoudre sans machine à calculer les  compliqués problèmes d' arithmétique, même si tu  sais dessiner la Seine avec tous ses affluents et villes principales. aucune pitié, et ce fut le grand déclic devant une belle école toute neuve en belle pierre blanche pourvue d' une kyrielle impressionnante de robinets versant de la belle eau limpide et potable.  Au retour la décision était prise, on quitte le village.

jeudi 3 juin 2021

Beau village 18

Je revins donc de ce Jury de C.E.P. et fis à ma femme la description enthousiaste de la merveilleuse grande école que j' avais rencontrée, toute neuve, magnifique, pourvue de cette merveille qu' est l' eau qui coule des robinets, même froide, je ne demandais pas l'eau chaude, ce serait trop de luxe. On surveilla les listes de postes vacants. Surprise : un poste femme est possible à l' école maternelle, avec le nom de l' occupante précaire, tant pis pour elle, on remplit la demande, on est accepté ou plutôt acceptée, moi, je suis encore là,  j' attends la deuxième liste, rien, alors je cherche alentour une offre que je trouve, une classe à tous cours à 4 ou 5 kilomètres de la belle école. Va pour le poste certainement lui aussi sans eau, je ne m' étais pas renseigné, peu importe. Peu après je reçois la visite d' un couple de collègues, lui enseigne à la belle école et elle de façon précaire au village qui m' est attribué, je compatis à leur désarroi, ils me citent une différente école possible pour moi mais je vois que je chasserais quelqu' un d' autre, alors je laisse aller, pas ma faute, j' y suis, j'y reste, impassible, méchant,   j' ai trop souffert avec mes grenades, mes crapauds, mes squelettes, mes manouches et mes autopsies en plein air. Ma nomination dans ce village paraît sur le journal, les villageois  me demandent si c' est une sanction ou une promotion de quitter leur beau village pour cet autre bien quelconque à leurs yeux. Le maire ne comprend pas qu on ait pu me nommer là et croit à une mauvaise action de l' Administration envers moi. Peu importe, j' y suis, j' y reste, advienne que pourra. Et voilà que je suis convoqué par l' Inspecteur au chef - lieu d' arrondissement, j' y vais le jeudi suivant. Que me veut-il ? Je suis méfiant et pas décidé cette fois à  m' en laisser conter - Monsieur B - oui, monsieur l' Inspecteur- j' ai votre dossier en main,  vous êtes un excellent maître - (oublié pour les promotions au choix pourtant)  - Je le crois effectivement M. L' I - Vous êtes fort en mathématiques, n' est-ce pas ? Vous êtes un esprit scientifique ? - (Je me rengorge comme un coq) - Et bien voilà, nous avons décidé        d' ouvrir un cours complémentaire à ...(justement le pays à la belle école) - tout est embryonnaire, on va utiliser les locaux d un vieil hospice désaffecté, le Directeur de   l' école des garçons assurera les matières littéraires et vous les matières scientifiques, avec le même horaire de 30 heures des classes primaires et quelques surveillances, l' entrée, la sortie, la cantine. On ouvre deux classes, une sixième, le recrutement est déjà fait et une cinquième ouverte aux élèves des villages voisins pourvus de leur certificat d'études - le démarrage sera difficile, aucun matériel, mais avec de la bonne volonté, ça doit réussir - vous serez deux pour ces deux classes, l'un dans l' une, l' autre dans la seconde  en alternance - Merci, je compte sur vous, je sais que je peux compter sur vous, je  connais votre conscience professionnelle - Tout à fait,M. l'I. - Je suis un peu désemparé car il m'avait déjà fait le coup à mon début de carrière. Je vous  raconterai   Finalement, je suis satisfait, l' avenir s' éclaire, même si je manque de conviction sur mon aptitude à  cette nouvelle fonction qui    m' effraie un peu (et même beaucoup). Mais à moi, enfin, les  beaux robinets.

mercredi 2 juin 2021

Beau village 19

     J' ai raconté qu' après six années dans un beau village, las de faire plusieurs fois par jour la provision d' eau à la source pas toute proche, nous avions décidé de le quitter, un peu cependant à contre-coeur, le passage dans ce village était riche de bien des souvenirs. Mon épouse obtint un poste à l' école maternelle   d' un chef - lieu de canton pourvu d' une belle grande école toute neuve, j' avais opté afin de me rapprocher d' elle pour une école à tous cours dans un village à  quelques kilomètres de là. Et voilà que je suis convoqué par l' Inspecteur au chef - lieu                       d' arrondissement, j' y vais le jeudi suivant. Que me veut-il ? Je suis méfiant et pas décidé cette fois à  m' en laisser conter - Monsieur B - oui, monsieur l' Inspecteur - j' ai votre dossier en main,  vous êtes un excellent maître - (oublié pour les promotions au choix pourtant)  - Je le crois effectivement M. L' I - Vous êtes fort en mathématiques, n' est-ce pas ? Vous êtes un esprit scientifique ? - (Je me rengorge comme un coq) - Et bien voilà, nous avons décidé d' ouvrir un Cours complémentaire à ...(justement le pays à la belle école) - tout est embryonnaire, on va utiliser les locaux  d' un vieil hospice désaffecté, le Directeur de  l' école des garçons assurera les matières littéraires et vous les matières scientifiques, avec le même horaire de 30 heures que les classes primaires et quelques surveillances, les entrées, les sorties,  l' interclasse de midi. On ouvre deux classes, une sixième, le recrutement est déjà fait et une cinquième ouverte aux élèves des villages voisins pourvus de leur certificat d'études - le démarrage sera difficile, aucun matériel, mais avec de la bonne volonté, ça doit réussir - vous serez deux pour ces deux classes, l'un dans l' une, l' autre dans la seconde  en alternance - Bon, merci, je compte sur vous, je sais que je peux compter sur vous, je  connais votre conscience professionnelle - Tout à fait, M. l' I. OK ! La rentrée  s' approche, je prépare le déménagement pour lequel j' ai droit à une indemnité mais je dois présenter trois devis différents, je les demande à un déménageur qui à lui tout seul me les fournit immédiatement, Bravo! Un vrai Pro ! mais quelques jours avant le départ   j' apprends que l' institutrice que ma femme remplace refuse de quitter son logement, et mon remplaçant est là à ma porte avec son mobilier, lettre à  l' inspecteur, entassement de mon déménagement dans un couloir, heureusement mes parents habitent à 25 km seulement de la nouvelle école, on se réfugie chez eux et on rejoint en bohêmes la nouvelle affectation en attendant stabilisation de la situation. Tout s' arrangera vite cependant. C' est la rentrée, j' ai ressorti  l' essentiel, c' est à dire les vieux livres que j' avais récupérés dix années auparavant lors d' une première affectation, manquée au dernier moment, en Cours Complémentaire (Je raconterai bientôt). Je commence la première heure avec la classe de  sixième, mon vieux collègue près de la retraite et en même temps Directeur de l' école primaire prend  la classe de cinquième et on alternera au fil des heures dans la journée, on ira dans une classe et puis dans  l' autre, lui le littéraire et moi le scientifique. Le problème,      c' est qu' il existe deux sortes d' enseignements, celui sans matériel et celui avec matériel et je suis tombé sur la deuxième catégorie. Je vais devoir, en plus de mes chères mathématiques, enseigner la physique et la chimie, Quelques  exemples, états de la matière, pression atmosphériques, pesées, densimètres, alcoomètres, leviers, dilatations,  Mariotte, Gay-Lussac, Archimède et autres amis, acides, bases et sels, oxygène, hydrogène etc... et encore etc...problèmes de physique, équilibrage des réactions chimiques, devoirs chaque semaine à rendre par les élèves. C' est très sérieux. Mais je  n' ai pas de garçon de laboratoire, ni de laboratoire, ni d' endroit dédié. Alors je reprends les brocs de mes corvées  d' eau, ça recommence, je demande à ma femme ses saladiers pour en faire des cristallisoirs, je récupère ça et là des tubes de verres que je chaufferai pour les tordre et les rendre aptes à mes expériences, je ressors le camping gaz que  j' utilisais au beau village pour réchauffer le lait, (déjà raconté), razzia dans la cuisine sur tout ce qui me semble utilisable, j' ajoute des fils électriques, du fil de fer, des pinces et des tournevis. Je retrouve une vieille caisse à munitions récupérée en fin de guerre, il en traînait partout et pas toujours vides, munie de deux barres latérales avec dégagement pour faciliter le transport, j' y entasse cet ensemble hétéroclite kit du parfait physicien- chimiste -électricien et je désigne deux porteurs qui assureront chaque jour la manutention pour faire suivre la caisse d' une classe à l autre, ils sont tout fiers de leur tâche, deux classes au début, trois classes l' année suivante, puis quatre classes... et je fais de l' oxygène pour activer les combustions, et je fais de l' hydrogène pour faire voler des bulles de savon et je fais ...tout ce que je peux faire avec pas grand' chose. La mairie me permet l' achat d' un minimum de départ de produits chimiques. Et on s' habitue à cet enseignement par caisse et arrosoir ballotés de classe en classe. Tout cependant émanant  d' une constante improvisation.  Mathématiques, je les ai toujours aimées, comme élève d' abord, car rien à apprendre, peu d' efforts à fournir sinon remuer un peu ses méninges, et  facile à enseigner. Seul ennui les corrections des devoirs et l' obstination de certains élèves à dire stupidement qu' ils n 'y comprennent rien suivis par les parents qui s' en étonnent en disant "Mon gamin, il est pas plus bête que les autres, il faut seulement savoir le prendre ..."  Plus tard quand le Cours complémentaire sera devenu un Collège, et moi un professeur de ce collège, ce sera ma matière essentielle d ' enseignement.  Physique, chimie, j' aime...cependant  j' envie un peu mon collègue qui initie ses élèves à la littérature, qui fait des dictées et des conjugaisons... et peut arriver le matin avec une petite serviette, la mienne est grande, je l' ai achetée exprès, on y trouve tout, de la ficelle, des colles, des pinces coupantes, des coquillages, des fossiles, des minéraux, et même un jour des escargots ou des oursins ...Je précise qu' il n' est pas question d' enseigner la physique ou la chimie sans travaux pratiques, ce serait aberrant... Une création de Cours Complémentaire, futur collège, à  l' époque, c' était la nomination de un ou deux professeurs, une recherche de local par la mairie et allez-y débrouillez-vous, merci... par la suite on m' affubla du titre de "pilier du collège" - fierté - médaille - Un exemple du sens du devoir à l' époque. La première année nous avions deux  classes communiquant par une porte, mon collègue directeur dut s' absenter loin pour le décès de sa mère, il        s' absenta deux ou trois jours, on ne renvoya pas les élèves, je me suis tenu dans l' ouverture de cette porte de communication et j' ai assumé les cours, tout seul, simultanément aux trente-cinq ou quarante élèves de chaque classe, français  d' un côté en même temps que mathématiques de l' autre par exemple, etc...et  j' assurai la discipline, avec énorme fatigue consécutive cependant. Prof simultané de 6ème et 5ème en toutes matières avec 75 à 80 élèves  et avec déjà quelques irrégularités cardiaques. Je me souviens d' un jour où ayant assuré mes cours toute une journée avec une fatigue extrême, le thermomètre consulté le soir indiqua 40°. Physique - chimie - passe encore, il y a pire ! les sciences naturelles, pas de leçon sans matériel non plus, j' installe un gros bac  en verre de récupération reste    d' un vieil accumulateur, je commence l' élevage des tétards de grenouilles qui adultes à chaque coup deviendront des crapauds . Pour oxygéner        l' eau, j' y ajoute  des plantes aquatiques  prélevées dans la Marne ou dans des mares. Sur les rebords des fenêtres je pose des boîtes pour y étaler des cotons  humides sur lesquels  je sème des graines de lentilles ou de tout ce qui me tombe sous la main aux fins d' étudier la germination. J' achète des moules ou des oursins, je mets en attente des couleuvres dans le formol. Le dimanche chez mes parents quand j' ai fini la correction des copies en retard, je fais pour les prochaines leçons la chasse aux araignées, aux papillons, à tous les insectes qui me tombent sous la main. Il faut suivre la nature, les fleurs, les fruits,  toujours en recherche. Demain je fais quoi ? Obsession... Le souci me poursuit, que faire en première heure et puis en deuxième  et puis...et puis...et avec quoi vais-je le faire. Anxiété permanente que je ressens encore, je ne m' en suis jamais totalement remis. Le dimanche, j' aide parfois mon père à bêcher son jardin, je l' ai toujours fait, en particulier en début de cette drôle de guerre où le Maréchal ayant décrété la nécessité d' un  "retour à la terre" la municipalité mit à notre disposition quelques parcelles d' un bien communal   qu' il fallut défricher pour y faire pousser quelques légumes sans lesquels on mourait de faim. Je fatigue fort, ,j' ai mal aux reins,  mais je suis heureux et je voudrais continuer à bêcher, l' esprit au repos. La fatigue est bonne , il en résulte une plénitude physique. La tête fatiguée, c' est un tourniquet de pensées enchevêtrées. Physique, chimie, sciences naturelles (ça s' appelait comme ça, maintenant ils ont trouvé d' autres noms plus savants), ce n' est pas tout, le pire est à venir, c' est à moi que reviennent les "travaux manuels" comme si ça ne suffisait pas et là je commence à regretter mon beau village vers lequel  je suis prêt à repartir avec mes brocs. Les instructions officielles restent assez vagues, disent en gros, qu' il ne s' agit pas d' apprendre des techniques, mais de faire appel au sens créatif des enfants en utilisant des matériaux simples qu' on peut se procurer facilement, facilement ils disent, dans l' environnement. On me laisse totale liberté d' improviser encore une fois. Bien sûr, j' ai décrypté, ça veut dire, débrouille-toi. Alors, j' achète un sac de plâtre, je fais faire des moulages de n importe quoi, des cartes de France en relief, je trouve des moules pour y couler des nains de jardin, je demande à la mairie l' achat de contre-plaqué, je récupère des morceaux de lames de scies à métaux cassées, je fais découper des lettres en bois pour les petites classes, je fais fabriquer des petits coffrets, des brouettes miniatures décoratives, j' achète des placages de bois pour faire de la marquetterie, je fais tordre artistiquement des gros fils de fer, etc...etc...j' improvise, j' improvise encore, mais à la fin de l' heure ils me laissent un local dans un désordre indescriptible, je devrai revenir faire  l' homme de ménage. J' y laisse aussi pas mal d' argent. J' ai les filles également, alors, là c' est simple, ma femme qui a suivi des cours pour un éventuel enseignement ménager ultérieur me donne un gros dossier de réalisations diverses que je leur confie en leur disant -montrez -moi que vous êtes capables d' en faire autant et même mieux- Les filles sont très attachées à leur réalisations et sont très souvent des élèves agréables, à part certes, quelques-unes. Je me souviens d' une qui, pour je ne sais quelles difficultés personnelles  ou mentales, cherchait souvent à fuir l' école et que j' ai dû maintenir par l' avant-bras, un grande fille de 15 ans,  pendant la moitié d' un de mes cours pour ne pas avoir à courir derrière elle au dehors de    l' école. Je précise que de toute ma vie de prof, je n' ai jamais fait un cours assis, toujours debout de l' un à l' autre. En fin d' année, exposition des travaux et vente pour récupérer quelque argent et acheter du matériel, une vraie auto-entreprise. J' en reviens à ma femme qui avait un diplôme d' enseignement ménager, quelques années après notre arrivée furent créées des classes dites "  d' enseignement ménager "  pour occuper utilement  les grandes filles proches de l' entrée  dans la vie active. Une non-titulaire fut nommée puis le poste mis en compétition, ma femme postula et fut refusée, la même personne plus jeune et moins qualifiée conserva son poste. Sans commentaire. Finies mes récriminations ? Pas tout à fait. Je suis également le professeur d' Education physique, parfois j'abandonne  ma caisse à munitions pour emmener la classe sur un terrain pas loin, et je les fais courir, sauter sans sautoir bien sûr, se baisser, se lever, et un et deux...et je reviens vite pour l' heure suivante retrouver mes saladiers ou casseroles pour un nouvel éveil scientifique chauffé au réchaud de camping. On doit aussi donner des cours de dessin, mon collègue s' en charge, dommage, ce serait reposant. Par contre on me charge des cours de musique. Je n ai jamais appris la musique, cependant j' ai toujours aimé  et sans être un génie musical, j' ai toujours su chanter un petit air rien qu' en voyant le nom des notes. Je connais donc assez bien mon solfège, c ' est facile autant que les mathématiques. Voici donc au collège un professeur de musique autodidacte 100%. Mais pourquoi pas, soyons modeste, quand on a le don. Les phonographes à ressort  à manivelle commencent à être remplacés par les électophones, le mien fera l' affaire avec les grands 78 tours, je l' apporte à ce Cours complémentaire qui commnence à devenir un Collège. Plus tard, on introduira dans les écoles, les flûtes à bec, en plastique ou de préférence en bois, de prunier par exemple, instrument de peu d' étendue à son très approximatif difficile à contrôler,  il faut savoir doser le souffle pour obtenir un son convenable à peu près juste et ne pas en sortir des crissements horribles. Imaginez trente-cinq à quarante gamins dans un local avec ces horribles sifflets. De quoi les rebuter à jamais de                  l' apprentissage de la musique. Plaignez le pauvre prof ! Je faisais des achats groupés de ces instruments pour obtenir une remise de 10% à mes élèves qui oubliaient parfois de me rembourser. Une élève de cinquième qui m' avait demandé une flûte et à qui je fis plusieurs fois un rappel pour non- paiement, après un de ces rappels, se leva, droite, et déclara à haute voix "Mon père m' a dit : tu diras à Coco que sa flûte il peut..." je n' ai pas bien compris ce qui suivait le "il peut",  la parole fut accompagnée d' un geste de la main très appuyé vers le haut et la fillette se rassit très digne. Silence dans la classe. Quoi ?  Qu' est-ce qu' elle a dit ? Le élèves se tournent vers moi en incompréhension totale. Je suis éberlué, mon esprit travaille à grande vitesse, je me redis le nom de l' élève et je me souviens  d' un lointain camarade d' enfance qui portait ce nom et que mon prénom Jacques était pour les familiers devenu "Coco". J' ai pensé, ça y est, tu es baptisé jusqu' à ta retraite, ils vont tous s' en souvenir. Avec un regard circulaire et une mimique appropriée j' ai fait comprendre aux autres élèves que ça ne voulait rien dire et qu' on laisse tomber et qu' on recommence à souffler tous le plus fort possible dans les flûtes et je n' ai jamais plus rappelé un non-paiement de quoi que ce soit à qui que ce soit.   Enfin, on nous construisit un beau collège dit d' enseignement général, avec des armoires de rangement, du matériel abondant, une salle spécialisée pour l' enseignement des sciences, des caisses partout dont nous  assurâmes nous-mêmes l' ouverture tout à la découverte du riche matériel dont on était doté. De jeunes collègues nantis d' un CAPES tout frais arrivèrent, professeurs dits "certifiés" et nous fûmes vite très nombreux. Moi, premier acteur de cette création je devins après plus d' une dizaine   d' années et des inspections spéciales pour une pérennisation dans mes fonctions, "Professeur d' Enseignement Général de Collège " (PEGC), on devait douter de moi, car ce fut long, on ne pouvait pas cependant douter de mon expérience acquise à la force du poignet, de l' imagination. et de la persévérance. La différence avec les jeunes arrivants était que le PEGC devait, à la demande, assurer deux matières d' enseignement, pour moi ce fut mathématiques, physique, chimie, de la 6ème à la troisième, plus une option telle que dessin ou musique ou travaux manuels, une autre différence fut aussi que nous devions un nombre d' heures de cours plus élevé et que le traitement de fin de mois était inférieur, selon le principe de travailler plus pour gagner moins. Une autre différence était aussi que nous les PEGC étions par notre origine, partie prenante dans la discipline, la surveillance des cours ou des couloirs, alors qu' un véritable professeur ne se sentait  pas toujours concerné  à la sortie de sa classe. On nous avait promis un alignement en horaires de cours et en traitement en récompense de nos efforts de pionniers, il ne vint jamais, on n' avait plus besoin de nous,  et je restai  donc un "sous professeur" avec un "sous paiement" et un "surservice" et une "sur implication" dans la vie de  l' établissement. Deux ans après  l' ouverture, on inaugura le beau collège, grande cérémonie ouverte par mon premier collègue, retraité, devenu Maire, avec les inspecteurs, même ma femme devenue Directrice de l' école de filles fut invitée, même les gendarmes, le percepteur, toutes les personnalités du bourg et on but le Champagne, un tas de monde  fit ou écouta de beaux discours, tout le monde se congratula pour cette belle réussite.  On me l' a raconté car moi  la mairie oublia de  m' inviter après m' avoir donné à tout- va , sauf ce jour-là, le titre de "pilier du collège " et je l' étais en effet, j' avais beaucoup porté sur mes épaules. Oubli bizarre. Même             l' inspecteur m' oublia, et oublia aussi ma note professionnelle,  je ne le vis plus.  Après quelques années des cars nous amenèrent des centaines d' élèves et bien sûr les locaux devinrent trop exigus, on annexa au collège des bâtiments dits "préfabriqués" absolument inchauffables, entre 0° et 5°certains matins d' hiver, stoïques les élèves gardaient les manteaux et soufflaient sur leurs doigts.  A mes débuts, le recrutement des élèves était sélectif, concours ou examen d' entrée en sixième, arrivée d' élèves munis du Certificat d' études primaires , pas de problème de niveau dans les classes très égales, pas de problèmes de discipline, respect du maître, confiance des parents. Ensuite on remplaça cet examen trop difficile et coûteux  à organiser par une admission sur examen des cahiers ce qui signifiait la porte grande ouverte et les classes devinrent de niveau inégal avec des élèves à mon avis trop jeunes pour être entassés à 11 ans dans des autocars, il fallait et il faut encore, je l' affirme,  une année de plus à       l' école primaire  pour les laisser mûrir et s' affirmer et ainsi les niveaux seraient différents. Je précise qu' on ne m' a jamais demandé le moindre avis et que la Pédagogie a toujours été à sens unique, Autorité vers exécutants. Autrefois on faisait redoubler, on considéra le redoublement et la sélection précoces comme des erreurs et on préféra créer des passerelles à différents niveaux ou des enseignements parallèles. On préféra orienter vers des structures diverses plutôt que sélectionner, on vit apparaître des classes " de transition", des passages en fin de cinquième vers des classe dites "préprofessionnelles de niveau" ou classe dites "ménagères". Une orientation  en fin de troisième vers l' enseignement classique long ou court et parfois envoi de ceux qui posaient quelques problèmes  vers les collèges techniques comme si les techniques demandaient moins d' intelligence. On créa des organismes d' orientation  qui pouvaient recevoir chaque élève, on discuta avec les parents, après des tests complets pour aller vers la meilleure voie. Le principe était certainement bon et les efforts de  l' Education nationale réels. Chaque élève avait sa chance. J' ai quitté le bateau depuis longtemps et je sais qu' il tangue souvent, le monde a changé, des problèmes sont apparus qui n' existaient pas à mon époque, ce n' est plus la même école dont je suis un fossile à épingler sur le mur d' un musée et je préfère fermer les yeux plutôt que regarder en arrière.